Par Sébastien Mabile – Avocat, docteur en droit (Seattle Avocats), membre de la commission environnement du Club des juristes

La proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France a été adoptée au Sénat en première lecture le 13 janvier. Ce texte doit permettre de contenir la pollution générée par l’utilisation d’outils numériques – ordinateurs, smartphones, centres de données, domotique, etc. – évaluée à 2% dans les émissions de gaz à effet de serre de la France.

Pourquoi une loi sur l’impact environnemental des usages numériques ?

L’empreinte environnementale des usages numériques, en particulier le streaming qui représente en France 60% du trafic de données, reste difficile à évaluer en raison de chaînes de valeurs complexes et internationalisées. La mission d’information de la commission du développement durable du Sénat, créée le 14 décembre 2019, a évalué à 2% la part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre en France (3,7% au niveau mondial, l’équivalent du transport aérien), la fabrication des terminaux (téléphones, smartphones, ordinateurs et autres tablettes) représentant 70% de ce bilan carbone [1]. Les usages numériques nécessitent également l’extraction de minéraux et génèrent des quantités considérables de déchets. Contrairement aux transports ou à l’agriculture, la pollution générée par les usages numériques est invisible, 80% des émissions du secteur étant produites à l’étranger, si bien que « nous sommes dans le ressort de l’impensé » indiquait Arnaud Leroy, président de l’Ademe, devant les membres de la commission le 5 février 2020. « D’ici à 2025, les émissions du secteur numérique équivaudront à celles de l’Inde, le quatrième émetteur mondial », poursuivait-il. En effet, les usages numériques croissent de manière exponentielle et pourraient représenter 7 % des émissions de gaz à effet de serre de la France dès 2040. Pourtant, les solutions numériques contribuent aussi à la transition écologique en faisant progresser l’économie circulaire et en soutenant la décarbonation de tous les secteurs : agriculture de précision, bâtiments intelligents ou espaces de données écologiques, reposent sur l’utilisation des technologies numériques. Le défi réside donc à réduire l’empreinte environnementale du numérique dans un contexte de très forte croissance du secteur. C’est le sens de la proposition de loi adoptée en première lecture par le Sénat le 13 janvier dernier [2].

Que prévoit cette proposition de loi ?

La proposition de loi reprend des propositions du rapport d’information « pour une transition numérique écologique » et s’articule autour de trois objectifs : le premier vise à faire prendre conscience aux utilisateurs du numérique de son empreinte environnementale. Les sénateurs proposent par exemple d’inscrire l’impact environnemental du numérique dans le bilan RSE des entreprises. Le texte a été enrichi en séance par une disposition visant à informer le consommateur, dès 2022, des émissions de gaz à effet de serre associées au visionnage d’une vidéo. Le second objectif vise à limiter le renouvellement des terminaux, et en particulier des smartphones dont la durée de vie en France est de seulement 23 mois. Il est proposé de renforcer les dispositifs sanctionnant l’obsolescence programmée ou de faire passer de deux à cinq ans la durée de la garantie légale de conformité pour les équipements numériques. Le troisième objectif est de promouvoir le développement d’usages du numérique écologiquement vertueux : éco conception de sites web, incitation à l’usage du wifi ou encore interdiction du lancement automatique des vidéos. Dans un contexte marqué par des oppositions au déploiement de la 5G en raison de l’augmentation du trafic de données qu’il va générer, les sénateurs proposent d’imposer aux opérateurs de réseaux des plans pluriannuels contraignants de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Il convient de rappeler que le Haut Conseil pour le Climat estime que la 5G pourrait conduire à une hausse allant jusqu’à 45 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur d’ici à 2030 [3]. Il faut donc souhaiter que la proposition de loi poursuive son parcours législatif devant l’Assemblée nationale.

Ces mesures, si elles sont adoptées, seront-elles suffisantes ?

Dans un secteur aussi mondialisé que celui du numérique, il est indispensable d’agir au-delà du seul cadre national. Au niveau européen, la Commission Européenne a fixé un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2030 des réseaux de télécommunications et des centres de données [4]. Au-delà des États et des organisations internationales, il appartient à l’ensemble des acteurs du numérique d’opérer leur mutation, sous peine que des mesures brutales viennent freiner leur croissance. C’est le sens de « l’Entertainment Pact », engagement partagé par des chercheurs, artistes, scientifiques, universités, personnalités et entreprises du divertissement pour traiter les problèmes environnementaux résultant de l’hyper-croissance du secteur [5]. Son but est de faire prendre conscience aux leaders du secteur du divertissement et de la culture numériques de l’impact direct et indirect de leur activité tout en soutenant les solutions destinées à réduire leur empreinte écologique. Cette prise de conscience conjointe du législateur et des professionnels de la culture et du divertissement vise à surmonter le défi de réduire l’empreinte d’usages qui apparaissent, particulièrement en temps de pandémie, indispensables pour une partie croissante de l’humanité.

[1] « Pour une transition numérique écologique », Rapport d’information n° 555 (2019-2020) de MM. Guillaume CHEVROLLIER et Jean-Michel HOULLEGATTE, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, déposé le 24 juin 2020.

[2] Proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France déposée par MM. Patrick CHAIZE, Guillaume CHEVROLLIER, Jean-Michel HOULLEGATTE et Hervé MAURE.

[3] Haut Conseil pour le climat, « Maîtriser l’impact carbone de la 5G », décembre 2020.

[4] Communication de la Commission au Parlement européen, au conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions, « Façonner l’avenir numérique de l’Europe », COM(2020) 67 final, 19 février 2020.

[5] L’auteur de cet article est, aux côtés de Me François Ronget du cabinet Seattle Avocats, le conseil des promoteurs de l’Entertainment Pact.