Par Stéphane de La Rosa – Professeur de droit à l’Université Paris Est Créteil – Chaire Jean Monnet
Le 2 janvier 2023, 250 élus franciliens publiaient une lettre adressée à la première ministre Élisabeth Borne, lui demandant de surseoir au processus de privatisation des transports d’Île-de-France prévu par la loi Pacte ferroviaire en 2018, après l’annonce de la mise en concurrence du réseau de bus RATP. Une décision qui interroge au regard de la tenue prochaine des Jeux Olympiques à Paris et des difficultés auxquelles fait face le réseau de transport.

Quel est le cadre défini par le règlement n° 1370/2007 de l’Union européenne justifiant une mise en concurrence des transports urbains, tels que les bus, les RER ou les Transiliens ?

Le règlement n° 1370/2007 dit « OSP » – pour obligation de service public – constitue le fondement normatif, en droit de l’Union, de l’attribution par voie concurrentielle des contrats de service public en matière de transport ferroviaire. Il couvre, à la fois, les liaisons ferroviaires conventionnées par les régions (les TER essentiellement), mais également les lignes de transport urbain qui relèvent d’une autorité organisatrice, tel qu’Île de France mobilités dans l’espace francilien. Ce texte institue un cadre spécifique et dérogatoire par rapport à l’ouverture à la concurrence des services de transport ferroviaire en accès libre ou « open access ».

Contrairement à une opinion répandue, le règlement « OSP » n’impose pas une obligation généralisée de mise en concurrence des transports urbains. Son article 5 al. 2, tel qu’il a été précisé lors du « 4ème paquet ferroviaire » par le règlement n° 2016/2338, énonce en effet que « sauf interdiction en vertu du droit national, toute autorité locale compétente, qu’il s’agisse ou non d’une autorité individuelle ou d’un groupement d’autorités fournissant des services intégrés de transport public de voyageurs, peut décider de fournir elle-même des services publics de transport de voyageurs ou d’attribuer directement des contrats de service public à une entité juridiquement distincte sur laquelle l’autorité locale compétente ou, dans le cas d’un groupement d’autorités, au moins une autorité locale compétente exerce un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services ».

Cette hypothèse de gestion directe ou par l’intermédiaire d’une entité contrôlée (suivant un schéma dit « in house ») n’est possible que « les besoins en transports d’agglomérations urbaines ou de zones rurales, ou les deux », formule qui signifie que le règlement OSP ne fait pas formellement obstacle au maintien d’une gestion directe, sous la forme d’un monopole, de lignes de transports urbains – tels que les RER ou les transiliens.

La souplesse du règlement OSP est reprise en droit interne. L’article L 1221-3 du Code des transports énonce que « l’exécution des services publics de transport (…) est assurée » « soit en régie par une personne publique sous la forme d’un service public industriel et commercial, soit par une entreprise ayant passé à cet effet une convention avec l’autorité organisatrice ».

Pour ce qui concerne spécifiquement les transports en Île de France, la loi dite « Pacte ferroviaire » du 27 juin 2018 a également inséré un article L1241-7-1 dans le Code des transports qui prévoit la possibilité de maintenir un régime d’attribution directe des contrats de transport urbain (au profit de la RATP pour une partie de RER et de la SNCF pour les RER C et D, ainsi que le réseau Transilien) jusqu’au 31 décembre 2023, pour des conventions qui n’excèdent pas une durée de 10 ans. En revanche, la loi n’aborde pas la gestion des lignes de bus : leur mode de gestion relève de la liberté de l’autorité concédante.

Au regard de ce cadre normatif, il apparaît que le choix d’ouvrir dès à présent à la concurrence les transports urbains est d’abord un choix politique et organisationnel de l’autorité organisatrice des transports, laquelle n’est pas contrainte par le calendrier et souhaite accélérer l’attribution concurrentielle des contrats. C’est notamment la position d’Île de France Mobilités pour ce qui concerne les bus.

Quel est l’objectif et le périmètre d’une telle ouverture à la concurrence en Île de France ?

La loi « Pacte ferroviaire » a posé les bases d’une ouverture à la concurrence des lignes Transilien (hors RER) à partir du 1er janvier 2023 et au plus tard le 31 décembre 2032, à partir du 1er janvier 2025 et au plus tard le 31 décembre 2039 pour le RER E et à partir du 1er janvier 2033 et au plus tard le 31 décembre 2039 pour les RER C et D. Pour les RER A et B, la mise en concurrence est prévue au 31 décembre 2039. Il s’agit là d’un calendrier qui peut être remis en cause par Ile de France Mobilités.

Au vu de ces échéances, le conseil d’administration d’Île de France Mobilité a fait le choix, en février 2020, de valider le principe de la mise en concurrence (et donc ne pas retenir l’hypothèse d’une régie qui demeure possible dans le règlement « OSP ») et a identifié des lots dès 2023. A travers cette mise en concurrence, les objectifs affichés et recherchés par le Syndicat des transports sont multiples (v. le rapport sur le mode de gestion des transports) : une amélioration de la qualité du service, une « plus grande agilité des futurs opérateurs », une plus forte capacité à trouver des solutions innovantes, une « redynamisation des lignes Transilien en souffrance », une organisation repensée qui « permettra la basse des coûts unitaires ».

Au regard de ces objectifs, un calendrier d’ouverture à la concurrence des lignes du réseau ferroviaire régional a été adopté le 9 décembre 2020. Il prévoit l’attribution par voie de délégation de service public, au sens de l’article L. 1411-4 CGCT, de plusieurs lots, tels que: tram T 4 (procédure en cours), tram 12 et 13 (en construction) en décembre 2024, ligne J du transilien en décembre 2025, RER E en 2027, RER D en 2031. Là encore, ce calendrier ne porte pas sur les lignes de bus.

Quelles seront les conséquences de cette ouverture à la concurrence, tant pour les usagers (continuité et accessibilité de ce service public s’il devient privé), que pour le personnel (passage d’un contrat de droit public à un contrat de droit privé) ? 
Pour les usagers, le changement dépendra essentiellement du contenu des obligations de service public qui seront inscrites dans le contrat de concession et que le concessionnaire devra garantir. Une partie de ces obligations prennent la forme de clauses réglementaires, notamment pour ce qui concerne la tarification, les règles d’accès, les cadencements des trains. Pour que le passage à la concurrence soit profitable aux usagers, il ne suffira pas de permettre l’entrée de nouveaux entrants : la coordination en termes de tarification (même abonnement) ou encore par rapport à l’usage du réseau (géré par SNCF réseau) sera essentielle. Dans la mesure où ces contrats s’inscrivent dans le temps long (généralement 15 ans), une vigilance particulière doit être portée à leur exécution et au maintien de la continuité des services, notamment en cas de circonstances imprévisibles. La détermination de l’équilibre économique de ces contrats (notamment pour les lignes Transilien, voire RER) sera également très complexe, tout particulièrement pour éviter une surcompensation de la part de l’autorité organisatrice.

S’agissant du personnel, la loi n°2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a prévu les conditions de transfert des personnels en cas de changement d’attributaire d’un contrat de service public de transport ferroviaire de voyageurs. Ces dispositions figurent aux articles L.2121-20 à L. 2121-27 du Code des transports. Il faut également se référer au décret n° 2018-1242 du 26 décembre 2018 relatif au transfert des contrats de travail des salariés en cas de changement d’attributaire d’un contrat de service public de transport ferroviaire de voyageurs et au décret n° 2019-696 du 2 juillet 2019 relatif à l’information, l’accompagnement et le transfert des salariés en cas de changement d’attributaire d’un contrat de service public de transport ferroviaire de voyageurs. L’opérateur attributaire du contrat de service public devra garantir le droit au transfert des salariés, prendre en compte le droit d’option des salariés qui souhaiteraient rester auprès de l’opérateur historique (SNCF Voyageurs), définir les conditions de travail et salariales.

Toutefois, ce cadre juridique risque de se heurter à une réalité souvent dégradée sur le plan humain et social. Avant d’envisager ces transferts, un enjeu prioritaire est le recrutement et la formation des agents, ainsi que la définition d’un cadre attractif pour des professions qui peinent à recruter.

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