Le 8 mars 2018, le Président américain Donald Trump a décidé d’augmenter drastiquement les taxes sur l’acier et l’aluminium importés sur le territoire des États-Unis.

Ces mesures ont suscité de vives réactions de la part des principaux partenaires commerciaux des États-Unis. Certains voient déjà poindre le spectre d’une guerre commerciale à l’échelle mondiale. Les outils du droit international peuvent-ils permettre de l’éviter ?

Décryptage par Sabrina Robert-Cuendet, Professeur de droit à l’Université du Mans.

« La surtaxe douanière doit s’appliquer à l’ensemble des membres de l’OMC sans discrimination, ce qui s’oppose clairement à la position des Etats-Unis »

En quoi consistent les mesures américaines rehaussant les taxes douanières sur l’aluminium et l’acier ?

 La décision qu’a prise le Président américain d’ajuster les droits de douane sur les importations de produits d’acier et d’aluminium fait suite à un rapport qui lui a été remis par le Secrétaire au Commerce, au début de l’année, et qui met en garde contre les importations excessives de ces produits et la dépendance croissante de l’industrie américaine. Cette décision s’inscrit aussi logiquement dans le retour au protectionnisme qui caractérise la politique commerciale du Président Trump.

C’est sur le fondement principal de la Section 302 du Trade Expansion Act de 1962 que ces mesures ont été adoptées. Elles sont justifiées par la menace que ces importations jugées excessives font peser sur la sécurité nationale des États-Unis et par la nécessité d’assurer la viabilité économique de l’industrie locale. Elles se concrétisent par une surtaxe douanière de 10 % sur les produits d’aluminium et de 25 % sur les produits d’acier.

Ces surtaxes ont pris effet le 23 mars 2018 et doivent s’appliquer à tous les États. Le Canada et le Mexique, compte tenu des liens commerciaux étroits qu’ils entretiennent avec les États-Unis, en particulier dans le cadre de l’ALENA, ont été d’emblée exemptés, mais de manière temporaire seulement. Dans une décision ultérieure du 22 mars, le Président américain a également exclu l’Australie, l’Argentine, la Corée du Sud, le Brésil et l’Union européenne (concernée du fait de l’Allemagne qui se place en huitième position des pays exportateurs d’acier vers les États-Unis). Cette exemption ne pourra toutefois être maintenue au-delà du 1er mai, que si une solution alternative satisfaisante pour préserver la sécurité nationale des États-Unis est trouvée.

Les mesures américaines sont-elles compatibles avec les engagements commerciaux internationaux des États-Unis ?

 Les États-Unis sont membres de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), (qui comptent 164 membres dont tous les pays exportateurs d’acier et d’aluminium vers les États-Unis) et parties contractantes de quatorze accords de libre-échange (dont l’ALENA). Or, si dans le cadre de ces traités commerciaux les droits de douane sont tolérés, les États ont pris l’engagement de ne pas les rehausser, une fois qu’ils sont consolidés dans leurs listes de concessions commerciales. Par ailleurs, dans le cadre plus spécifique de l’Accord général sur le commerce des marchandises de l’OMC (GATT), la clause de la nation la plus favorisée interdit de pratiquer des tarifs différents selon l’origine des produits.

Ici, les mesures américaines contreviennent très clairement à ces deux obligations fondamentales. Non seulement les tarifs sont unilatéralement rehaussés et de manière très substantielle. Mais en outre, les exemptions dont bénéficient certains États, même si elles ne sont que temporaires, créent une discrimination entre les membres de l’OMC.

Les accords de libre-échange autorisent les États, dans des situations exceptionnelles, à avoir recours à des mesures de défense commerciale qui permettent de réagir à un risque de perturbation du marché national. Mais il est douteux que les mesures américaines puissent être justifiées sur ce fondement. Dans le cadre de l’OMC en particulier, les conditions posées par l’article 19 du GATT relatif aux mesures sont extrêmement rigoureuses : il ne suffit pas d’arguer d’un niveau excessif des importations ; encore faut-il également prouver un risque de dommage grave, causé par l’effet combiné des engagements commerciaux de l’État concerné et de circonstances imprévues. En outre, la surtaxe douanière doit s’appliquer à l’ensemble des membres de l’OMC sans discrimination. Cela s’oppose donc clairement à la position des Etats-Unis qui semblent disposés à ménager les intérêts de certains de leurs partenaires, dès lors qu’ils parviennent, ensemble, à trouver une solution alternative à la protection de la sécurité américaine.

Comment les États impactés par ces mesures peuvent-ils répliquer ?

 Il faut distinguer les États qui bénéficient d’une exemption provisoire et ceux qui sont d’ores et déjà soumis aux nouvelles taxes.

Pour les premiers, on voit déjà certains États se plier aux exigences américaines pour tenter de conserver l’avantage. Le Canada vient par exemple d’annoncer qu’il mettra en place un dispositif visant à bloquer les exportations d’acier étranger à partir de son territoire. La Corée du Sud a quant à elle accepté de négocier un nouvel accord de libre-échange avec les États-Unis et de réduire de 30 % ses exportations d’acier.

La légalité de ces mesures pose question. La mesure canadienne impliquerait un traitement discriminatoire entre les produits nationaux et les produits étrangers, ce qui est prohibé par le GATT. Quant aux dispositifs d’autolimitation, ils sont également interdits dans le cadre de l’OMC, même s’ils sont négociés dans un accord commercial préférentiel.

Quant aux États qui voient leurs exportations menacées dès à présent, ils peuvent bien évidemment être tentés de répliquer par des mesures de rétorsion, en surtaxant certains produits américains. Mais là aussi, l’OMC interdit strictement le recours à cette forme de justice privée. Elle offre, en revanche, un dispositif de règlement des différends spécialement dédié à ce type de litiges. Ce n’est que si une plainte était engagée par un ou plusieurs États contre les États-Unis devant l’Organe de règlement des différends que des mesures de rétorsion pourraient être autorisées par l’OMC, dès lors que la procédure aboutirait à reconnaître l’illégalité des mesures américaines. En revanche, si certains États décident de braver l’interdiction de rétorsion unilatérale, ils s’exposent eux-mêmes à une procédure de plaintes devant l’OMC

Un tel contentieux contre les États-Unis ne serait pas inédit. Ces derniers ont déjà fait l’objet, par le passé, d’une trentaine de plaintes concernant leur politique commerciale sur les produits d’acier. Certaines de ces plaintes ont porté sur des mesures très similaires à celles qui sont en cause ici et elles se sont soldées par une condamnation des États-Unis à qui l’ORD a demandé de retirer la mesure litigieuse.

Par Sabrina Robert-Cuendet