Par Bruno Py, Professeur de droit privé et sciences criminelles à l’Université de Lorraine

Les faussaires, les fraudeurs et utilisateurs de faux « pass sanitaires » risquent de lourdes peines, en applications des qualifications classiques du Code pénal. Il est nécessaire de distinguer le cas, rare, de ceux qui introduisent dans le système informatique des informations fausses et le cas, plus courant, de ceux qui confectionnent des documents contraires à la vérité. Les premiers risquent beaucoup plus que les seconds.

Le « pass sanitaire », qu’il soit en format papier ou numérique, est utilisé depuis le 9 juin 2021 pour accéder à certains rassemblements ou événements. Il vise à sécuriser la reprise des activités qui présentent les plus forts risques de diffusion épidémique. Le « pass » consiste en la présentation, d’une preuve d’une des trois situations suivantes : vaccination, test négatif récent, rétablissement post Covid-19. Les exploitants des établissements concernés contrôlent à l’entrée le « pass » en scannant le QR Code présent sur les documents numériques ou papiers.

Depuis l’allocution présidentielle du 12 juillet 2021 annonçant à partir du 21 juillet l’extension du « pass », à tous les lieux de loisirs et de culture accueillant plus de 50 personnes (salles de spectacle, parcs d’attractions, salles de concert, festivals, salles de sport, cinémas etc.), de nombreux français ont pris conscience de la nécessité de pouvoir présenter ce sésame pour accéder à ces lieux. Deux stratégies ont été observées. La première a consisté à se ruer sur les sites de prises de rendez-vous de vaccination. La seconde, repose sur l’idée de se procurer le « pass » sans remplir les conditions sanitaires. Dès lors qu’une demande solvable s’est exprimée, des offres ont surgi (Audrey Renault, Faux certificat vaccinal, à chacun sa combine).

Faut-il créer une incrimination spéciale pour réprimer les faussaires, les fraudeurs et utilisateurs de faux « pass » ?

A l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire, en commission des lois de l’Assemblée nationale, Olivier Véran, ministre de la Santé, s’est insurgé contre les faux pass sanitaires, dont le nombre aurait explosé depuis le 12 juillet. Des offres fleurissent sur les réseaux sociaux. Les tarifs affichés oscillent de 50 à 500 euros. Les pouvoirs publics s’inquiètent de ces trafics et prennent ce problème très au sérieux. Dans un premier temps, le gouvernement prévoyait de créer une nouvelle infraction afin d’« enrayer et sanctionner la prolifération de faux documents attestant d’une éligibilité au « pass sanitaire », dixit Laetitia Avia, député LREM. Cette mesure, adoptée en commission des lois de l’Assemblée nationale, a finalement été supprimée lors de l’examen du texte en séance publique par un amendement adopté contre l’avis du gouvernement, dans la nuit de jeudi 22 à vendredi 23 juillet. La confection d’un document mensonger est d’ores et déjà réprimée par le Code pénal. Le projet de loi a été définitivement adopté le 25 juillet. Il ne contient qu’une seule incrimination nouvelle, consistant à usurper le « pass » d’un tiers. Le projet de loi sera examiné par le Conseil constitutionnel le 5 août.

Des fraudeurs ont-ils déjà été arrêtés ? Poursuivis ? Sur quels fondements ?

Entre le 12 et le 13 juillet, plusieurs personnes ont été interpellées dans la région de Lyon, dans les Yvelines et dans le Val-de-Marne (Pauline Gensel, Sur Internet, les antivax à la recherche de faux passes sanitaires). L’enquête conduite par la police judiciaire a permis d’identifier six suspects. Trois d’entre eux ont été mis en examen pour des chefs d’accusation d’« atteintes à un système de traitement automatisé de données en bande organisée, faux administratif et détention d’un faux, blanchiment aggravé et association de malfaiteurs » dans le cadre d’une information judiciaire ouverte mercredi 14 juillet par la section de cybercriminalité du parquet de Paris. Deux autres individus sont poursuivis pour « usage de faux administratif et détention d’un faux », tandis qu’une sixième personne a été mise en examen pour « blanchiment aggravé et association de malfaiteurs ». Deux des mis en cause ont été placés en détention provisoire, à la demande du parquet, rapporte l’AFP. Il s’agirait de l’employée lyonnaise du centre de vaccination et de la personne qui gérait le compte Snapchat où les faux certificats étaient proposés. Les quatre autres personnes interpellées ont été placées sous contrôle judiciaire (Covid-19 : la police met fin à un trafic de faux certificats de vaccination délivrés depuis Lyon).

Si la fraude, plus perfectionnée, consiste à s’introduire frauduleusement dans le système d’information national (SIDEP) de dépistage du Covid-19, les peines encourues sont beaucoup plus lourdes puisqu’elles peuvent atteindre 7 ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende (C.pén., art. 323-3). Lundi 26 juillet une contractuelle d’un centre de vaccination a été condamnée sur ce fondement à dix-huit mois d’emprisonnement dont six avec sursis (la peine ferme ayant été aménagée sous forme d’une détention à domicile avec surveillance électronique) ainsi qu’à une amende de 10 000 euros pour avoir introduit dans le logiciel de gestion de la vaccination des noms de « clients » que n’avaient pas été vaccinés et pour cause, ils n’étaient jamais venus au vaccinodrome (Le Monde, Trafic de faux certificats de vaccination dans la Seine-Saint-Denis : un an de prison ferme pour une contractuelle de la CPAM).

Quelles différences entre le délit de faux et celui d’attestation ou certificat faisant état de faits matériellement inexacts ?

Concernant ceux qui fabriquent des documents faisant croire à un « pass sanitaire » (QR code réalisé avec Photoshop par ex), il faut rappeler que l’infraction de faux nécessite la réunion de trois éléments : l’altération de la vérité, un préjudice actuel ou éventuel, un élément intentionnel. La jurisprudence connaît des hypothèses de faux certificat médical (faux arrêt de travail, faux certificat de grossesse, faux descriptif de blessures, fausse durée de DFP etc., MISTRETTA Patrick, Droit pénal médical, 2ème éd° LGDJ 2019, pp.372-380). Peu importe qu’il s’agisse d’un faux matériel (fabrication d’un certificat, ou modification frauduleuse d’un certificat existant, surcharge, suppression, grattage, rajout, rature etc…), défaut d’authenticité décelable à l’expertise ou d’un faux intellectuel (énonciations contraires à la vérité par le rédacteur, omission, simulation), défaut de véracité, indécelable à l’expertise. « Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques. Le faux et l’usage de faux sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende » (C. pén., art. 441-1). Attention, tout mensonge n’est pas synonyme d’un faux ! Un écrit médical inexact n’est pas forcément un faux. La condition de préjudice est essentielle. Sans elle, l’infraction de faux n’est pas constituée. N’est pas coupable de faux, pour défaut de préjudice subi, le médecin qui écrit dans le dossier du patient la mention « vu au service médical », alors que l’examen médical a eu lieu par téléphone (Crim. 27 nov. 2002, n°01-88.706). L’établissement d’un document attestant, contrairement à la réalité, de la vaccination, d’un test négatif, ou du rétablissement ne cause directement pas de préjudice.

En revanche, un tel document sanitaire contraire à la vérité tombe sous le coup du délit d’attestation ou certificat faisant état de faits matériellement inexacts. Selon l’article 441-7 du Code pénal : « Indépendamment des cas prévus au présent chapitre, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait : 1° D’établir une attestation ou un certificat faisant état de faits matériellement inexacts ; 2° De falsifier une attestation ou un certificat originairement sincère ; 3° De faire usage d’une attestation ou d’un certificat inexact ou falsifié ». Tout rédacteur d’un document papier ou numérique attestant en connaissance de cause d’une situation sanitaire qu’il sait contraire à la vérité risque 1 an d’emprisonnement et 15000 euros d’amende. L’infraction est constituée aussi bien si l’auteur crée un document original que s’il falsifie un document pré-existant. Créer un QR Code ou modifier un QR Code sont juridiquement équivalent. Le 3° de l’article 441-7 est parfaitement limpide quant à l’usage d’un « pass » ainsi obtenu. L’utilisateur dudit document est passible des mêmes sanctions que le rédacteur.

Les risques juridiques de fausses attestations de vaccination (Illustration) « Attendu que Thibaud R., (…), a été hospitalisé (…), après avoir contracté le tétanos ; que Juliette B., médecin (…), avait pourtant certifié sur le carnet de santé de l’enfant lui avoir administré, entre le 21 mai 1991 et le 17 août 1992, à quatre reprises, le vaccin trivalent contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (…) Attendu que, pour condamner Juliette B., déclarée coupable d’établissement d’attestations faisant état de faits matériellement inexacts, à une peine d’emprisonnement sans sursis, l’arrêt attaqué énonce que les faits reprochés à ce médecin, réalisant les conditions d’un grave manquement à la déontologie et mettant en péril la vie d’un enfant, commandent une peine de cette nature » ; Crim., 20 juin 2000, n°99-85.177.

Enfin, si le faux « pass sanitaire » a été établi par un médecin, il risque évidemment une sanction disciplinaire pouvant conduire à une radiation du tableau de l’ordre. La signature d’un médecin bénéficie par principe d’un grand crédit, et toute erreur ou compromission de sa part fait, notamment au corps médical entier, un tort considérable. C’est pourquoi le Code de déontologie médicale insiste sur un principe essentiel. « La délivrance d’un rapport tendancieux ou d’un certificat de complaisance est interdite » (C. santé publ., art. R.4127-28). La règle est identique pour un pharmacien : « Le pharmacien doit se refuser à établir toute facture ou attestation de complaisance » (C. santé publ., art. R.4235-3).

Quel risque à utiliser le « pass » d’un tiers ? Le projet de loi adopté le 25 juillet 2021 crée une infraction spécifique pour cette situation en incriminant : « Le fait de présenter un document attestant du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la Covid‑19, un justificatif de statut vaccinal concernant la Covid‑19 ou un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la Covid‑19 appartenant à autrui ou de proposer à un tiers, de manière onéreuse ou non, y compris par des moyens de communication au public en ligne, l’utilisation frauduleuse d’un tel document. » L’infraction est une contravention de la 4ème classe. Si l’acte est constaté à nouveau dans un délai de quinze jours, l’infraction devient une contravention de la 5ème classe. Si le délinquant est verbalisé à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, l’infraction devient un délit puni de six mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende (C.santé publ., art. L.3136-1).

Nul ne s’étonnera de l’adaptabilité de la délinquance qui sait toujours tirer profit des crises pour faire du profit. On s’inquiètera plus de la désinvolture des utilisateurs de ces documents mensongers, non pas sur le plan moral, mais sur le plan de la sécurité sanitaire. « Chacun se fait une morale à son usage personnel pour pouvoir, la conscience à l’aise, se livrer à ses petites malhonnêtetés » Louis Dumur (Petits aphorismes – Sur la conscience, 8, Mercure de France T. 5, Juillet 1892, p.215).

En découvrir davantage sur les enjeux juridiques liés au pass sanitaire :

[vcex_button url= »https://www.leclubdesjuristes.com/newsletter/ » title= »Abonnement à la newsletter » style= »flat » align= »center » color= »black » size= »medium » target= » rel= »none »]En savoir plus…[/vcex_button]