Par Julia Mohamed, Avocat Associé, Marvell Avocats

Lors de son allocution du 12 mars 2020, Emmanuel Macron a exhorté les entreprises françaises à mettre en place massivement le télétravail dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 :

Quand cela est possible, je demande aux entreprises de permettre à leurs employés de travailler à distance. Les ministres l’ont déjà annoncé, nous avons beaucoup développé le télétravail. Il faut continuer cela, l’intensifier au maximum ».

Depuis mars, le télétravail explose. Il est sur le devant de la scène pour garantir la protection de la santé des salariés et le déconfinement n’y a rien changé. En effet, le 4 mai 2020, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, appelait au maintien du travail à distance jusqu’à l’été 2020 sur l’ensemble du territoire.

Si les entreprises ont bien compris que cette nouvelle organisation du travail devait être privilégiée, elles n’ont pas toujours conscience (1.) des particularités du télétravail en période d’épidémie de même que (2.) des risques qu’il génère. Il est donc primordial de connaître (3.) les solutions qui permettent de mieux gérer la situation et d’éviter de nombreux écueils.

1. Quelles sont les particularités du télétravail en période d’épidémie ?

Le télétravail est classiquement entendu comme étant un travail à distance stable (un ou plusieurs jours par semaine) durant une période indéterminée. Il s’agit du télétravail régulier.
En période d’épidémie, le télétravail répond à besoin un ponctuel, imprévu. Il s’agit d’un télétravail exceptionnel.

Alors que le télétravail régulier est bien encadré par le Code du travail [1] et l’Accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005, le télétravail exceptionnel n’est pas normé.

Le Code du travail indique seulement qu’à la différence du télétravail régulier, le télétravail exceptionnel peut être mis en place sans l’accord du salarié pour permettre à l’employeur de garantir la continuité de son activité [2] . Cela signifie qu’un salarié peut être contraint de travailler à son domicile. Cette entrave au principe du libre consentement des parties au contrat de travail est circonscrite aux cas de circonstances exceptionnelles (menace d’épidémie ou cas de force majeure).
Une autre particularité du travail en temps d’épidémie est qu’il est effectué à temps plein, sans période régulière de retour au bureau.

De plus, le télétravail en période de Covid-19 est souvent pratiqué dans un environnement spécifique : enfants à la maison dont les parents doivent assurer la scolarité, conjoint en télétravail, impossibilité de recourir aux aides extérieures habituelles (grands-parents, baby-sitters), impossibilité d’accéder aux espaces de coworking, etc.

Alors que le télétravail classique est souvent source d’amélioration de la qualité de vie des salariés (suppression des temps de trajet et de la fatigue qu’ils génèrent, amélioration de la concentration et de l’efficacité, plus grande flexibilité de l’agenda, meilleur équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle etc.), le télétravail en période d’épidémie peut générer des situations particulièrement à risque.

2. Quels sont les risques liés au télétravail en période de Covid-19 ?

Du côté du télétravailleur, l’un des risques majeurs du télétravail, renforcé par la crise sanitaire actuelle, est l’isolement. En effet, l’absence de tout contact avec les collègues et le management durant la semaine de travail peut générer chez le salarié des difficultés de communication importantes et des tensions supplémentaires.

La frontière entre la vie professionnelle et la vie personnelle peut également être moins évidente à déterminer lorsque le télétravail est permanent. L’explosion des sollicitations par e-mail et par téléphone, la multiplication des web conférences peuvent désorganiser le travail et générer un risque d’hyper connexion. Le risque de saturation sera aggravé si le télétravailleur doit en plus supporter des tâches familiales chronophages.

Pour l’employeur, le télétravail en temps d’épidémie peut également générer de nombreuses difficultés.

D’une part, le contrôle du temps de travail des salariés pourra être complexe en cas de travail à distance. Or, ce contrôle est essentiel pour éviter les demandes de paiement d’heures supplémentaires. Il est également fondamental si l’entreprise a eu recours à des réductions d’horaires dans le cadre de l’activité partielle. Dans un tel cas de figure, l’employeur devra être en mesure de justifier vis-à-vis de l’administration les heures travaillées et les heures chômées pour lesquelles il sollicite une indemnisation de l’État. L’employeur devra donc mettre en place un système de décompte fiable du temps de travail pour les télétravailleurs (par exemple, un système auto-déclaratif hebdomadaire validé par le manager).

Le maintien de la performance est également un enjeu majeur pour l’entreprise. Dans le contexte de crise sanitaire, l’employeur doit jongler avec une série de règles assez contradictoires : il doit faire preuve de tolérance à l’égard des parents contraints de garder leurs enfants à domicile (ce qui semble impliquer pour ces salariés l’absence de sanction d’éventuelles insuffisances professionnelles ou de résultat pendant la période de crise sanitaire) mais en même temps il peut exiger de son salarié qu’il soit opérationnel et disponible pendant ses horaires de travail [3]. Dans un tel contexte, il aura tout intérêt à structurer et à adapter l’activité aux circonstances actuelles afin de préserver sa feuille de route.

D’autre part, l’absence de norme relative au télétravail en période d’épidémie est source d’incertitudes quant à ses obligations : doit-il mettre à disposition des salariés le matériel nécessaire pour télétravailler ? Doit-il verser une indemnité d’occupation du domicile ? Doit-il rembourser les frais inhérents au télétravail (électricité, abonnement internet, etc.) ? Peut-il exiger que le salarié ait un espace de travail dédié pour télétravailler ?

Ces nombreuses interrogations ont trouvé, pour la plupart, une réponse sur le site du ministère du travail le 9 mai 2020 [4]. Toutefois, la position du ministère est sans aucune valeur juridique et ne lie pas les juridictions en cas de contentieux. Cela signifie que l’employeur pourrait très bien être condamné au versement d’indemnités de télétravail (occupation du domicile, électricité, abonnement internet, etc.) par un Conseil de Prud’hommes dans le cadre d’une demande en justice formulée par un salarié en télétravail durant l’épidémie de Covid-19.

Au vu de l’ensemble de ces risques, il paraît essentiel pour l’employeur de parer à l’absence de normes régissant le télétravail exceptionnel, par la mise en place d’un accord d’entreprise ou d’une charte sur le télétravail.

3. Quelles solutions permettent de mieux gérer le télétravail ?

La crise sanitaire actuelle a rendu primordiale l’élaboration d’un accord d’entreprise ou d’une charte pour réglementer le télétravail.

L’accord d’entreprise doit être signé avec les organisations syndicales représentatives de l’entreprise alors que la charte est un document unilatéral qui est soumis au Comité Social et Économique (CSE) et communiqué à l’Inspection du Travail.

Bien que non obligatoire, une telle norme au sein de l’entreprise permettra d’appliquer des mesures de nature à éviter les risques générés par le recours massif au télétravail.

Ce texte pourra régir à la fois le télétravail régulier (hors périodes exceptionnelles) et le télétravail occasionnel (mis en place en cas de circonstances exceptionnelles comme la menace épidémique, les cas de force majeure, les grèves etc.).

Il sera important d’aborder notamment les points suivants :

  • les conditions de passage en télétravail,
  • les modalités d’acceptation par le salarié et des conditions de mise en œuvre du télétravail,
  • les modalités de contrôle du temps de travail et de régulation de la charge de travail,
  • la détermination des plages horaires durant lesquelles le salarié peut être contacté,
  • les critères d’éligibilité au télétravail,
  • les modalités de mise à disposition du matériel nécessaire pour le télétravail,
  • la prise en charge (ou la non prise en charge) des frais et coûts liés au télétravail,
  • l’organisation permettant de lutter contre l’isolement et la surcharge de travail,
  • les règles concernant la conformité du domicile du salarié,
  • les mesures pour assurer le maintien de la performance.

L’entreprise aura également tout intérêt, dans le contexte actuel, à prendre des dispositions adaptées sur le droit à la déconnexion et la sécurisation de son système d’information.

Même si le recours au télétravail pourra s’atténuer au fil des mois, la crise sanitaire actuelle aura donné l’opportunité à un grand nombre d’entreprises de s’approprier cette nouvelle forme d’organisation du travail ou de la repenser. En la réglementant, l’employeur sécurisera sa pratique. L’épreuve du Covid-19 aura ainsi permis, certes à marche forcée, d’accélérer la transition numérique de nombreuses entreprises.

 

[1]  Articles L.1222-9 et suivants du Code du travail
[2] Article L.1222-11 du Code du travail
[3] Questions / Réponses du ministère du Travail par thème à jour du 19/05/2020 « Télétravail »
[4] Questions / réponses du ministère du Travail « Télétravail et déconfinement » publié le 9 mai 2010

 

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