Plusieurs communes de l’Ouest parisien ont décidé de bannir les trottinettes électriques. La maire de la capitale, Anne Hidalgo, souhaite également limiter l’usage des engins en libre-service. Leur stationnement sur les trottoirs sera interdit et leur vitesse limitée à 20 km/h à partir du 1er juillet.

Décryptage par Jean-Paul Markus , professeur à l’Université de Versailles-Paris-Saclay, directeur Département SHS Univ. Paris-Saclay, directeur de la Rédaction Les Surligneurs.

« Un décret a été promis par le gouvernement dans ce but, avec prise d’effet en septembre 2019. S’il n’est pas question a priori d’interdire les trottinettes à moteur, le but est d’insérer ce mode de circulation dans un espace public déjà bien encombré, en limitant les risques d’insécurité routière. »

Comment est encadrée actuellement l’utilisation des trottinettes à moteur ?

La trottinette à moteur n’est pas encore un objet juridique et le droit ne l’aborde en réalité qu’en creux.

La trottinette à moteur n’est en effet  ni un véhicule terrestre à moteur au sens du Code de la route (C. route, art. L. 110-1), ni un cyclomoteur, une motocyclette, un tricycle à moteur ou un ou un quadricycle à moteur (C. route, art. L. 321-1-1). Elle n’est pas non plus un « véhicule à deux roues à moteur » au sens de l’article L. 431-1 du même code, imposant le port d’un casque par exemple. Elle n’est pas non plus qualifiable de « cycle à deux ou trois roues » bénéficiant de « bandes cyclables » ou de « pistes cyclables » qui leur sont exclusivement réservées (art. R. 110-2). En effet, le cycle à deux ou trois roues est un « véhicule (…) propulsé exclusivement par l’énergie musculaire des personnes se trouvant sur ce véhicule, notamment à l’aide de pédales ou de manivelles » (art. R. 311-1, point 6.10) ; une variante en est le « cycle à pédalage assisté » (même article, point 6.11).

Enfin, les utilisateurs de trottinettes à moteur ne sont pas des piétons au sens de l’article R. 412-34.

En somme, le Code de la route ignore à ce jour les trottinettes à moteur, ce qui implique une alternative radicale. Soit on considère que ce qui n’est pas expressément interdit est autorisé. Soit plus logiquement dans un espace public très policé comme la voirie, elles sont interdites sur la chaussée,  les bandes et pistes cyclables car n’étant ni des véhicules ni des cycles, et interdites sur les trottoirs car n’étant ni des piétions ni des vélos d’enfants…

Elles ne bénéficient même pas des dérogations existantes relatives par exemple aux enfants de moins de huit ans, qui sont autorisés à faire du vélo sur les trottoirs, mais « à la condition de conserver l’allure du pas et de ne pas occasionner de gêne aux piétons » (art. R. 412-34). Piloter une trottinette à moteur sur la chaussée ou sur le trottoir constitue donc une infraction pénale, susceptible de contravention.

Pourtant elles roulent ces trottinettes, sur la base d’une tolérance administrative, laquelle bien sûr ne confère aucun droit aux utilisateurs, mais crée une insécurité juridique, autant qu’une insécurité routière. Il faut donc bien les discipliner.

Quels sont les outils juridiques mis à  la disposition des collectivités territoriales pour encadrer la circulation en trottinette à moteur ?

Le maire en particulier n’est pas démuni contre les utilisateurs de trottinettes à moteur se mettant en danger ainsi que les autres usagers de la voirie. Son pouvoir de police de la circulation (Code général des collectivités territoriales CGCT, art. L. 2213-1) lui permet, dès lors que le représentant de l’État n’a pris aucune mesure, de prescrire des limites à l’usage de ces engins. Il peut interdire la circulation en trottinette à moteur dans les lieux très fréquentés pourvu que ces lieux soient bien délimités en espace (sorties d’écoles, marchés, espaces piétons, plages) et en temps (horaires de sortie, de marché, etc.). Il peut également limiter la vitesse de ces trottinettes et faire sanctionner toute infraction à sa réglementation. Il peut encore réglementer le stationnement de ces engins afin d’éviter les obstacles à la circulation des piétons, en particulier handicapés. C’est ce que vient de faire la maire de Paris, par un arrêté conjoint avec le préfet de police.  En tout état de cause, il ne peut pas poser d’interdiction totale. Curieux paradoxe que celui de pouvoir limiter une activité en théorie interdite… Le maire n’est pas non plus compétent pour imposer des normes techniques (ex. éclairage) ou de sécurité (port du casque), qui relèvent de polices spéciales étatiques.

De façon plus générale, tout conducteur d’un véhicule doit adopter un « comportement prudent » (C. route, art. L. 412-6), en particulier à l’égard des « usagers les plus vulnérables », sauf à encourir une amende de deuxième classe. En cas d’accident grave, le Code pénal pourrait être mis en œuvre : homicide ou atteinte involontaire à l’intégrité de la personne, « par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement » (C. pén., art. 221-6 et 222-19).

Comment intégrer ce nouveau mode de locomotion dans la réglementation existante ?

Un décret a été promis par le gouvernement dans ce but, avec prise d’effet en septembre 2019. S’il n’est pas question a priori d’interdire les trottinettes à moteur, le but est d’insérer ce mode de circulation dans un espace public déjà bien encombré, en limitant les risques d’insécurité routière.

Comme il n’est pas non plus question de créer des voies affectées aux seules trottinettes à côté des pistes et bandes cyclables, ces dernières seront probablement ouvertes aux trottinettes à moteur afin d’épargner les piétons, plus vulnérables. La loi dite LOM en discussion au Parlement devrait conférer aux maires un pouvoir de dérogation au Code de la route, afin de permettre aux utilisateurs de trottinettes à moteur de rouler sur les pistes cyclables.

Mais c’est alors le pilote de la trottinette qui serait rendu vulnérable, d’où la nécessité d’autres mesures. Il conviendra d’abord d’étendre aux pilotes de trottinettes à moteur les mesures de sécurité applicables aux cyclistes en les adaptant : obligation par exemple de doter l’engin de « deux dispositifs de freinage efficaces » (art. R. 315-3), d’un avertisseur (art. R. 313-33) et de porter un casque (R. 431-1-3) et un gilet fluorescent la nuit (art. R. 431-1-1).

De façon plus générale ensuite, le décret devrait prévoir un même régime protecteur pour tous les véhicules autorisés à emprunter les pistes et bandes cyclables, qu’il s’agisse de bicyclettes, de trottinettes ou de mono-roues et gyropodes peut-être un jour. Il en va ainsi de l’obligation pour tout conducteur de véhicule terrestre à moteur de céder le passage aux cycles et cyclomoteurs circulant dans les deux sens sur les pistes cyclables qui traversent la chaussée sur laquelle il va s’engager (art. R. 415-3). Bien entendu, il faudra également étendre à tous ces véhicules autorisés à emprunter les pistes et bandes cyclables, les obligations actuellement imposées aux seuls cycles à deux roues sans moteurs ou assistés. D’où la création d’une nouvelle catégorie juridique prévue par le projet de loi dit LOM, qui concernera les « engins de déplacement personnel », et qui servira d’assise au décret prévu : il s’agit ni plus ni moins de réguler toute l’activité économique et de réorganiser l’espace public autour de ces « nouvelles mobilités ».

Pour aller plus loin :

Par Jean-Paul Markus.