Par Aurélien Antoine – Professeur à la Faculté de Droit de l’Université Jean-Monnet et Directeur de l’Observatoire du Brexit
«Décisif, probant et positif», tels sont les termes utilisés par Boris Johnson sur la BBC quant au vote de confiance qui lui a été accordé le lundi 6 juin. À l’issue de ce vote, un peu moins de 60% des députés ont souhaité le maintien de Boris Johnson à la tête du parti et donc du gouvernement britannique. Un résultat ambigu.

 Pour quelles raisons Boris Johnson a-t-il été soumis à un vote de confiance le 6 juin ?

Depuis son succès triomphal aux élections générales du 12 décembre 2019, Boris Johnson connaît un amoncellement de difficultés dont il est le premier responsable dans la plupart des cas. Le cours des événements et le contexte politique lui ont souvent permis de surmonter ces épreuves avec fortune. Accusé de ne pas avoir pris la mesure de la pandémie de Covid-19 au début de l’année 2020, le premier vaccin qui fut mis à l’actif de l’entreprise anglo-suédoise Astra-Zeneca a été habilement exploité pour marquer l’efficacité du gouvernement dans la campagne d’injections qui a suivi. À la fin de cette même année, Boris Johnson est parvenu à conclure un accord de commerce et de coopération avec l’Union européenne et à faire du Brexit une réalité concrète au 1er janvier 2021. Toutefois, l’application de ce texte, tout comme celle de l’accord de retrait et du Protocole nord-irlandais qui y est annexé, s’avère des plus ardues. Les Britanniques peinent aujourd’hui à percevoir les avantages de la sortie de l’Union, au point que, lors du discours du trône du 10 mai dernier, le gouvernement a annoncé un Brexit Freedoms Bill dont le but est de révéler toutes les potentialités économiques d’un Royaume-Uni libéré des contraintes européennes. À la lecture des publications ministérielles préalables à ce projet, il convient d’admettre que le flou domine. Surtout, la pandémie, puis la crise en Ukraine ont permis de dissimuler l’impact réel du Brexit sur la vie des Britanniques qui subissent une inflation galopante.

Cependant, l’événement qui est directement à l’origine du vote du 6 juin est le partygate. Ce scandale concerne le Premier ministre et d’autres personnalités de l’Exécutif pour des fêtes organisées à Whitehall tandis que le pays était confiné en vertu des règles parmi les plus strictes en Europe. La police métropolitaine de Londres a infligé plusieurs amendes aux ministres, dont Boris Johnson, pour des infractions répétées à la réglementation anti-Covid. Sue Gray, la haute fonctionnaire chargée de rédiger un rapport indépendant sur ces fêtes, a détaillé par le menu les actes inadmissibles et choquants des membres du cabinet et de leurs équipes. Face à toutes ces accusations qui ont émergé à la fin de l’année 2021, Boris Johnson a tenté de nier, quitte à ce que sa sincérité devant le Parlement soit contestée. La commission des privilèges parlementaires de la Chambre des Communes a diligenté une enquête pour faute en avril afin de déterminer s’il y a eu un outrage au Parlement de la part du Premier ministre (contempt of Parliament). Boris Johnson s’est toutefois excusé sans estimer devoir démissionner. Au pays du rule of law, principe de nature juridique et politique, la condamnation à une peine d’un Premier ministre dans l’exercice de ses fonctions doit, en toute logique, conduire à l’engagement de sa responsabilité politique. Ce fut fait le 6 juin dernier. Il faut y voir un signe supplémentaire, après la crise liée au Brexit en 2019, de la pérennité de la responsabilité politique outre-Manche à laquelle la responsabilité pénale ne s’est pas substituée. Les deux responsabilités continuent donc de coexister de façon relativement cohérente dans une démocratie parlementaire.

En quoi la procédure qui s’est déroulée le 6 juin à l’encontre de Boris Johnson a-t-elle consisté ?

Cette procédure doit être distinguée d’une motion de censure qui serait adoptée contre le gouvernement par la majorité des députés de la Chambre des Communes. Celle qui a été annoncée quelques heures après le terme des festivités du jubilé de la reine Élisabeth II est interne au parti conservateur auquel appartient B. Johnson. Son cadre a été établi en 1998. Lorsque le leader du parti est Premier ministre, sa défaite entraîne automatiquement sa démission en vertu d’une convention constitutionnelle.

Pour que la procédure soit lancée, 15 % des MPs du parti conservateur qui, par la force des choses, n’ont pas de fonctions ministérielles (les backbenchers) doivent adresser une lettre au président du Comité 1922 (« the 22 », groupement qui assure la coopération et la coordination entre les backbenchers tory). C’est donc 54 missives que Graham Brady, président du Comité 1922 a réunies avant d’appeler tous les MPs à voter, y compris les frontbenchers et le Premier ministre. La défiance est acquise lorsque 50 % plus une voix sont portés sur le non à l’expression de la confiance à l’égard du chef du parti. Il aurait fallu 180 votes pour y parvenir le 6 juin. Boris Johnson a obtenu 59 % des voix (211 votes en sa faveur, contre 148). Seul Ian Duncan Smith, alors chef de l’opposition, fut contraint à la démission en 2003.

Le succès de Boris Johnson dans ce scrutin interne au parti conservateur signifie-t-il que son avenir au 10 Downing Street est garanti jusqu’aux prochaines élections de 2024 ?

En vertu des règles du Comité, une nouvelle procédure de défiance ne pourra être enclenchée à nouveau que dans 12 mois. En apparence, Boris Johnson peut donc être rassuré. Néanmoins, en mai 2019, en pleine crise du Brexit, Theresa May avait dû annoncer sa démission alors même qu’elle avait bénéficié d’un large soutien de ses collègues conservateurs cinq mois plutôt. Le scrutin du 6 juin est, dans tous les cas, une mauvaise nouvelle pour le Premier ministre. Il concrétise une rupture avec une frange certes minoritaire, mais substantielle du parti conservateur. Portés par un score plus élevé qu’attendu, certains frondeurs ont d’ores et déjà prévu qu’ils déposeront des propositions de loi ou des motions afin de gêner l’agenda gouvernemental, en particulier sur le projet de loi relatif au protocole nord-irlandais. Boris Johnson pourrait, en outre, être mis en difficulté si les conservateurs sont humiliés lors des deux élections législatives partielles qui se dérouleront le 23 juin prochain dans le West Yorkshire (circonscription de Wakefield) et le Devon (circonscription de Tiverton and Honiton). En dernier lieu, les conclusions du rapport de la commission des privilèges parlementaires dans le cadre du partygate, si elles aboutissaient à la caractérisation d’un contempt of Parliament, seraient de nature à exercer une pression politique forte pour que le Premier ministre se retire.

Il convient, toutefois, de ne pas négliger l’aptitude de Boris Johnson à toujours retomber sur ses pattes, ce qui lui vaut d’être parfois surnommé « le chat ». Aucune figure du parti conservateur ne semble se distinguer pour le remplacer. Les MPs qui ont soutenu la défiance condamnent d’abord une attitude et un mode de gouvernement plus que le fond de sa politique. Il n’y a guère de programme alternatif au sien parmi les tories, contrairement à l’époque où Theresa May avait dû démissionner. Le contexte international est également favorable à Boris Johnson qui affiche une proximité partagée avec Volodymyr Zelenski. Toujours sur le front externe, les suites du Brexit pourraient une fois de plus faire les frais de la grande aptitude du Premier ministre à détourner l’attention de l’opinion de ses frasques. Il se plaît, en effet, à exploiter les relations tendues avec l’UE pour briller à peu de frais sur le thème de la liberté des Britanniques contre le prétendu carcan autoritaire européen. Enfin, et de façon plus accessoire, l’Exécutif a retrouvé toute latitude pour dissoudre le Parlement en vertu du Dissolution and Calling of Parliament Act 2022. Boris Johnson pourrait provoquer des élections anticipées si, à un moment ou à un autre, le contexte lui paraissait plus favorable. Les événements majeurs de ces dernières années (Brexit, pandémie et guerre en Ukraine) ont montré combien il convenait de rester prudent sur le destin politique de dirigeants toujours aptes à tirer profit des circonstances.

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