Le Parlement a adopté définitivement la « taxe GAFA » (Géants du numériques), contestée par les États-Unis. La loi prévoit, entre autres, d’imposer à hauteur de 3 % le chiffre d’affaires en France les géants du numérique. Washington a annoncé l’ouverture d’une enquête sur les effets de cette taxe sur leur économie.

Décryptage par Marc Pelletier, professeur à l’Université Paris 8.

« La taxe ne visera que les leaders mondiaux du secteur – moins d’une trentaine d’entreprises serait concernée – et épargnera les start-ups. »

 

Que prévoit la taxe GAFA ?

Le nouvel article 299 du Code général des impôts (CGI) institue une taxe sur certains services fournis par les grandes entreprises du secteur numérique. Destinée à faire pression sur les partenaires de la France afin d’obtenir une modification du cadre fiscal international applicable à ce secteur, la taxe présente une nature hybride. Face à l’impossibilité actuelle de taxer les bénéfices de ces entreprises en l’absence de présence physique en France, cette taxe entend soumettre les revenus bruts, c’est-à-dire le chiffre d’affaires, générés par un nombre limité de services numériques à une taxe de 3 %.

Sont visées par cette nouvelle taxe les activités d’intermédiation en ligne ainsi que la publicité ciblée. En revanche, n’y sont pas soumises d’autres activités telles que le commerce en ligne ou la fourniture de services numériques. Échappent également à la taxe les services de communication, les services de paiement et les services – notamment financiers – réglementés. La nouvelle taxe ne va donc pas frapper l’ensemble des services fournis par voie électronique. Inspiré notamment du Rapport Collin et Colin de 2013, le choix de cette assiette restreinte s’explique par la volonté de cibler des services pour lesquels les utilisateurs (français) participent, le plus souvent gratuitement, au succès de ces activités utilisant leurs données personnelles et ainsi à la création de valeur de ces sites.

Pour être redevables de la taxe, les entreprises concernées doivent réaliser plus de 750 millions d’euros de recettes au niveau mondial et plus de 25 millions d’euros en France au cours de l’année civile au titre des services imposables. Naturellement, seuls les services fournis en France seront taxés à hauteur de 3 % des sommes encaissés sur cette période. La taxe ne visera ainsi que les leaders mondiaux du secteur – moins d’une trentaine d’entreprises serait concernée – et épargnera les start-ups.

Pourquoi les États-Unis ont-ils menacé la France sur la taxe GAFA ?

Les États-Unis sont traditionnellement réticents à toute modification du cadre fiscal international qui serait susceptible d’alourdir les charges pesant sur les entreprises américaines. Ils se sont longtemps opposés à toute action en ce sens dans le cadre du projet BEPS mené depuis 2013 sous l’égide de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du G20. L’initiative européenne d’une taxe sur les services numériques qui s’était concrétisée en 2018 n’a pu aboutir, les États membres ne parvenant à s’accorder sur le projet présenté par la Commission européenne et défendu notamment par la France.

La taxe française est directement inspirée du projet européen dont elle reprend les principales caractéristiques. La réaction américaine à l’égard de la France ne fait que reprendre des critiques qui avaient déjà été formulées par les États-Unis. Ces derniers considèrent notamment que cette taxe est discriminatoire, à raison de son champ d’application matériel et personnel, dans la mesure où elle pénalise tout particulièrement les grandes entreprises américaines du secteur. Ils considèrent également que cette mesure « déraisonnable » est rétroactive dès lors que cette taxe annuelle va frapper, au titre de 2019, les sommes perçues depuis le 1er janvier.

En dépit de l’ouverture d’une enquête par le Bureau du Représentant du Commerce américain (United States Trade Representative, USTR) sur le fondement de la Section 301 de la loi américaine de 1974 sur le commerce extérieur, il n’est toutefois pas certain que les menaces de représailles à l’égard des produits français au travers d’un relèvement des droits de douane aboutissent. En réalité, la taxe GAFA – que plusieurs autres États européens ont (ou vont) également instituée – constitue une mesure temporaire devant prendre fin une fois modifiées les règles d’imposition des bénéfices des entreprises multinationales. Or, les États-Unis semblent à présent décidés à s’engager sur cette voie dans un cadre multilatéral – qui pourrait aboutir dès 2020 – de sorte que la taxe française pourrait être rapidement supprimée, peut-être même avant toute application effective. Les prochaines réunions du G7 permettront d’en savoir plus.

Cette taxe pourrait-elle être contestée ?

Indépendamment de mesures américaines de rétorsion – ou d’une éventuelle saisine des organes de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) évoquée par l’USTR – la validité de cette taxe suscite un certain nombre de réserves au regard des engagements européens et internationaux de la France.

Deux griefs principaux tirés de la méconnaissance du droit primaire de l’Union européenne ont été avancés : une atteinte aux libertés de circulation, d’une part, et la violation de l’interdiction des aides d’État, d’autre part. Toutefois, les conclusions que vient de prononcer, le 14 juillet dernier, l’avocat général Kokott devant la CJUE dans une affaire Tesco (C-323/18) relative à un impôt hongrois applicable aux entreprises de commerce de détail – dans lesquelles est largement abordée la taxation des services numériques – pourraient être de nature à neutraliser l’essentiel de ces critiques.

En revanche, l’ambiguïté de la taxe sur le terrain conventionnel n’a pas été dissipée. Le principe de cette taxe et le choix d’une assiette constituée par les revenus bruts sans déduction de charges sont justifiés – et même revendiqués – par la volonté du gouvernement de les soustraire à l’application des conventions fiscales internationales, lesquelles font obstacle à l’imposition des bénéfices réalisés en France en l’absence de présence physique de l’entreprise étrangère au travers d’un établissement stable. Visant explicitement à contourner les contraintes conventionnelles dans l’attente d’une modification du cadre international, la taxe GAFA pose ainsi de sérieux problèmes au regard de l’obligation d’exécuter de bonne foi les conventions internationales et de l’interdiction de l’abus de droit – principe auquel les États européens ont vocation à être soumis au travers du principe de coopération loyale consacré par l’article 4, paragraphe 3 du TUE. La taxe ne pourrait alors être appliquée qu’aux entreprises du numérique disposant d’un établissement stable en France.

Pour aller plus loin :

Par Marc Pelletier.