Par Marc Le Roy – Docteur en droit – Enseignant en droit de l’audiovisuel et du cinéma aux universités de Nantes et de Lyon-3 et au CEIPI de Strasbourg – Directeur de Droit des Arts

Le groupe allemand Bertelsmann a annoncé en janvier dernier vouloir se séparer des activités françaises de sa filiale RTL Group qui détient 48,26% de la société Métropole Télévision (Groupe M6) qui détient elle-même des participations dans plusieurs sociétés éditrices de stations de radio et chaînes de télévision dont M6, 6ter, Gulli et W9. Après l’échec de la vente de cette participation à TF1 pour des raisons de concurrence, plusieurs acteurs ont fait valoir leur intérêt pour une acquisition de la part détenue par RTL Group. Si Bertelsmann souhaite toujours se séparer de cette participation, la société pourrait rencontrer plusieurs obstacles posés par le droit de l’audiovisuel français. Pour autant, si une vente se fait, elle pourrait l’être au bénéfice d’un producteur de programmes audiovisuels. Le droit de l’audiovisuel français devrait néanmoins empêcher dans une telle situation que les chaînes acquises se transforment en simples diffuseurs des contenus produits par leur nouveau propriétaire.

Quels sont les obstacles qui se dressent face à la vente du groupe M6 ?

Le principal obstacle rencontré par Bertelsmann est le temps, ce qui n’est jamais bon pour un vendeur qui souhaite vendre au meilleur prix. Pour que la cession de contrôle de Métropole Télévision soit valable, l’Autorité de la concurrence (ADLC) et l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM ex CSA) devront rendre des décisions sur une éventuelle vente. Or ces décisions ne peuvent être rendues qu’après un travail long et complexe de ces autorités indépendantes. La vente doit pourtant se faire rapidement c’est-à-dire avant le 5 mai 2023 date à laquelle l’autorisation d’émettre par voie hertzienne accordée à l’éditeur de la chaîne M6 (navire amiral du groupe) doit être renouvelée par l’ARCOM.

En effet, le droit de l’audiovisuel est organisé par la loi du 30 septembre 1986 (plusieurs fois modifiée depuis cette date) qui prévoit en son article 30 que l’utilisation du domaine hertzien – qui fait partie du domaine public – doit être accordée à une chaîne de télévision par l’ARCOM. L’autorisation attribuée en 2008 à la société Métropole Télévision (éditrice de la chaîne M6) a déjà été reconduite deux fois (maximum autorisé par la loi de 1986) et arrive à son terme le 5 mai 2023. Une nouvelle autorisation devra en conséquence être délivrée par l’ARCOM pour permettre à cette chaîne de continuer à émettre par voie hertzienne. Sans cette autorisation, seule la diffusion non soumise à autorisation, c’est-à-dire la diffusion non hertzienne (diffusion via Canal distribution (Mycanal…) et par les fournisseurs d’accès internet, diffusion directement en ligne par le groupe (OTT)…), serait possible ce qui ferait perdre à cette chaîne une audience considérable.

Le problème est que, passée cette date, si l’autorisation est de nouveau délivrée, la loi de 1986 prévoit en son article 42-3 que l’ARCOM ne pourra pas  agréer une modification du contrôle de la société titulaire de l’autorisation (Métropole Télévision dans notre cas) si cette modification intervient  dans un délai de cinq ans à compter de cette délivrance. Une exception est toutefois posée : en cas de difficultés économiques menaçant la viabilité de cette société.

Or ces difficultés économiques semblent difficilement pouvoir être évoquées pour le groupe Métropole Télévision car ses derniers résultats sont excellents. Il en résulte qu’une fois la nouvelle autorisation d’utilisation du spectre hertzien délivrée à l’éditeur de la chaîne M6, il sera nécessaire pour Bertelsmann d’attendre cinq ans avant de pouvoir vendre une partie substantielle du capital social de cette société qui possède par ailleurs les sociétés éditrices des autres chaînes hertziennes du groupe. Pour le dire autrement, passé le 5 mai 2023, toute vente importante d’une partie du capital social de Métropole Télévision est bloquée jusqu’en mai 2028. La vente doit donc se faire avant le 5 mai 2023 ou il faudra attendre cinq ans avant de pouvoir y procéder.

Quels sont les éléments qui seront appréciés par l’ARCOM pour valider une éventuelle modification du capital des éditeurs de chaînes, et donc de Métropole Télévision ?

La procédure est organisée par l’article 42-3 de la loi de 1986. En cas de modification du contrôle direct ou indirect d’une société éditrice d’une chaîne hertzienne, il est nécessaire d’obtenir de l’ARCOM un agrément (pour un exemple, v. CSA, décision n° 2018-222 du 20 avril 2018, portant agrément de la modification du contrôle de la société Groupe News Participations). Faute d’agrément, l’autorisation peut être retirée. Afin d’attribuer l’agrément, l’ARCOM prend en compte le « respect par l’éditeur, lors des deux années précédant l’année de la demande d’agrément, de ses obligations conventionnelles relatives à la programmation du service». Il sera ainsi par exemple pris en compte le respect des quotas de diffusion d’œuvres françaises et européennes ou le respect des horaires de programmation prévus dans les conventions liant les éditeurs de chaînes à l’ARCOM (cette convention est obligatoire pour un service hertzien).

Au surplus, le sixième alinéa de l’article 42-3 de la loi de 1986 dispose que pour les chaînes nationales pour lesquelles la modification du contrôle « est susceptible de modifier de façon importante le marché en cause, l’agrément est précédé d’une étude d’impact, notamment économique, rendue publique dans le respect du secret des affaires ». Une telle étude devra être effectuée par l’ARCOM en l’espèce. Seront alors notamment pris en compte : l’impact de la modification du contrôle sur la diversité des opérateurs présents sur le marché ; l’impact sur le marché de l’acquisition des droits de diffusion ; l’impact de la modification sur les parts de marché en termes d’audience et de performances publicitaires ; la diversité de l’offre de programmes (pour un exemple d’étude d’impact, v. ARCOM, Etude d’impact de la demande d’agrément de la prise de contrôle exclusif de la chaîne 6ter par le groupe Altice, Juillet 2022). Enfin, il appartient également à l’ARCOM de vérifier si la modification du contrôle n’emporte pas des conséquences prohibées par les articles 41-1 et suivants de la loi de 1986 qui visent à prévenir les effets de concentration dans le secteur des médias. Une fois saisie l’ARCOM met en moyenne trois mois pour répondre à une demande de modification.

Banijay, groupe de production audiovisuelle, aurait candidaté au rachat de Métropole Télévision. La vente à un producteur de programmes pourrait-elle transformer les chaînes du groupe en simple diffuseur de ces programmes ?

Les candidats à l’achat des parts détenues par Bertelsmann dans la société Métropole Télévision ne sont pas encore officiellement connus mais la presse fait échos de plusieurs prétendants dont certains sont également producteurs de programmes audiovisuels. L’achat d’une part importante du capital social du groupe Métropole Télévision permettrait-il à un producteur de faire des chaînes du groupe une vitrine de ses programmes ? Une telle situation pourrait porter atteinte au pluralisme et à la diversité des programmes tout en empêchant d’autres producteurs de vendre leurs programmes aux nombreuses chaînes du groupe (effet de concentration verticale).

Fort heureusement, le droit de l’audiovisuel français empêche un tel scénario. Tout d’abord, l’ARCOM et l’ADLC ne manqueront pas de contrôler ces risques au moment de la vente. Ensuite, les chaînes de télévision hertziennes et non hertziennes qui émettent en France ont des obligations d’investissement dans les œuvres cinématographiques (les œuvres qui sortent au cinéma en France) et audiovisuelles (celles qui ne sortent pas au cinéma). Deux décrets de 2021 (un décret pour les chaînes hertziennes et l’autre pour les chaînes non hertziennes) prévoient que les chaînes doivent consacrer deux tiers de ces obligations (à savoir 15% au moins du chiffre d’affaires pour les chaînes hertziennes) dans de la production audiovisuelle indépendante, c’est-à-dire des investissements dans des œuvres dans lesquelles l’éditeur de service ne détient pas directement ou indirectement des parts de producteurs. Est ainsi réputée indépendante d’un éditeur de services l’entreprise de production dans laquelle l’éditeur de services ou la ou les personnes le contrôlant ne détiennent pas, directement ou indirectement, de part du capital social ou des droits de vote.

Un producteur qui détient des parts de capital social d’un éditeur de chaîne devra donc laisser une place aux productions de sociétés qui ne lui sont pas capitalistiquement liées comme l’a rappelé l’ADLC en 2018 (v. point n° 33) dans sa décision relative à l’achat par TF1 du producteur audiovisuel Newen. On pourra objecter que ces investissements dans l’indépendant se limitent à deux tiers de l’obligation d’investissement dans l’audiovisuel (deux tiers de 15% du chiffre d’affaires). Une fois ces deux tiers atteints, la chaîne est libre de dépenser son argent comme bon lui semble en matière d’achat de droits de diffusion d’œuvres audiovisuelles. Les capacités d’investissement d’une chaîne ne sont néanmoins pas infinies. Au surplus, les sommes que les chaînes du groupe M6 auront chaque année à consacrer à la production indépendante ne sont pas négligeables et permettent de garantir que ces chaînes ne deviennent pas de simples diffuseurs de la production d’un de leurs actionnaires. On notera également que l’ARCOM a la possibilité d’imposer une part d’obligation d’investissement dans les œuvres indépendantes supérieure aux deux tiers prévus par le décret de 2021 consacré aux chaînes hertziennes. Cette possibilité pourrait s’avérer intéressante si un producteur venait à contrôler le groupe Métropole Télévision.

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