Par Béatrice Parance, Professeure à l’Université Paris 8 Vincennes Saint Denis
340 contre, 265 pour. A la surprise générale, mercredi 8 juin 2022, les députés européens ont voté contre l’adoption d’une partie des textes du Paquet Climat, un ensemble de texte visant à amener l’Union européenne à la neutralité carbone en 2050 et à réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Pas assez ambitieux ont déclaré les députés écologistes et de gauche. La conséquence ? Une renégociation du texte en commission parlementaire.

Quels étaient le contexte et les arguments en présence lors du vote de rejet d’une partie des textes du Paquet Climat devant le Parlement européen le 8 juin 2022 ?

Les normes européennes relatives à la lutte contre le réchauffement climatique par la réduction des émissions de gaz à effet de serre reposent notamment sur l’existence d’un marché carbone reposant sur un système d’échange de droits d’émissions de gaz à effet de serre, de crédits-carbone et de quotas-carbone instauré dès 2005. A quelle allure convient-il de les réformer afin de tenter d’accélérer notre adaptation au phénomène de réchauffement climatique notamment ? Ces réformes ne vont-elles pas faire peser sur les entreprises européennes des contraintes excessives dans un contexte économique de plus en plus tendu ?

L’extrême technicité du sujet n’en réduit pas sa forte dimension politique qui s’est encore accrue dans l’environnement de la crise énergétique suscitée par la guerre en Ukraine. Les détracteurs des réformes opposent ainsi l’argument de la compétitivité des entreprises européennes à un moment où elles doivent déjà faire face à la forte augmentation du coût de l’énergie. Mais la lutte contre le dérèglement climatique peut-elle encore attendre tandis que le secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres a affirmé très récemment que « nous avançons tels des somnambules vers la catastrophe climatique ! » ?

C’est dans ce contexte qu’est intervenu au Parlement européen le 8 juin dernier un vote de rejet d’une proposition de réforme du marché carbone sur laquelle certains groupes politiques pensaient être parvenus à un consensus ; les groupes écologistes et socialistes ont jugé la réforme pas assez avancée, les groupes d’extrême droite déjà trop !

Quels étaient les objectifs poursuivis par le texte qui a fait l’objet du vote de rejet du 8 juin dernier ?

Souvenons-nous que l’Europe s’est dotée depuis 2005 d’un marché carbone pour les industries les plus polluantes (production d’électricité, sidérurgie, ciment) qui représentent 40 % des émissions de CO2 à l’échelle européenne.  Elle a instauré pour cela, en application du principe pollueur-payeur, un système d’échange de quotas d’émissions (Emission trading system ETS) qui permet d’établir par la loi du marché un prix de la tonne carbone. Cependant, afin de ne pas créer une distorsion de concurrence entre les entreprises européennes soumises à un tel mécanisme et les entreprises étrangères, l’Union européenne a fortement atténué les effets du système par l’attribution de quotas gratuits, qui concernent 94 % des émissions.

C’est tout l’équilibre de ce système que l’Union européenne entend réviser afin de parvenir à respecter sa forte ambition climatique qui, depuis juillet 2021, est de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990, avant d’atteindre la neutralité climatique en 2050.

Pour cela, la Commission a présenté en juillet 2021 de nombreuses propositions législatives relatives au Paquet Climat « Fit for 55 » essentiellement dans trois directions. Premièrement, il s’agit de réduire puis de faire disparaître les quotas gratuits d’émissions afin de tendre progressivement le marché carbone pour faire augmenter le prix de la tonne carbone.

Deuxièmement, cette disparition des quotas gratuits devra être contrebalancée par l’instauration d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) qui s’appliquera aux secteurs industriels les plus polluants (acier, ciment, engrais, production d’électricité). Il s’agit de soumettre les entreprises étrangères de ces secteurs à l’obligation d’acquitter une taxe liée aux émissions de gaz à effet de serre inhérentes à leurs activités, ce qui permettra de les soumettre au même prix du CO2 que les entreprises européennes.

Enfin, troisièmement, la Commission entend étendre le marché carbone au secteur de l’aviation et au secteur maritime, et créer un second marché carbone qui concernera le chauffage des bâtiments industriels et les transports routiers. Les fonds prélevés par ces différents mécanismes permettront d’alimenter un fonds social pour le climat afin d’aider les microentreprises et les ménages les plus fragiles à faire face aux coûteuses mesures de lutte contre le dérèglement climatique. Selon les termes du député européen Pascal Canfin, président de la commission environnement, il s’agit là du « navire amiral de la réglementation climatique européenne ».

Pourquoi ce texte a-t-il été jugé par les députés écologistes notamment trop peu ambitieux ?

Le texte soumis au vote du Parlement européen le 8 juin prévoyait une réduction de 63 % d’ici 2030 des émissions par rapport au niveau de 2005, alors que la Commission environnement du Parlement européen entendait obtenir un accord à hauteur de 67 %. En outre, le différend entre les groupes parlementaires portait sur le calendrier des mesures car la proposition soumise au vote retardait l’instauration du MACF et l’élimination des quotas gratuits aux entreprises européennes à 2034, tandis que la Commission environnement du Parlement européen exigeait une entrée en vigueur en 2030.

Le rejet de cette proposition a une forte signification et vient illustrer le rôle politique croissant du Parlement européen qui n’entend plus entériner les propositions de la Commission, en particulier sur les sujets essentiels. Relevons néanmoins dans un sens positif l’adoption lors du même vote de l’interdiction des véhicules thermiques à partir de 2035. Un nouveau vote interviendra sur le marché carbone le 23 juin ; on peut imaginer que d’ici-là, les négociations vont aller bon train entre les différents groupes parlementaires.