Par Meryem Deffairi – Maître de conférences en droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas
Le groupe pétrolier TotalEnergies est visé depuis décembre 2021 par une enquête pour « pratiques commerciales trompeuses », a annoncé le parquet de Paris le 26 janvier 2023 auprès de l’Agence France Presse, venant ainsi confirmer une information du journal d’investigation Médiapart. Cette enquête a été ouverte par le pôle économique et financier du parquet de Nanterre à la suite d’une plainte sur le plan pénal en octobre 2020 par trois associations de défense de l’environnement. Le 2 mars 2022, d’autres associations, à savoir Greenpeace, Notre Affaire à Tous et Les Amis de la Terre ont assigné en justice le groupe TotalEnergies. Celles-ci dénoncent la stratégie de communication du groupe pétrolier qui met en avant des qualités environnementales, considérées par les associations comme bien éloignées de la réalité de son action. L’occasion de revenir sur la notion de « Greenwashing » qui s’est imposée au fil du temps dans le débat public.

Trois associations ont porté plainte contre TotalEnergies. Que reprochent-elles à la multinationale pétrolière ?

Le 2 mars 2022, les associations Greenpeace, Notre Affaire à Tous et Les Amis de la Terre ont assigné la société TotalEnergies ainsi que sa filiale Total Energies Electricité et Gaz France devant le tribunal judiciaire de Paris pour pratiques commerciales trompeuses.

Les associations critiquent une campagne publicitaire lancée par le groupe Total Energies le 29 mai 2021 qui accompagnait son changement de nom et marquait sa volonté de mettre en avant des qualités environnementales de son activité. L’assignation vise principalement deux catégories d’allégations faites par les sociétés du groupe, à savoir, d’une part, l’affichage d’une « neutralité carbone d’ici 2050 » et l’ambition du groupe de jouer un « rôle majeur dans la transition énergétique » et, d’autre part, les allégations relatives aux qualités environnementales du gaz fossile et des agro-carburants.

Les requérantes veulent démontrer que la communication de Total énergies contient « des allégations environnementales fausses ou de nature à induire le consommateur en erreur sur les propriétés environnementales des produits du groupe et sur la portée de ses engagements environnementaux, ainsi que des omissions d’informations essentielles à la compréhension du consommateur qui sont susceptibles d’altérer substantiellement son comportement économique. ».

L’action associative vise à ce que les juges judiciaires qualifient ces allégations de pratiques commerciales trompeuses prohibées par les articles L.121-1 et suivants du code de la consommation et de fautes délictuelles au sens de l’article 1240 du code civil de nature à engager la responsabilité des sociétés concernéesA ce titre, elles demandent la réparation des préjudices causés par la faute civile de violation de l’interdiction des pratiques commerciales trompeuses, composés du préjudice aux intérêts collectifs défendus par les associations et de leur préjudice moral. Enfin, elles demandent au tribunal de Paris d’ordonner la suppression « des allégations susvisées et de toute autres allégations constitutives de pratiques commerciales trompeuses », la cession de leur diffusion et de « s’abstenir de diffuser aux consommateurs des allégations relatives aux engagements environnementaux du groupe TotalEnergies en matière climatique » sauf si ces allégations comprennent un message à caractère informatif contenant certaines informations.

Au-delà de ce contentieux, toujours en cours, ce nouveau type d’actions témoigne de la volonté de la société civile de trouver de nouvelles voies d’actions susceptibles d’aboutir à la sanction de pratiques allant de la communication « traditionnelle » d’une entreprise sur la vente d’un produit déterminé, à la communication dite « corporate » ou institutionnelle visant plus largement à mettre en avant les valeurs qu’une entreprise prétend promouvoir.

Qu’est-ce que le « Greenwashing » ? Comment ce terme se traduit-il juridiquement ?

La notion de « greenwashing » ou d’« écoblanchiment » désigne une pratique consistant à communiquer en invoquant l’argument écologique de manière abusive et éloignée de la réalité des pratiques mises en œuvre, susceptible de tromper le consommateur sur l’impact environnemental de biens et services.

A partir des années 90, un encadrement réglementaire de la publicité comme contenu a été mis en place. En vertu du décret n°92-280 du 27 mars 1992, la publicité doit être conforme aux exigences de véracité (article 3) et exempte de toute incitation à des comportements préjudiciables à la santé et à la protection de l’environnement (article 4). Plus largement encore, la publicité doit être conçue « dans le respect des intérêts des consommateurs » et ne peut comporter, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur les consommateurs (article 6).

Par ailleurs, l’interdiction des pratiques commerciales trompeuses, par action ou par omission, consacrée aux articles L. 121-2 et suivants du code de la consommation, issus de la transposition de la directive sur les pratiques commerciales déloyales du 11 mai 2005, offrait – déjà avant 2021 – un cadre juridique au champ d’application suffisamment large pour embrasser l’invocation d’arguments écologiques fallacieux.

Néanmoins, le contrôle de la publicité ayant été principalement opéré par le jury de déontologie de l’Autorité – de droit privé – de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) à partir des années 1990, ces dispositions n’ont été que très peu mises en œuvre par les juridictions en matière d’écoblanchiment. Les actions contentieuses introduites sur leur fondement concernaient le plus souvent les étiquetages trompeurs de produits et non les messages publicitaires stricto sensu.

L’application de loi Climat du 22 août 2021 devrait faire évoluer cette situation.

En effet, d’une part, en adoptant l’article 10 de la loi Climat et résilience, le 22 août 2021, le législateur a démontré sa volonté de sanctionner les allégations environnementales via l’interdiction des pratiques commerciales trompeuses en modifiant l’article L 121-2 du code de la consommation. Ainsi, constitue désormais expressément une pratique commerciale trompeuse la pratique commerciale qui porte sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur l’impact environnemental d’un bien ou d’un service ou encore sur la portée des engagements d’un annonceur en matière environnementale.

D’autre part, le texte a créé deux nouvelles sections dans le code de l’environnement, l’une dédiée à l’interdiction des publicités sur les produits susceptibles d’avoir un impact excessif sur le climat (L. 229-61 et suivants du code de l’environnement), l’autre relative aux allégations environnementales (L. 229-68 du code de l’environnement). Il interdit notamment, sous peine de sanction administrative, les allégations environnementales relatives à la neutralité carbone d’un produit ou d’un service que l’annonceur ne serait pas capable de justifier par un bilan d’émission de gaz à effet de serre, une trajectoire de réduction et des modalités de compensation.

Dans l’idéal, l’application cumulative ou alternative de ces dispositifs devrait garantir le contrôle des différentes formes de communication à dimension environnementale émanant des annonceurs et permettre la sanction des abus par l’administration ou/et par le juge judiciaire.

Est-ce une première sur le plan judiciaire en France ?

Le recours des associations Greenpeace, Notre Affaire à Tous et Les Amis de la Terre n’est pas une première en France.

Par une décision en date du 6 octobre 2009, la Cour de cassation s’était prononcée sur les allégations environnementales présentes sur les emballages du Roundup, désherbant commercialisé par l’entreprise Monsanto qui avait été condamnée pour pratique commerciale trompeuse.

Par ailleurs, les associations Sherpa, ActionAid et le Collectif Ethique avaient déposé une plainte en avril 2014 à l’encontre de l’enseigne Auchan pour pratiques commerciales trompeuses. Cette plainte faisait suite à la découverte d’étiquettes de la marque du distributeur In Extenso – sous-traitant d’Auchan – dans les décombres lors de l’effondrement du Rana Plaza en 2013 au Bangladesh. Ceci alors même qu’Auchan évoquait respecter les droits des travailleurs et travailleuses sur l’intégralité de sa chaîne de valeur.

Cette première plainte avait été classée sans suite et les associations s’étaient par la suite portée partie civile mais le 27 avril 2022 un non-lieu a été prononcé par le juge d’instruction.

Plus récemment, le 22 juin 2022 l’association ZeroWaste France a déposé une plainte contre les sociétés Adidas et New Balance pour pratiques commerciales trompeuses. Il est reproché, d’une part, à Adidas d’utiliser des slogans inappropriés tels que « Made to be remade » ; « End plastic waste » ou encore « FutureCraft Footprint », d’autre part, à New Balance d’utiliser des allégations environnementales mensongères concernant certains des produits affiliés sur son site à sa « norme » green leaf qui repose sur la présence « à 50 % ou plus » de matériaux issus « de sources privilégiant l’environnement ».

Ces actions sont appelées à se multiplier, l’enjeu étant à la fois d’opérer un contrôle plus strict sur la véracité des informations environnementales utilisées par les entreprises mais également d’étendre ce contrôle à tout type de communication afin de s’adapter aux multiples modes et supports de stratégie commerciale.

C’est également le chemin pris, semble-t-il, en droit de l’Union européenne. En effet, le 30 mars 2022, une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 2005/29/CE et 2011/83/UE pour donner aux consommateurs les moyens d’agir en faveur de la transition écologique grâce à une meilleure protection contre les pratiques déloyales et à de meilleures informations a été déposée.

Cette proposition de directive pourrait inscrire en droit positif une définition plus large des allégations environnementales et une distinction au sein de celles-ci entre les allégations environnementales explicites et les allégations environnementales génériques.