Par Jacques-Henri Robert, Professeur émérite de l’Université Paris 2 Panthéon-Assas, expert du Club des Juristes

Pourquoi le Conseil Constitutionnel a-t-il été saisi d’une QPC ?

Depuis le 1er janvier 2018, la sanction applicable pour défaut de paiement des redevances de stationnement payant n’est plus une amende pénale, mais un « forfait post-stationnement » qui est une ressource domaniale pour les finances locales.
L’automobiliste qui excède la durée de son droit de stationnement pour lequel il a payé ou s’il n’a rien payé du tout doit s’acquitter de ce forfait : il y est invité par un « avis de paiement de forfait post-stationnement».

S’il conteste sa dette, il peut former, dans le mois de la réception de cet avis, un recours administratif préalable porté devant l’institution locale qui a établi le stationnement, à savoir soit la commune, soit l’établissement public de coopération intercommunale, soit le syndicat mixte compétent pour l’organisation de la mobilité. En cas de rejet de ce recours préalable, ou à défaut de réponse de l’administration dans le mois de la réception de la requête, le débiteur du forfait dispose d’un autre recours dit contentieux qui est porté devant une institution nouvelle, la Commission du contentieux du stationnement payant : c’est une juridiction nationale unique dont le siège se trouve à Limoges.

Le débiteur qui a négligé de faire un recours administratif préalable et qui n’a pas non plus payé le forfait dans les trois mois de la réception de l’avis peut encore, après qu’il a reçu un titre exécutoire l’invitant à payer cette somme plus une majoration de 20 %, élever un recours porté directement devant la commission du contentieux. Le délai d’un mois dont dispose le redevable est compté depuis le jour où il a reçu l’avertissement consécutif à l’émission du titre exécutoire.

Quel que soit le cheminement indirect ou direct de la procédure, le droit de saisir la Commission du contentieux est subordonné au paiement préalable du montant de l’avis de paiement du forfait de post-stationnement et de la majoration. C’est cette condition de recevabilité qui a été contestée avec succès devant le Conseil constitutionnel : inscrite dans l’article L. 2333-87-5 du Code général des collectivités territoriales, elle constituait en effet une violation du droit à un recours juridictionnel effectif, contraire à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Que dit le Conseil constitutionnel dans cette décision du 9 septembre 2020 ?

Le Conseil constitutionnel ne juge pas que l’obligation litigieuse est, dans son principe, inconstitutionnelle. Il en existe une semblable dans l’article 529-10 du Code de procédure pénale : le contrevenant aux règles du Code de la route qui conteste une amende forfaitaire, pénale celle-ci, doit aussi en consigner le montant s’il désire être jugé par le tribunal de police pour présenter sa défense. Or, la Cour européenne des droits de l’homme elle-même a jugé que, en présence d’un contentieux contraventionnel de masse, les États pouvaient à bon droit élever des barrières dissuasives contre les « recours dilatoires et abusifs » pour éviter « l’encombrement excessif du rôle des tribunaux de police » (CEDH Thomas c. France, n° 14279/05 du 29 avril 2008 ; CEDH 30 juin 2009, Florence S. c. France, req. n° 49852/06). C’est aussi ce que concède la décision du 9 septembre.

Mais il faut aménager des tempéraments à cette obligation, par exemple au profit des contrevenants impécunieux, comme le fait d’ailleurs l’article 530-4 du Code de procédure pénale, ou en distinguant selon le motif du recours : ainsi l’article 529-10 du même code dispense le requérant de consignation quand ce motif est le vol ou la vente du véhicule.

Or l’article L. 2333-87-5 du Code général des collectivités territoriales abrogé par le Conseil constitutionnel ne comportait aucune nuance ni aménagement. Si pauvre que soit le requérant et si justifiée que soit la requête, la commission du contentieux devait déclarer irrecevable sa démarche à défaut de paiement préalable du forfait. Le Conseil ajoute que son montant pouvait être fixé de manière arbitraire.

Quel impact cette décision aura-t-elle sur les automobilistes et les affaires en cours et à venir ?

L’abrogation de l’article L. 2333-87-5 n’affecte pas l’institution de la redevance de stationnement ni la structure de la procédure organisée pour contester l’obligation de payer le forfait post-stationnement : disparaît seulement l’obligation du paiement préalable comme condition d’accès à la Commission du contentieux.
Les automobilistes qui l’ont déjà payé et dont l’affaire est en cours d’instruction devant cette institution ne seront pas remboursés, car les actes accomplis avant l’abrogation restent valides comme ayant été accomplis sous l’empire d’une loi en vigueur. Mais à compter du 10 septembre 2020, les requérants pourront saisir la Commission sans avoir à payer préalablement le forfait qui leur a été demandé.

Cependant, une loi future rétablira probablement cette obligation, assortie cette fois des aménagements réclamés par le Conseil constitutionnel.
Il faut aussi rappeler que la redevance de stationnement est, dans son principe et depuis son origine, sans effet sur les règles de stationnement prévues par le Code de la route et dont l’inobservation demeure une infraction pénale.