Par Jean-Christophe Barbato – Professeur de droit public à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Le circuit des objets d’art est bien souvent couvert d’obscurité. C’est ce qu’illustre, une nouvelle fois, les demandes de restitutions faites par l’Italie concernant sept pièces antiques acquises par le Louvre entre 1982 et 1998, une époque où la question de la qualité des œuvres primait largement sur celle de leur origine. Tout laisse à penser que la provenance de ces différentes pièces est douteuse. Le 14 juillet, le musée français a indiqué à l’AFP qu’une enquête avait été ouverte au sujet de ces objets. Elle vise à confirmer un ensemble de lourds soupçons et pourrait déboucher à l’automne sur un accord entre la France et l’Italie permettant le retour des œuvres dans la péninsule.

Quelle est l’origine des objets litigieux ?

En 1995, des policiers suisses et italiens perquisitionnent l’entrepôt d’un marchand italien, Giacomo Medici, et tombent sur un véritable trésor composé de plusieurs milliers d’objets issus de fouilles illicites. Ces objets sont accompagnés de documents en permettant l’inventaire et qui vont être employés comme autant de pièces à conviction à l’occasion d’un procès en 2003. Ce procès aboutira à la chute d’un véritable réseau de trafic de biens archéologiques comprenant pilleurs, maisons de ventes et marchands d’art. C’est dans ce cadre que les fonds du galeriste italien Gianfranco Becchina, qui s’était approvisionné en toute connaissance de cause auprès de Giacomo Medici, sont saisis. En épluchant l’inventaire des œuvres, un couple d’archéologues retraités du ministère italien de la culture découvre que le Louvre a visiblement acquis des pièces dont la provenance est illégale. Parmi ces objets, figurent au moins trois pièces majeures des antiquités du Louvre exposées dans la galerie Campana : un cratère dit cratère des prétendants qui représente le massacre par Ulysse, son fils et son serviteur de ceux qui soupiraient pour l’amour de Pénélope, un autre cratère à la manière du peintre d’Antiménès orné d’une scène mythologique et la superbe amphore du « peintre de Berlin ».

En 2018, le ministère italien de la culture avait demandé au Louvre la restitution du cratère des prétendants et de l’amphore, demandes repoussées par le directeur de l’époque au motif que les preuves avancées étaient réfutables et qu’en toute hypothèse, les restitutions devaient s’opérer d’État à État. En 2022, le directeur général de l’archéologie au ministère italien de la culture, renouvelle la demande au musée français. Elle est accueillie de manière moins circonspecte par la nouvelle directrice, d’autant plus que d’après Le Monde, une enquête interne révèle de sérieuses lacunes et notamment l’absence de licence d’exportation du côté italien et aussi, nous y reviendrons, parce que la sensibilité sur les questions de provenance des œuvres s’est largement accrue. Toutefois, il n’existe en l’état actuel du droit aucune obligation juridique de restitution de la France vers l’Italie et ce malgré la provenance certainement problématique des biens visés.

Existe-t-il une obligation juridique de restituer ces objets ?

Le droit international prévoit des obligations de restitutions mais aucune n’est applicable en l’espèce. Ces obligations sont issues, soit de la Convention de Paris du 14 novembre 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété́ illicites de biens culturels, soit de la convention de Rome de l’Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés en date du 24 juin 1995.

Pour des motifs liés à leurs ratifications, aucun de ces deux textes ne peut être employé. Comme l’indique son article 7, la Convention de 1970 est dépourvue de portée rétroactive et les obligations qu’elle suscitent pour un État débutent au moment de la ratification par celui-ci. Or, la France n’a ratifié le texte qu’en 1997. De plus, comme l’a confirmé la Cour de Cassation la Convention est dépourvue d’effet direct et nécessite donc une transposition en droit interne (C. de Cass., 20 septembre 2006, République fédérale du Nigeria c. de Montbrison, aff. 04-15599), ce qui ne sera chose faite et encore de manière incomplète qu’avec une loi du 7 juillet 2016. Le texte de 1995 n’a quant à lui tout simplement pas été ratifié par la France.

A ces conventions, s’ajoute le code de déontologie de l’ICOM, le Conseil international des Musées, dont l’article 8.5 prévoit que les membres de la profession muséale ne doivent jamais contribuer, directement ou indirectement, au trafic ou au commerce illicite de biens naturels ou culturels. Toutefois, ce texte ne suscite pas d’obligation juridique contraignante.

Le droit de l’Union européenne ne peut lui non plus s’appliquer. Le 15 mars 1993, la Communauté a adopté une directive relative aux biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre patrimoine européen, texte actualisé depuis. Toutefois, le texte vise les biens culturels qui sont sortis illicitement du territoire d’un État membre à partir du 1er janvier 1993.  Sous réserve de faits contraires dont nous n’avons pas connaissance, si les biens visés par la demande de restitution italienne se situent en dehors du champ d’application ratione temporis de la directive. De manière générale, ces questions de temporalité sont au cœur des problématiques juridiques des restitutions.

En l’absence de texte applicable, c’est donc une résolution proprement politique qui s’impose.

Compte tenu du manque d’obligation juridique, ces objets ont-ils une chance d’être restitués ?

Compte tenu de l’absence très fréquente d’obligation juridique applicable, les restitutions relèvent traditionnellement d’un choix politique poursuivant des objectifs d’ordre diplomatique. Or, il est probable que la volonté d’apaisement dans les relations franco-italiennes après de récentes turbulences et la volonté de maintenir la coopération culturelle forte entre les deux côtés des Alpes joueront certainement en faveur d’une acceptation des demandes de retour.

A ces considérations classiques s’ajoute une sensibilité contemporaine particulièrement accrue à propos de la provenance des œuvres détenues dans les musées. La question fait l’objet d’intenses débats publics ainsi que de nombreuses initiatives. En France, la plus notable concerne l’adoption de l’adoption le 13 juillet dernier à l’unanimité par l’Assemblée et le Sénat, d’une loi-cadre relative à la restitution des biens juifs spoliés. Ce texte met en place un dispositif général évitant de devoir adopter pour chaque restitution une loi dédiée. Une proposition de loi cadre relative au retour des restes humain est également en cours d’examen et à cela s’ajoute un rapport rédigé par l’ancien directeur du Louvre consacré à l’universalité, la circulation et la restitution des œuvres d’art remis le 25 avril. Du côté des musées, l’actuelle directive du Louvre, Laurence des Cars va créer deux postes de chercheur de provenance. Comme elle l’a indiqué au Monde, « l’étude des provenances est désormais une question aiguë, scientifiquement, symboliquement et politiquement. ».

La très vraisemblable origine douteuse des biens visés, ajoutée à la rencontre des enjeux diplomatiques classiques et des enjeux éthiques récents laissent donc à penser que la demande italienne puisse recevoir une réponse positive, réponse qui devrait prendre la forme d’un accord bilatéral.