Par Jean-Philippe Tricoit, Maître de conférences en droit privé à l’Université de Lille

Le 1er septembre 2023, les salariés et les employeurs ont vu la rupture conventionnelle évoluer : quelles sont ces nouvelles modalités de rupture du contrat de travail ? Jean-Philippe Tricoit nous livre une analyse complète de ces changements.

Qu’est-ce que la rupture conventionnelle ?

Instituée en 2008 (L. n° 2008-596, 25 juin 2008, JO n° 148, 26 juin 2008.– C. trav., art. 1237-11 et s.), la rupture conventionnelle est un mode négocié de rupture du contrat de travail.

D’un commun accord, et sous le contrôle de l’administration du travail (homologation ou autorisation lorsqu’un salarié protégé est concerné), les parties à un contrat à durée indéterminée disposent de la faculté de rompre le contrat et de fixer les modalités de cette rupture. La conclusion d’une convention de rupture emporte, au profit du salarié, le versement d’une indemnité spécifique ainsi que le service de prestations de chômage. Le montant de cette indemnité ne peut pas être inférieur à celui de l’indemnité, légale ou conventionnelle, de licenciement.

Selon les statistiques établies par la DARES, ce dispositif rencontre un franc succès : au 1er trimestre 2023, 128.500 ruptures conventionnelles ont été conclues, avec une hausse légère de 0,2 % par rapport au trimestre antérieur.

Quels sont les changements effectifs depuis le 1er septembre 2023 ?

Avec l’adoption de la loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023 (L. n° 2023-270, 14 avr. 2023 : JO, 15 avr.), le but est de faire obstacle aux ruptures conventionnelles des salariés proches de la retraite et de les maintenir en poste. Alors que le régime fiscal est inchangé, le régime social de l’indemnité versée à l’occasion de la rupture conventionnelle est modifié à compter du 1er septembre 2023. Applicable à la date de versement de l’indemnité et non à celle de la conclusion de la rupture, la réforme emporte une double harmonisation.

D’une part, le critère de distinction selon le bénéfice des droits à retraite pour le salarié est supprimé. Auparavant, le régime social de l’indemnité spécifique était fonction des droits à retraite du salarié. En substance, si le salarié n’avait pas atteint l’âge d’ouverture des droits à la retraite, l’indemnité était exonérée de cotisations sociales ainsi que de la CSG et de la CRDS. Dans le cas inverse, les exonérations étaient exclues. Désormais, plus aucune différence n’existe entre salariés. Dès lors, l’indemnité est exonérée de cotisations sociales pour la fraction imposable dans la limite de deux fois le Plafond Annuel de la Sécurité Sociale (PASS) mais y est soumise dès le 1er euro si elle dépasse 10 PASS. Pour la CSG et la CRDS, il y a exonération, pour la fraction exonérée de cotisations sociales, dans la limite de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement. En revanche, si elle dépasse 10 PASS, elle est soumise à ces contributions dès le 1er euro.

D’autre part, afin d’éviter que la mise à la retraite et la rupture conventionnelle n’entrent en concurrence au détriment des seniors, le législateur harmonise également leur régime social respectif en les soumettant au même prélèvement. Le « forfait social » de 20 %, applicable à la rupture conventionnelle, et la contribution patronale de 50 %, applicable en cas de mise à la retraite, sont supprimés et remplacés par une contribution patronale unique de 30 %, au profit de la CNAV.

Ces changements peuvent-ils rendre cette procédure moins attractive ?

Le recours à une rupture conventionnelle a désormais, quel que soit le salarié concerné, un coût plus élevé à la charge des entreprises. Toutefois, la rupture conventionnelle conserve une grande attractivité. A l’avantage du salarié, l’octroi des prestations de chômage est maintenu. Pour les entreprises, la rupture conventionnelle demeure un mode de rupture sécurisé avec l’intervention de l’administration du travail, le contentieux aboutissant rarement à l’annulation. La soumission aux « charges » sociales est le prix à payer pour cette sécurité. En outre, la concurrence avec la mise à la retraite joue en faveur de la rupture conventionnelle : même si la mise à la retraite est une procédure formellement simple, il convient d’attendre le 67e anniversaire du salarié.