Par Philippe Conte – Professeur de droit privé à l’Université Paris-Panthéon-Assas

Un haut responsable de la police a déclaré : « De façon générale, je considère qu’avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison, même s’il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail ». Ces propos nécessitent un rappel des règles juridiques en la matière.

Quelles sont les conditions d’un placement en détention provisoire ?

Cette mesure ne peut être décidée qu’au cours d’une instruction, à la condition que l’intéressé ait été au préalable mis en examen par un juge d’instruction pour un délit punissable d’emprisonnement ou un crime. Pareille décision postule qu’il existe à l’encontre de l’intéressé plusieurs « charges », devant être « graves ou concordantes ». C’est en raison de la lourdeur de ces soupçons que la personne mise en examen peut être placée en détention, non pas, d’ailleurs, par le juge d’instruction, risquant d’être partial, mais par le juge des libertés et de la détention (JLD). Cette situation suppose donc le contrôle successif de deux magistrats du siège, indépendants du pouvoir politique. Le JLD prend sa décision à l’issue d’une procédure contradictoire, l’intéressé ou son avocat pouvant exposer les arguments qui, selon eux, s’opposent à une telle détention ; si le juge passe outre, il doit rendre une ordonnance dans laquelle il indique les motifs qui l’y ont conduit et cette ordonnance peut faire l’objet d’un appel devant la chambre de l’instruction, qui exercera un contrôle.

En effet, la détention provisoire est elle-même soumise à des conditions qui lui sont propres. En premier lieu, elle doit reposer sur des motifs limitativement énumérés par la loi, en référence aux données concrètes de l’affaire : 1° conserver les indices nécessaires à la manifestation de la vérité ; 2° empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ; 3° empêcher une concertation avec les coauteurs ou complices ; 4° protéger le mis en examen (contre des représailles, par exemple) ; 5° garantir son maintien à la disposition de la justice (notamment en cas de risque de fuite) ; 6° mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement ; 7° en matière criminelle et non pas seulement délictuelle, mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé (à l’exclusion du trouble résultant du seul retentissement médiatique de l’affaire). En second lieu, la détention provisoire, même alors, n’est possible que si le JLD estime que les autres mesures concevables sont insuffisantes pour atteindre ces objectifs : il s’agit du placement sous contrôle judiciaire (laissé en liberté, le mis en examen doit satisfaire à certaines obligations) ou de l’assignation à résidence avec surveillance électronique (il doit demeurer en un lieu, sauf à s’en absenter aux conditions fixées).

Le principe d’égalité de tous devant la loi pénale a pour conséquence que, dès lors que ces conditions sont remplies, toute personne mise en examen peut être placée en détention provisoire, sans exception aucune, y compris, par exemple, un mineur ou un parlementaire.

Comment interpréter alors l’affirmation selon laquelle un policier « n’a pas sa place en prison » ?

Il résulte des développements précédents, que, juridiquement, cette affirmation est inepte : un policier peut être placé en détention provisoire, comme tout citoyen. En outre, la curieuse référence à la « prison » risque de susciter des confusions entre des situations bien différentes. Un détenu provisoire, qui, par hypothèse, n’a fait encore l’objet d’aucune condamnation, est placé dans un établissement pénitentiaire particulier, une « maison d’arrêt », avec d’autres présumés innocents et sous un régime pénitentiaire libéral. Les personnes condamnées par une juridiction de jugement à une peine privative de liberté (« emprisonnement », « réclusion criminelle ») sont, elles, dans des établissements différents, des « établissements pour peines » (« centres de détention », etc.), emportant un régime pénitentiaire adapté, plus contraignant : un coupable n’est plus un innocent présumé et la détention provisoire n’est pas une peine.

Mais l’affirmation du directeur général de la Police nationale ne se soucie pas d’énoncer une vérité juridique. Elle est la déclaration d’un responsable qui, se sachant observé par ses subordonnés, veut leur donner des gages de sa solidarité. L’intention serait louable, s’il ne devait en donner aussi aux principes républicains, ici violés : sa fonction lui interdit de critiquer implicitement, comme il le fait, une décision de justice. Il n’a pas à dire qu’une détention provisoire aurait dû être évitée, surtout qu’il préconise l’interdiction d’y jamais recourir, solution qui, par son caractère général et abstrait, serait absurde autant qu’intolérable. Même les actes délictueux du soldat à la guerre relèvent de la compétence de juridictions.

En réalité, cette déclaration s’explique par son contexte. Les opérations de maintien de l’ordre récentes ont donné lieu à des scènes d’une violence inouïe à l’encontre des policiers et gendarmes, garants de l’ordre républicain, y compris à des tentatives d’assassinat (tirs d’armes à feu, jets de cocktails molotov) – sur lesquelles les commentaires, par comparaison, ont été bien discrets. Le recours à la violence pour en arrêter les auteurs ou canaliser leurs débordements afin de protéger la population contre des pillages crapuleux est donc légitime : c’est le rôle des forces de l’ordre. Que, dans un tel contexte, des hommes épuisés par plusieurs jours de service continu aient pu se laisser aller à des débordements est humainement concevable ; que des personnes, pourtant étrangères aux émeutes, soient malheureusement victimes de ces opérations, peut être difficilement évitable. Mais, pour autant, en tirer la conclusion qu’ils ne devraient jamais relever d’un contrôle de la justice avant le procès éventuel est extravagant. D’ailleurs, la crédibilité de la police est à ce prix : en donnant l’impression qu’il faudrait soustraire les policiers à la loi commune, ce responsable de la police la fragilise dans des franges de l’opinion qui voudront y voir une confirmation quasi officielle des accusations qu’elles portent contre les forces de l’ordre, ou des soupçons qu’elles nourrissent à leur encontre.

Du fait de l’inexactitude juridique de cette déclaration, les condamnations politiques suscitées par cette dernière sont-elles légitimes ?

Elles peuvent l’être. Cependant, nos élus ne savent pas toujours donner un exemple parfait de républicanisme intransigeant : ils sont prompts à dénoncer le prétendu gouvernement des juges lorsque la justice, appliquant tout simplement la loi (qu’ils ont votée), prétend leur demander des comptes de leurs actes. Sont-ils alors les mieux placés pour reprocher aux policiers une attitude comparable ?