Par Michel Degoffe, Professeur de droit public à l’Université de Paris

La Commission européenne a publié le 29 avril 2021 une étude relative au statut des nouvelles techniques génomiques dans le droit de l’Union européenne et à la lumière de l’arrêt rendu le 25 juillet 2018 par la Cour de justice dans l’affaire C-528/16. La Commission répondait à une sollicitation du Conseil de l’Union européenne qui lui avait demandé de présenter avant le 30 avril 2021 une étude sur ces nouvelles techniques. Les nouvelles techniques génomiques (NTG) sont des techniques capables de modifier le matériel génétique d’un organisme. La France est en première ligne dans ce débat sur les OGM, le document en cause le révèle si besoin est puisque la France est, indirectement, à l’origine de ce document.

Quelle est l’origine de l’étude de la Commission sur les nouvelles techniques génomiques ?

Comme l’indique le titre même de l’étude de la Commission, il s’agit de répondre à la situation engendrée par un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne. Or, dans cet arrêt, la Cour de justice de l’Union européenne répondait à une question préjudicielle posée par le Conseil d’État français. Ce dernier était saisi d’un recours par un syndicat agricole, la confédération paysanne et plusieurs associations (les Amis de la Terre, par exemple). Ces justiciables demandaient l’abrogation d’une disposition réglementaire du code de l’environnement permettant la culture et la commercialisation de variétés de colza rendues tolérantes aux herbicides (art. D. 531-2). Ce colza était obtenu par mutagénèse. Les requérants soutenaient que cette technique relevait de la réglementation OGM (résultant principalement d’une directive 2001/18/CE du 12 mars 2001). Elle devait donc se plier à l’évaluation et aux autorisations découlant de cette directive. Le code de l’environnement (art. L. 531-2) fait la distinction entre ce qui relève de l’OGM et des « techniques qui ne sont pas considérées, de par leur caractère naturel, comme entraînant une modification génétique ou par celles qui ont fait l’objet d’une utilisation traditionnelle sans inconvénient avéré pour la santé publique ou l’environnement ». La liste de ces techniques est donnée par décret, décret codifié à l’article D. 531-2 précité. Y figure la mutagénèse. Les justiciables contestaient cette exclusion de la mutagénèse de la réglementation OGM. Le règlement du litige nécessitait une interprétation de la directive de 2001. Le Conseil d’État a renvoyé cette question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne qui y a répondu dans son arrêt de 2018.

Les techniques de mutagénèse relèvent-elles de la réglementation OGM ?

La directive de 2001 donne la définition suivante de l’organisme génétiquement modifié : un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou recombinaison naturelle. Le Haut conseil des biotechnologies (HCB) définit la mutagénèse comme un processus de formation de mutations sachant que la définition du vivant repose sur la capacité intrinsèque à muter. La mutagénèse consiste à susciter cette mutation en utilisant un agent ou une méthode (mutagénèse induite que le HCB distingue de la mutagénèse spontanée). La mutagénèse induite vise donc à accélérer les mutations qui normalement sont spontanées.

Dans sa question préjudicielle, le Conseil d’État distinguait, lui aussi, les techniques de mutagénèse in vivo, utilisées de longue date et qui n’ont jamais posé de problèmes pour la santé ou l’environnement des techniques plus récentes in vitro qui ont permis de créer de nouvelles variétés résistant aux herbicides. On ne sait pas si celles-ci ne présentent pas des risques comparables à ceux que peuvent présenter les OGM et qui nécessitent donc qu’elles soient soumises à la même réglementation.  Reprenant la définition de l’OGM donnée par la directive de 2001, la Cour de justice juge que la mutagénèse peut dans certaines de ses applications entrer dans cette définition : il y a modification du matériel génétique qui ne s’effectue pas naturellement. Selon elle, les organismes obtenus par mutagénèse relèvent, en principe, de la réglementation européenne sauf « les organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagenèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ». L’article D. 531-2 du code de l’environnement était donc contraire à la directive de 2001 ainsi interprétée en ce qu’il excluait, par principe, la mutagénèse de la réglementation OGM alors que la Cour de justice indique sommairement  qu’il faut distinguer en son sein les méthodes traditionnelles (exclues de la réglementation OGM) et les méthodes nouvelles (inclues). Tirant les conséquences de cet arrêt, le Conseil d’État a donc donné six mois au Premier ministre pour modifier cet article D. 531-2 (CE 7 février 2020, n°388649). Pour l’instant, cette modification n’a pas été opérée. Mais le gouvernement a présenté un projet de décret au Haut conseil des biotechnologies qui a rendu son avis le 29 juin 2020. Le HCB a validé un autre avis le 3 décembre 2020 dans lequel il listait un nombre assez important d’erreurs contenues dans le premier avis. Le comité scientifique du HCB conclut de façon rassurante son avis : il n’identifie pas de différences biochimiques entre les mutations qu’elles soient obtenues par mutagénèse aléatoire ou spontanément.

Une modification de la directive de 2001 n’entraînera-t-elle pas une nouvelle fronde française ?

Tout porte à le croire. Il n’y a pas de raison que les divers syndicats et associations qui ont obtenu la réintégration de certaines formes de mutagénèse dans la réglementation OGM, en suscitant le litige que l’on vient de décrire, acceptent sans sourciller une modification réglementaire qui aurait pour but de les encourager. Le débat devrait permettre aux protagonistes de développer des arguments déjà entendus par le passé. La Commission constate que la recherche sur les NTG se déroule ailleurs que dans l’Union européenne, que l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, en les soumettant à la réglementation OGM, freine leur développement. Elle souhaite que l’Union européenne ne reste pas à l’écart de ce développement qui pourrait permettre d’atteindre certains des objectifs qu’elle a affichés dans son pacte vert (pacte adopté en 2020 dont l’objectif est d’atteindre la neutralité carbone en 2050). Dans son étude, elle donne l’exemple de plantes plus résistantes aux maladies ce qui pourrait réduire l’usage des produits phytopharmaceutiques. Cette foi dans le progrès, déjà exprimée dans le passé, n’a pas ému l’opinion française. Il y a une quinzaine d’années, l’Union européenne avait autorisé la commercialisation du maïs OGM Monsanto. La France s’était opposée à sa culture en France en violation donc de cette autorisation européenne. La France, c’est-à-dire les associations, certains maires et le gouvernement même qui avait systématiquement fait jouer une clause de sauvegarde alors que la Cour de justice de l’Union européenne avait jugé que les conditions d’invocation de cette clause prévue par la réglementation européenne n’étaient pas réunies. Cette opposition avait fait plier l’Union européenne qui a modifié les textes pour permettre aux États d’autoriser ou pas la culture d’OGM chez eux (directive du 11 mars 2015). La France a, bien entendu, choisi cette seconde option. Le marché français est donc fermé aux OGM. La France a renoncé également à l’expérimentation en plein (ce que les textes européens appellent la dissémination volontaire). En effet, les « faucheurs anti-OGM » ont détruit l’expérimentation de pieds de vigne OGM à Colmar et l’INRA n’a pas demandé le renouvellement de l’autorisation qu’elle menait sur des peupliers qui auraient pu être utilisés comme biocarburants. Ces péripéties ont rendu sans effet la loi de 2008 votée à la suite du Grenelle de l’environnement qui était une loi de pacification : pour les anti-OGM, le gouvernement annonçait un moratoire sur le maïs Monsato et la création d’une autorité administrative indépendante, le haut conseil des biotechnologies (HCB) pour se livrer à une évaluation. Pour satisfaire les pro-OGM, la loi devait à la fois permettre l’expérimentation et renforcer l’évaluation. Les sanctions visant ceux qui détruisent des expérimentations étaient renforcées (l’article L. 671-15 du code rural prévoit trois ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende pour celui qui détruit ou dégrade une parcelle de culture OGM autorisée à titre d’essai). Finalement, les auteurs de la destruction de Colmar ont été condamnés à 2 000 euros d’amende alors qu’il aurait coûté 1,2 million d’euros à l’INRA pour relancer l’expérimentation, Finie l’expérimentation donc. Les conditions ont-elles changé pour qu’une réforme des textes européens ne débouche sur les mêmes réactions ?

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