Par Marc Le Roy – Docteur en droit – Enseignant en Droit de l’audiovisuel et du cinéma – Universités de Nantes, Nancy et Lyon-3 et au CEIPI de Strasbourg – Directeur de Droit des Art
La promesse de campagne d’Emmanuel Macron visant à la suppression de la contribution à l’audiovisuel public (CAP) communément appelée redevance télé (son ancienne dénomination) se concrétise. Le projet de loi de finances rectificative pour 2022 est rentré en discussion à l’Assemblée nationale le jeudi 21 juillet. Cette suppression est très défavorablement commentée par les professionnels de l’audiovisuel et les tenants d’un audiovisuel public fort et indépendant qui voient d’un mauvais œil la suppression de cette redevance créée en 1933 pour les postes de radio et étendue à la télévision en 1949. Plusieurs textes ont été publiés pour mettre en avant les dangers que peut constituer une telle suppression pour l’avenir du service public audiovisuel. Un décryptage s’impose.

Quel est l’objectif de cette réforme du financement de l’audiovisuel ? 

La suppression de la CAP fait partie du projet d’Emmanuel Macron présenté avant l’élection présidentielle du printemps 2022 qui précise ambitionner de supprimer la « redevance télé » tout en garantissant l’indépendance de l’audiovisuel public. Comme le rappelle l’exposé des motifs du projet de loi, l’objectif premier de cette réforme est d’alléger la charge fiscale des français (la CAP s’élève de façon forfaitaire à 138 euros par an en métropole et 88 euros pour les départements d’outre-mer). Dans ces conditions, difficile de ne pas jeter un regard favorable sur cette suppression. Pour autant, cette suppression entraîne une disparition de revenus considérable pour l’audiovisuel public (qui vise notamment l’INA et les stations de radio ou chaînes de télévision détenues au moins partiellement par l’Etat et assurant une mission de service public). Il était prévu que la contribution à l’audiovisuel public rapporte à l’audiovisuel 3,7 milliards d’euros en 2022. France Télévisions devait recevoir en 2022 2,406 milliards d’euros (soit plus de 85% de ses ressources), Radio France 599,60 millions d’euros, Arte 278 millions d’euros (soit la quasi-intégralité du budget d’Arte France), France Médias Monde 259,6 millions d’euros, l’INA 89,7 millions d’euros et TV5 Monde 77,78 millions d’euros.

Ces ressources vont devoir être remplacées par d’autres. C’est ici que les problèmes commencent. L’avantage de la CAP est que l’intégralité de son rendement est directement affectée à l’audiovisuel public. Le Parlement n’avait qu’à fixer chaque année la répartition à opérer entre les différents acteurs concernés sans pouvoir orienter une partie de la CAP vers d’autres secteurs (réduction de la dette du budget de l’Etat, attribution à des secteurs d’activité sans lien avec l’audiovisuel…) La CAP procure donc un double avantage : l’attribution d’un montant pérenne à l’audiovisuel (un montant fonction du rendement de la CAP) d’une part et d’autre part l’attribution d’une somme qui n’est pas fonction du bon vouloir du Parlement. La suppression de la CAP gomme ces deux avantages si les sommes attribuées à l’audiovisuel public sont nouvellement fonction du budget de l’Etat : les sommes attribuées seront laissées au gré du Parlement qui pourra selon son humeur ou son orientation politique décider de baisser les sommes consacrées annuellement à l’audiovisuel public. Nous verrons néanmoins que des garde-fous sont envisageables comme dans d’autres pays. Pour le moment le projet de loi n’en retient pas.

Cette réforme du financement de l’audiovisuel public est-elle conforme au principe d’indépendance de l’audiovisuel public protégé par le Conseil constitutionnel ?

Difficile à dire ! Selon le journal Le Monde plusieurs administrations auraient averti Matignon sur les risques d’une censure de la suppression de la CAP par le Conseil constitutionnel. On peut considérer que la saisine du Conseil constitutionnel est certaine si le projet de loi est voté par le Parlement. Le Conseil pourrait considérer que la suppression de cette ressource pérenne pour l’audiovisuel public est contraire à la Constitution dans la mesure où elle porte atteinte à l’indépendance de l’audiovisuel public. Comme nous l’avons vu, la suppression de la CAP pourrait conduire le financement de l’audiovisuel public à être soumis au bon vouloir du Parlement.

En outre, la suppression de la CAP et l’incertitude qui pourrait en découler en termes de financement pourraient rendre les acteurs de l’audiovisuel public et notamment les chaînes de télévision et les radios plus dépendantes de la publicité et donc de ressources provenant de groupes privés. L’ensemble de ces éléments pourrait porter atteinte à l’indépendance des programmes diffusés par ces chaînes. Le Conseil constitutionnel pourrait s’appuyer sur une atteinte disproportionnée à l’indépendance de l’audiovisuel public pour censurer la suppression de la CAP si elle n’est pas accompagnée de mesures fortes pour garantir l’indépendance des services audiovisuels publics.

Une réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel (ce qui a par exemple déjà été fait en matière d’autonomie financière des collectivités territoriales) serait également envisageable : la suppression de la CAP serait constitutionnelle sous réserve qu’un certain nombre de garanties soit organisé.

De plus, peut-on toujours affirmer que l’audiovisuel public est indépendant si son budget est fonction du vote du Parlement et donc dans notre système de la majorité gouvernementale ? Si l’on raisonne par analogie, on se souvient que le Conseil constitutionnel n’a pas constaté d’atteinte à l’autonomie financière des collectivités territoriales lors de la disparition de la taxe d’habitation tant que cette suppression était entièrement compensée par l’Etat. Plus généralement, la suppression de la CAP permet-elle d’assurer la neutralité du service public audiovisuel ? Lors du contrôle de constitutionnalité de la loi de 1986 sur l’audiovisuel, le Conseil constitutionnel a rappelé (v. considérant 13 à 17) que la loi de 1986, les cahiers des charges imposés aux groupes audiovisuels publics et le contrôle de l’autorité de régulation de l’audiovisuel (aujourd’hui l’ARCOM) permettaient d’assurer l’objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme dans le secteur public de la communication audiovisuelle. Ces garanties existent toujours aujourd’hui et la suppression de la CAP n’y porte pas atteinte. Pour toutes ces raisons, il apparaît peu vraisemblable que les juges de la rue Montpensier s’opposent à une décision plus critiquable sur le plan de l’opportunité que sur le plan de la légalité.

Comment prévenir les inconvénients dus à la suppression de la CAP ?

L’existence d’une taxe directement affectée comme l’est actuellement la CAP n’est pas l’unique solution permettant d’assurer l’indépendance et le bon fonctionnement de l’audiovisuel public. En matière d’indépendance de l’audiovisuel public des limites existent déjà comme nous l’avons rappelé plus haut (ARCOM, loi de 1986, cahier des charges de France TV…). Les articles 4 et 34 de la Constitution précisent de leur côté que la loi doit fixer les règles concernant « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias » et garantir « les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ».

Pour ce qui est de l’indépendance budgétaire de l’audiovisuel public, la solution reste à trouver. Le projet de loi du Gouvernement prévoyait une compensation assurée par une subvention du budget général de l’Etat. L’Assemblée nationale a supprimé ce point en première lecture pour ajouter la disposition suivante : « les recettes du compte proviennent d’une fraction du produit de la taxe sur la valeur ajoutée déterminée chaque année par la loi de finances de l’année ». La suite des débats parlementaires fera probablement évoluer ce texte. Plusieurs solutions restent possibles : prélèvement sur un impôt existant directement affecté à l’audiovisuel public comme en Suède ; création d’une nouvelle taxe ou d’un nouvel impôt progressif (à la différence de la CAP qui est forfaitaire) comme en Norvège ; mise en place d’une commission technique indépendante, chargée de définir les moyens de l’audiovisuel public de façon pluriannuelle et de veiller à la bonne exécution des engagements budgétaires… Le Gouvernement et les parlementaires s’inspireront peut-être de ces solutions pour rassurer les sceptiques.

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