Par Rahima Nato Kalfane et Helen O’neil, Avocats – bwg associés

La propagation de l’épidémie du covid-19 et les impératifs sanitaires qui l’accompagnent ont entraîné une mise à l’arrêt brutale d’une large majorité des activités juridictionnelles en France comme dans de nombreux pays.

Comme l’a souligné la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme, il y a aujourd’hui urgence à ce que la Justice, pilier essentiel de toute société démocratique, reprenne ses droits1. La paralysie totale du système judiciaire met en péril les droits et libertés fondamentaux, auxquels les mesures liées à la crise sanitaire ont déjà causé une atteinte disproportionnée selon la Commission, d’autant plus dans un contexte de confinement propice au développement de certains litiges.

Très tôt en matière familiale, on a ainsi pu constater une augmentation des conflits : violences familiales en hausse, conflits parentaux exacerbés tant sur la question de l’organisation de la vie des enfants que sur les questions d’obligations alimentaires etc. Or, dans ce type de contexte, les modes amiables de règlement des différends n’offrent pas toujours une solution appropriée.

Il est donc impératif de tirer toutes les conséquences de ce qui précède en donnant les moyens à la Justice de remplir sa mission de service public et en permettant à l’ensemble des acteurs du monde de la justice (magistrats, greffiers, avocats, etc.) de revoir en profondeur leur mode d’exercice et de s’adapter à un cadre législatif d’exception.

Comment les juridictions des différents États font ils face à la crise sanitaire ?

Face à une épidémie touchant le monde entier, de nombreux praticiens du droit ont pris l’initiative d’échanger sur leurs pratiques et sur l’adaptation de leurs systèmes juridictionnels respectifs aux contraintes liées à la crise sanitaire.

Globalement, certains dispositifs ont été massivement adoptés dans de nombreux États :

  • Maintien des audiences « physiques » pour les contentieux urgents uniquement (avec des interprétations plus ou moins larges de cette notion) ;
  • Développement du recours aux audiences par visioconférence ;
  • Recours à des procédures écrites sans audience ;
  • Suspension ou interruption des délais de procédure.

Ces mesures sont mises en place de manière disparate selon les États, notamment s’agissant de la construction d’un cadre législatif pour la suspension/interruption des délais de procédure ou de l’effectivité des dispositifs de visioconférence. Souvent, elles ne permettent pas d’éviter le report de nombreuses procédures avec les conséquences que l’on imagine sur les délais de traitement à court et moyen terme.

De manière générale, on constate néanmoins que les pays qui s’en sortent le mieux sont ceux dans lesquels la Justice avait d’ores et déjà entamé sa transformation digitale.

Pour illustration, au Royaume-Uni, le recours aux audiences via téléphone ou visioconférence, qui existait avant la crise, a été étendu de manière effective à plus de procédures. Cela a permis le maintien d’une large majorité des audiences fixées pendant la période de confinement et d’assurer donc une certaine continuité du service public de la justice.

Les juridictions d’autres pays voisins étaient elles aussi déjà équipées, comme l’Allemagne (même si elles les utilisent de manière variable), ou la Norvège, qui dispose même de sa propre plateforme.

Ainsi, en Allemagne, même si de nombreuses juridictions ont vu leur fonctionnement réduit, les procédures peuvent toujours être introduites et certaines audiences orales ont même été maintenues lorsqu’un renvoi n’était pas opportun.

Autre exemple, au Chili, 90% des procédures étaient déjà complètement dématérialisées. Ainsi, l’introduction de nouvelles affaires reste possible et le développement des communications électroniques et des audiences à distance s’est fait de manière plus fluide.

À Singapour, si les audiences familiales via visioconférence sont réservées aux contentieux urgents, les procédures sont largement dématérialisées depuis de nombreuses années, permettant aussi aux nouvelles instances d’être introduites et aux procédures écrites pendantes de suivre leur cours.

L’exemple des Émirats arabes unis est intéressant aussi puisque la situation des juridictions familiales a évolué de manière progressive pendant leur confinement : si au départ, elles étaient effectivement fermées, le ministère de la justice a très tôt autorisé la création d’une plateforme de différents services connectés (smart services in Dubai courts) pour permettre notamment aux tribunaux de la famille (Personal Statute Courts) de reprendre une activité à distance. Ainsi, un service de mariage en ligne a été créé avec la possibilité pour les futurs époux, via un site web spécifiquement dédié, de choisir une date et un officier de la Cour, pour célébrer le mariage par visioconférence. Les demandes de divorce qui avaient été enregistrées et fixées pour la conciliation avant le confinement sont traitées à distance avec les magistrats et les parties, soit par téléphone ou par visioconférence.

À l’inverse, d’autres pays connaissent des difficultés, soit à défaut d’équipements technologiques existants comme c’est le cas pour la Pologne, ou peu performants, comme en Argentine ou en Espagne, rendant ainsi le traitement des affaires dites urgentes, telles les violences familiales, très difficile (pas de visioconférence possible par exemple).

Il ne fait aucun doute qu’au sein des juridictions sous équipées sur le plan technologique, la crise sanitaire aura un retentissement durable sur la capacité des systèmes juridictionnels à absorber le retard accumulé et les nouvelles affaires dont elles seront saisies.

 

[1] Cf. Commission nationale consultative des droits de l’homme, avis du 28 avril 2020.

 

Lire la suite : « Fonctionnement des juridictions familiales à l’ère du covid-19 : la France doit rattraper son retard digital ! »

 

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