Par Audrey Bachert-Peretti, Maître de conférences en droit public à l’Université d’Aix-Marseille

Lors d’une conférence de presse, mardi 12 septembre 2023, le républicain Kevin McCarthy, Speaker de la Chambre des Représentants, a demandé à trois commissions parlementaires (the Oversight and Accountability Committee, the Judiciary Committee and the Ways and Means Committee) d’ouvrir une « enquête formelle d’impeachment » contre le président Joe Biden.

La procédure d’impeachment est-elle véritablement lancée par cette déclaration ?

Non, d’un point de vue formel, la procédure d’impeachment n’est pas encore officiellement lancée. Cette dernière est juridiquement constituée de deux étapes seulement : le vote par la Chambre des représentants à la majorité simple d’une résolution listant les charges retenues (les articles de l’impeachment) et le vote au Sénat à la majorité des deux tiers de la destitution proprement dite, le vote à la Chambre n’étant pas juridiquement conditionné à la réalisation d’étapes procédurales préalables. Il est ainsi parfaitement possible pour tout Représentant de demander l’inscription à l’ordre du jour d’une résolution constitutive des articles de l’impeachment sans avoir réalisé aucune autre formalité en amont. Toutefois, dans la majorité des cas, une enquête par des commissions parlementaires, et notamment par le Judiciary Committee, permet d’étoffer les charges retenues. Dans les procédures d’impeachment antérieures, une telle enquête a souvent été ordonnée par une résolution de la Chambre. Politiquement, cela donne à l’enquête une solennité particulière et permet de montrer l’étendue de la majorité en sa faveur, affermissant ainsi sa légitimité. Toutefois, d’un point de vue juridique, une telle résolution n’est pas nécessaire pour qu’une commission puisse initier une enquête sur les comportements présidentiels, les commissions pouvant, en matière de contrôle, se saisir de toute question en lien avec leur champ de compétences et disposant d’instruments puissants tels que la possibilité d’exiger la parution devant elle des personnes qu’elles convoquent et la transmission des documents dont elle a besoin (subpoena). En l’espèce, Kevin McCarthy s’est abstenu de demander le vote d’une telle résolution, alors même qu’il avait fortement critiqué Nancy Pelosi, l’ancienne Speaker démocrate de la Chambre, qui avait fait de même en ce qui concerne les enquêtes parlementaires ayant débouché sur la procédure de destitution de Donald Trump de 2019. Plusieurs commissions parlementaires ont d’ailleurs déjà commencé leurs investigations sur les comportements présidentiels depuis le début de l’actuelle législature en janvier 2023.

Quelles sont les charges envisagées contre Joe Biden ?

Dans sa conférence de presse, Kevin McCarthy a affirmé qu’il y avait une « culture de la corruption » autour de la famille Biden et qu’il convenait d’enquêter sur des allégations d’abus de pouvoir, d’obstruction et de corruption. Ces accusations sont largement liées aux affaires, professionnelles et judiciaires, de son fils, Hunter Biden. Ce dernier aurait en effet profité de la fonction de vice-président de son père lors du mandat présidentiel de Barack Obama pour conclure certains partenariats ; la famille Biden aurait reçu des millions de dollars en provenance de partenaires étrangers du fils du président ; le chef de l’État serait intervenu pour ralentir les procédures judiciaires concernant son fils, poursuivi pour fraude fiscale et détention illégale d’armes à feu. Aucune preuve n’a toutefois et pour l’instant permis de soutenir ces allégations.

Comment expliquer cette déclaration de Kevin McCarthy ?

Mal élu en janvier 2023, après quinze tours de scrutin, et faisant face depuis lors aux pressions constantes de la frange la plus radicale du parti républicain, Kevin McCarthy a fait cette annonce pour tenter de rallier un nombre suffisant de Représentants sur le vote du budget fédéral d’ici le 30 septembre et éviter ainsi un shutdown de l’administration. Il espère également ne pas être évincé de la présidence de la chambre, alors que les Républicains les plus à droite estiment qu’il ne respecte pas les accords qu’il a conclus avec eux pour obtenir leur voix lors du scrutin de janvier et qui exigeaient notamment le lancement d’une procédure d’impeachment contre Joe Biden, dans l’espoir de contrebalancer les accusations pénales auxquelles fait face Donald Trump. Pour autant, les Républicains les plus modérés ne semblent pas véritablement soutenir cette démarche, ce qui explique certainement le choix du Speaker de ne pas avoir eu recours à un vote formel de la Chambre pour lancer l’enquête d’impeachment. Cet épisode apparaît ainsi comme une nouvelle illustration des profondes divisions du parti républicain, ce dernier ayant même été jugé comme étant dans une situation de « guerre civile » par le leader démocrate de la Chambre.

Pour aller plus loin :

https://crsreports.congress.gov/product/pdf/R/R45769