Par Michel Degoffe – Professeur de droit public à l’Université de Paris Cité
Mercredi 6 juillet, les députés européens se sont réunis pour un vote crucial : le nucléaire et le gaz fossile doivent ils être inclus dans la taxonomie verte ? Oui ont-ils répondu aux termes d’un vote serré (328 voix favorables, 278 voix contre et 33 abstentions). Quelle conséquence ? Les activités utilisant le gaz fossile et le nucléaire seront considérées comme durables et bénéficieront des investissements en priorité.   

Qu’est-ce que la taxonomie et est-il surprenant que le gaz fossile et le nucléaire y aient été intégrés comme énergies vertes ?

 L’Union européenne a fixé pour objectif la neutralité carbone d’ici 2050. Il lui faut donc réduire les émissions de gaz à effet de serre. Pour atteindre cet objectif, elle a adopté une série de mesures regroupées sous l’appellation pacte vert qui vont modifier les comportements des citoyens européens. Pour ne prendre qu’un exemple, la semaine dernière, le Conseil européen a fixé un objectif de réduction des émissions de CO2 de 100% d’ici 2035 pour les voitures neuves. Autrement dit, en 2035 la vente de voitures neuves utilisant essence ou diesel (moteurs thermiques) sera interdite. On imagine, surtout en période de crise énergétique comme celle que l’on vit actuellement, les efforts que demandera le passage au tout électrique.

Pour atteindre la neutralité carbone, les efforts de sobriété doivent être accomplis par tous. La plupart des projets d’envergure ne peuvent pas être menés sans prêts des banques. Aussi, il est essentiel d’orienter la finance vers les investissements décarbonés. Tel est l’objet de la taxonomie qui est en fait une classification des activités économiques ayant un impact favorable sur l’environnement ayant pour objectif d’orienter les investissements vers les activités « vertes ». Celle-ci permet également d’éviter le greenwashing, technique consistant à qualifier improprement son comportement de vertueux en termes d’exigences environnementales. La taxonomie consiste ainsi en l’adoption de critères communs, acceptés et connus de tous.

L’Union européenne a adopté un premier règlement du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables. Ce règlement établit des critères de durabilité environnementale des activités économiques. Selon le règlement, une activité économique est considérée comme durable sur le plan environnemental si elle contribue substantiellement à un ou plusieurs des six objectifs environnementaux énoncés à son article 9 (ou ne cause aucun préjudice à ces objectifs): atténuation du changement climatique, adaptation au changement climatique, utilisation durable et protection des ressources aquatiques et marines, transition vers une économie circulaire, prévention et réduction de la pollution, protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes.

Ce règlement de 2020 doit être complété par des actes complémentaires. Le texte adopté par le Parlement européen la semaine dernière sur proposition de la Commission et intégrant le gaz fossile et le nucléaire dans la taxonomie est l’un de ceux-là.

L’incertitude planait pour le nucléaire. Pourtant, le classement de cette énergie dans la catégorie vertueuse devait aller de soi puisqu’elle ne génère pas de gaz à effet de serre. Incontestablement, il s’agit, en effet, d’une énergie décarbonée. Mais il y avait incertitude parce que la discussion technique est polluée, si on nous pardonne ce mauvais jeu de mots, par des considérations politiques et l’hostilité au nucléaire de certains partis au pouvoir en Europe. De façon constante, la France a défendu la neutralité technologique de la discussion autour de la taxonomie, c’est-à-dire l’absence d’exclusion a priori de certaines technologies. Le Parlement européen a donné satisfaction aux revendications françaises puisque le nucléaire et le gaz n’ont pas été exclus des financements verts. La victoire n’est cependant pas totale. Le règlement de 2020 institue deux régimes distincts : le régime des énergies renouvelables, qui sont privilégiées et les énergies de transition, catégorie dans laquelle figurent le gaz et le nucléaire.

Quel est l’enjeu essentiel pour la France d’intégrer le gaz fossile et le nucléaire comme énergies vertes ?

Le nucléaire, bien entendu. Le pouvoir politique en France a été pendant une dizaine d’années méfiant voire hostile au nucléaire. La loi de transition énergétique de 2015 avait fixé l’objectif inatteignable de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50% à l’horizon 2035, (contre 77% actuellement). L’horizon est un point que l’on n’atteint jamais. La loi relative à l’énergie et au climat du 8 novembre 2019 a d’ores et déjà repoussé cet objectif à 2035.

Cependant, alors que le président Macron a ordonné la fermeture de Fessenheim, la crise ukrainienne nous trouve fort dépourvue et nous oblige à trouver des alternatives au gaz russe. Aussi, le président a-t-il annoncé peu de temps avant sa réélection, la construction de six réacteurs nucléaires (EPR). Le vent a donc tourné.

Pour mener à bien cette politique, il faut beaucoup d’argent (un peu plus de 50 milliards d’euros) et EDF n’en a pas les moyens, handicapé notamment par l’obligation qui lui est faite de vendre l’électricité produite à partir du nucléaire, à ses concurrents, à prix coutants (voir Article sur notre Blog), cette  condition ayant été posée par l’Union européenne pour garantir une réelle concurrence sur le marché de l’énergie afin qu’EDF ne soit pas avantagée par la possession du nucléaire déjà amorti. EDF a d’ailleurs si peu de moyens que Madame Borne a annoncé dans sa déclaration de politique générale la renationalisation d’EDF.

Pour pouvoir financer ces investissements très lourds dans le nucléaire, l’Etat aura donc besoin d’argent et il était donc vital que le nucléaire soit classé énergie vertueuse. Ce classement n’allait pas de soi car certains Etats européens sont violemment hostiles au nucléaire (Autriche, Luxembourg notamment). Mais, la France a pour autant pu obtenir satisfaction parce que d’autres Etats comme l’Allemagne  ont tourné la page du nucléaire mais sont en revanche, très favorables au gaz (pour remplacer le charbon). L’accord de la France et de l’Allemagne a donc permis d’obtenir l’adoption de cette solution satisfaisante.

Quelle est la conséquence concrète de cette intégration du nucléaire et du gaz fossile dans la taxonomie ?  

La classification approuvée par le Parlement européen devrait permettre à la France de mener à bien son ambitieux programme nucléaire sans devoir emprunter à des coûts prohibitifs. On a déjà idée des conséquences d’un classement négatif si on observe les conditions dans lesquelles l’industrie du tabac emprunte. La taxonomie irradie en effet, dans tout le secteur financier. Par exemple, les sociétés de gestion de portefeuille doivent donner une information sur les risques associés au changement climatique ainsi que sur ceux liés à la biodiversité (décret n°2021-663 du 27 mai 2021).

On rappelait plus haut que la France a varié en matière de politique énergétique : objectif de réduction rapide et drastique de sa part de nucléaire dans la production d’électricité, puis atténuation de l’hostilité et, enfin, relance ambitieuse, le tout en moins de dix ans. Ces incertitudes ont fait l’objet de critiques, de la part de la Cour des comptes notamment. Celle-ci avait démontré que le législateur poursuivait des objectifs contradictoires : réduction des émissions de gaz à effet de serre pour se conformer aux engagements internationaux de la France, notamment l’Accord de Paris et réduction de la part du nucléaire alors qu’il s’agit d’une énergie qui n’émet pas de gaz à effet de serre.

S’il réhabilite le nucléaire, le nouveau cours ne néglige pas les énergies renouvelables (énergie solaire, éolien) car les besoins en électricité vont devenir gigantesques : outre le passage au tout électrique pour les véhicules dès demain (2035), la nouvelle réglementation thermique applicable aux constructions nouvelles privilégie l’électricité au détriment du gaz. Le nucléaire ne pourra pas y suffire. Mais les énergies renouvelables posent d’autres problèmes : même si leurs coûts de production se réduisent, elles doivent être soutenues financièrement par des aides publiques qu’acquitte le contribuable et usager quand il achète son électricité. Or par temps de renchérissement du coût de l’énergie et d’inflation, le consentement à la taxe s’étiole.

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