Par Benjamin Pitcho, Avocat à la Cour, Ancien membre du Conseil de l’Ordre

En ayant introduit de nombreux dispositifs dérogatoires au secret médical, le législateur et le gouvernement ont démontré la faiblesse de la protection accordée aux données de santé. Celles-ci débordent la sphère médicale pour devenir une composante du droit au respect de sa vie privée, dont la protection mérite une amélioration.

L’état d’urgence sanitaire, créé par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 qui a introduit les articles L. 3131-12 et suivants au Code de la santé publique, a conduit à limiter l’exercice de nombreuses libertés publiques. Sa durée initiale n’a pas permis de constater la résorption de la pandémie de Covid-19 et la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 a donc prévu différentes dispositions pour sa prorogation jusqu’au 11 juillet 2020. Alors que cette échéance approche, différents pays connaissent une remontée des taux de contamination. Il est donc envisagé que notre pays puisse sortir de l’état d’urgence, tout en maintenant l’existence de certains dispositifs dérogatoires. Tel est précisément l’objectif du projet de loi n° 3077 organisant la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Ce projet constitue déjà un paradoxe : il ne devrait normalement exister aucun dispositif visant à « organiser » la fin de l’état d’urgence puisque, ce régime dérogatoire est par nature provisoire et que, à l’échéance de la période prévue, le droit commun devrait trouver à s’appliquer à nouveau. Il s’agit donc d’un nouvel état d’urgence, qui ne dit plus son nom mais comporte toutes les possibilités d’aménagements et de restrictions aux libertés publiques et droits fondamentaux.

Les dérogations significatives au secret professionnel

Dans ces différents dispositifs, le secret professionnel a connu de nombreux aménagements. L’article 11 de la loi du 11 mai 2020 a ainsi permis la création d’un dispositif pour les systèmes d’informations mis en œuvre « aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19 et pour la durée strictement nécessaire à cet objectif ou, au plus, pour une durée de six mois à compter de la fin de l’état d’urgence ». Il permet la collecte de nombreuses informations sur l’état de santé d’une personne dans ce but, par de très nombreux intervenants qui n’appartiennent pas aux professions de santé. Il offre surtout la possibilité d’assurer la collecte de données qui ne sont pas médicales, mais liées à l’environnement social de l’individu. Sont par exemple concernées l’identification des personnes infectées, les prescriptions médicales et examens biologiques mis en œuvre, leurs résultats positifs ou négatifs, les personnes présentant un risque d’infection, les contacts de ces personnes par la mise en œuvre d’enquêtes sanitaires, l’orientation des personnes infectées et les mesures d’isolement nécessaires ainsi que de prophylaxie, les données de surveillance épidémiologique, etc.

La loi prévoit d’ailleurs expressément qu’une telle collecte est faite en dérogation des dispositions de l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique relatif à l’organisation du secret médical. Elle précise aussi que cette collecte est organisée « le cas échéant sans le consentement des personnes intéressées ».

Sur le fondement de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, le gouvernement a en outre assuré la création de l’application StopCovid, installée sur des smartphones et qui permet, par le recours à des techniques de traçage, de déterminer les personnes récemment en contact avec des individus contaminés. Cette application, pour laquelle la CNIL a successivement publié deux délibérations n° 2020-046 du 24 avril 2020 puis n° 2020-056 du 25 mai 2020, aurait dû permettre d’endiguer la propagation de l’épidémie, ainsi que cela a été fait en Corée du Sud.

Enfin, la loi organisant la sortie de l’état d’urgence a prévu la prorogation de ces atteintes au secret médical. Son troisième et dernier article prévoit que la durée de conservation de certaines données peut être organisée, après différents avis, au-delà de la période de prorogation de l’état d’urgence. Cet état intermédiaire de sortie de l’état d’urgence conservera donc inscrit dans notre droit positif la possibilité de collecter et accéder à de nombreuses données sans l’avis des personnes concernées, alors même que la menace s’affadit et disparaît.

L’intérêt limité des atteintes au secret professionnel

Il est vrai que les données de santé, et les données en général, constituent une précieuse ressource qui permet notamment le développement d’outils d’intelligence artificielle. Le secret professionnel demeure pourtant l’un des fondements de l’exercice professionnel, dont la violation est prévue par l’article 226-13 du Code pénal, tandis que l’article R. 4127-4 du Code de la santé publique rappelle qu’il est institué « dans l’intérêt des patients ».

Il représente l’un des piliers de notre démocratie, comme l’écrivait déjà Maurice Garçon : « le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur, le catholique un confesseur, mais ni le médecin, ni l’avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n’étaient assurées d’un secret inviolable. Il importe donc à l’ordre social que ces confidents nécessaires soient astreints à la discrétion et que le silence leur soit imposé sans condition ni réserve, car personne n’oserait plus s’adresser à eux si l’on pouvait craindre la divulgation du secret confié. Ce secret est donc absolu et d’ordre public ».

L’ampleur des dérogations au secret, autant que leur systématisation, modifie sensiblement le rapport de confiance qui peut exister entre le professionnel et son patient, entre le citoyen et l’administration qui assure et gère la collecte de ses données. Si ces autorités ne constituent plus des gardiens scrupuleux des informations communiquées, les malades développent des stratégies d’évitement. Plutôt qu’assurer une lutte efficace contre l’épidémie, la fuite organisée des données provoque au contraire des refus de traitements du fait des conséquences subies en cas de consultation d’abord puis de contamination affichée ensuite.

Le régime organisé par l’état d’urgence sanitaire contredit directement l’histoire la plus récente des dispositifs de lutte contre les épidémies, et notamment celles du VIH. A titre d’exemple, il sera rappelé que l’article L. 1112-4 du Code de la santé publique interdit au médecin de révéler à un tiers le risque de contamination par le patient qu’il traite et que l’article L. 3113-1 du même Code prévoit les conditions de protection de l’anonymat pour les déclarations obligatoires de certaines maladies.

Les mesures volontaires de lutte contre l’épidémie échouent donc devant la disproportion de la menace aux libertés individuelles. Le dispositif prévu par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 a ainsi semblé tellement large que le Conseil constitutionnel l’a censuré ou entouré de nombreuses réserves d’interprétations dans sa décision DC n° 2020-800 du 11 mai 2020. Quant à StopCovid, son taux d’installation est aujourd’hui si bas qu’elle ne présente aucune utilité réelle, n’ayant finalement permis d’identifier que 68 personnes contaminées et 14 notifications de contact à risque. Sans recours à des mesures volontaires de quatorzaine, elle ne présente au surplus aucune utilité pour l’éradication de l’épidémie.

L’intégration des données de santé à la vie privée

Ces dispositifs démontrent enfin qu’il est illusoire d’isoler le secret professionnel d’une appréciation plus large du respect dû à la vie privée des personnes. La lutte contre l’épidémie a ainsi nécessité la collecte d’un ensemble de données qui ne sont pas strictement médicales ni sanitaires mais demeurent indispensables au suivi de la maladie dans le pays. Alors que de nombreux dispositifs techniques telles que smartphones ou montres connectées permettent le recueil d’informations normalement réservées à des médecins, la limite s’atténue progressivement entre secret professionnel et vie privée. Plus précisément, la seule existence d’un spécialiste – professionnel de santé – n’est pas un critère suffisant afin de déterminer les conditions de protection des données sensibles dorénavant accessibles à tous. La réflexion doit donc être ouverte, ensuite de l’introduction du RGPD, sur une protection plus systématique de ces données, autrefois réservées aux professionnels et qui circulent aujourd’hui librement.

Les historiens révèlent souvent qu’une épidémie agit comme un miroir grossissant des réalités sociales, que la menace et le danger magnifient. Tel aura été le cas de l’accès aux données normalement couvertes par le secret professionnel, dont la transparence aura été dévoilée à cette occasion.

 

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