Stéphane de La Rosa, professeur de droit à l’Université Paris-Est Créteil (UPEC), décrypte les conséquences du rapport de la mission conduite par Jean-Cyril Spinetta sur l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, remis le 15 février au Premier Ministre.

« Le rapport insiste bien plus sur les réformes à engager préalablement à l’ouverture à la concurrence que sur les modalités juridiques et concrètes de cette ouverture »

Dans quel contexte intervient le rapport « Spinetta » ?

Ce rapport est le résultat d’une mission, conduite à la demande du Premier Ministre. La lettre de mission a soigneusement délimité son champ. Il s’agissait de préciser la stratégie du transport ferroviaire à l’horizon 2030, en se concentrant sur son périmètre par rapport aux autres modes de transport, sur le modèle économique du TGV, sur la viabilité financière des dessertes locales, sur le fret et l’état du réseau. La mission devait également se pencher sur les « conditions de réussite » de la mise en concurrence du transport interne de voyageurs. Devait ainsi être abordés : l’organisation de la SNCF – actuellement constituée de trois EPIC (établissement public industriel et commercial) depuis la loi ferroviaire du 4 août 2014  – ; les aspects logistiques et matériels (statut des gares, matériel roulant) ; le statut des salariés et son évolution possible. Ces orientations interviennent dans un contexte caractérisé par plusieurs contraintes.

La mise en œuvre du quatrième paquet ferroviaire, adopté en 2016 par l’UE, est un impératif à court terme. Celui-ci renvoie à deux volets. Un pilier « technique », qui porte sur les pouvoirs de l’Agence ferroviaire européenne (règlement n° 2016/796 relatif à l’Agence), sur l’interopérabilité des systèmes ferroviaires (directive 2016/797) et sur la sécurité (directive 2016/798). Adopté en mars 2016, ce volet se caractérise par une centralisation de la délivrance des licences de circulation et une harmonisation des normes d’interopérabilité. Il n’est pas au cœur du rapport.

Beaucoup plus sensible est le volet « marché » ou « gouvernance », qui fonde l’obligation d’ouvrir à la concurrence le marché interne de voyageurs. Après la libéralisation du fret, puis l’ouverture du marché international de voyageur (troisième paquet), les transports de voyageurs par chemin de fer sont couverts par un régime dérogatoire. En décembre 2016, l’adoption d’une directive (2016/2370) sur l’ouverture des services nationaux de transport de voyageurs et d’un règlement (n°2016/2338) modifiant le règlement « Obligation de service public, OSP » (n° 1370/2007) a entériné le principe d’une ouverture à la concurrence.

Ce contexte doit être relié à un programme gouvernemental plus général sur l’évolution des mobilités. En vue d’une prochaine d’une loi d’orientation des mobilités, des assises se sont tenues de septembre à décembre 2017. Tablant sur un calendrier court, le gouvernement souhaite utiliser la synthèse de cette concertation (https://www.assisesdelamobilite.gouv.fr/syntheses) pour inscrire les modalités de l’ouverture à la concurrence dans un cadre plus global, couvrant l’accès aux transports et ses enjeux sociétaux.

Quel est le calendrier préconisé pour ouvrir à la concurrence le transport de voyageurs ?

Le rapport insiste bien plus sur les réformes à engager préalablement à l’ouverture à la concurrence que sur les modalités juridiques et concrètes de cette ouverture.

Le principe de l’ouverture est acté, mais diffère selon la nature des lignes en cause, selon qu’elles sont couvertes ou non par des obligations de service public. En l’absence de celles-ci, une entreprise ferroviaire, titulaire d’une licence de circulation, pourra solliciter des capacités d’infrastructure pour exploiter un service de transport de voyageurs. Plusieurs opérateurs peuvent être admis sur une même ligne ou un même tronçon. En revanche, lorsqu’une desserte est couverte par ces obligations, le contrat est couvert le règlement « OSP ». Dans ce cas, il s’agira d’une d’attribution, après appel d’offres, à un opérateur, avec une convention entre l’autorité organisatrice de transports et l’opérateur.

Cette distinction est reprise dans le rapport Spinetta, qui distingue la concurrence « dans le marché » ou en accès libre et la concurrence « pour le marché », dans le cadre d’un conventionnement. Ces deux modèles ont leurs avantages et leurs inconvénients, le choix découle de la qualification de service public.

Le calendrier de l’ouverture ne sera pas le même. Pour les lignes non conventionnées, essentiellement les TGV, le principe de l’open access devra prévaloir dès 2020. Un opérateur privé pourrait proposer un service grande vitesse sur une liaison purement interne. Cette perspective soulève de nombreux enjeux : définir le risque de saturation sur le réseau, mettre en place un péage adapté, conclure des accords-cadres entre le gestionnaire d’infrastructure et l’opérateur.

Le régime des lignes conventionnés (TER et trains d’équilibre, par ex Paris/Limoges) est plus complexe. Avec la révision du règlement « d’Obligation de Service Public », le principe de l’attribution concurrentielle des contrats (métro et tramway exclus) est la règle à partir du 3 décembre 2019. Mais la possibilité de les attribuer directement, sans concurrence, demeure possible jusqu’au 25 décembre 2023, pour des contrats n’excédant pas 10 ans. Concrètement, cela implique que les Etats ne pourront maintenir, comme c’est le cas en France avec la loi LOTI, l’exclusivité d’un seul opérateur pour exploiter « selon les principes du service public, les services de transport ferroviaire de voyageurs sur le réseau ferré national » (art. L. 2141-1 Code des transports). Néanmoins, dans la mesure où l’attribution directe est possible jusqu’à fin 2023, il est probable qu’un système dual se mette en place dès 2019. C’est ce qui ressort du rapport, qui recommande d’ouvrir pleinement les services de transports régionaux en 2023. Entre 2019 et 2023, une attribution directe des contrats à la SNCF pourrait coexister avec la liberté des régions de recourir à des appels d’offres pour une partie des tronçons. Tout dépendra de leur choix d’être liées à la SNCF pour une durée de 10 ans et des offres alternatives des nouveaux entrants pour les exploiter.

Quelles sont les conséquences de l’ouverture à la concurrence ?

Il faut distinguer les conséquences de la préparation de l’ouverture à la concurrence de celles qui résultent de ces textes.

La mise en œuvre du 4ème paquet ferroviaire est mise en avant comme une justification générale pour procéder à une profonde réorganisation du système ferroviaire, qui va au-delà des enjeux concurrentiels.

C’est le fil directeur du rapport, qui souligne qu’une ouverture à la concurrence réussie « suppose deux préalables : le redéploiement du transport ferroviaire sur son domaine de pertinence (…) et la garantie d’un équilibre financier durable ». Des questions aussi centrales que le contrôle de la pente d’endettement de SNCF Mobilités (2 milliards d’euros par an), l’état du réseau ou la viabilité des lignes locales sont envisagées pour préparer l’opérateur historique à l’ouverture aux nouveaux entrants (dont le rapport parle très peu). L’évolution de son statut, qui passerait d’EPIC à une SA à capitaux publics, n’est pas nouvelle car la garantie financière de l’Etat liée à l’EPIC peut être assimilée à une aide d’Etat. Le statut des salariés doit être posé, car les règles qui régissent le maintien des droits des travailleurs en cas transfert (directive 2001/23 et art. L.1224-1 Code du travail) sont applicables en cas de changement d’opérateur.

Il ne s’agit là que de perspectives très générales. Certaines questions ne sont pas ou peu traités : procédures de mise en concurrence à suivre pour le conventionnement (concessions ? contrats ad hoc ?), enjeux du ferroviaire sur l’aménagement du territoire et l’environnement, possibilités (reconnues dans le 4ème paquet) de déroger à la concurrence. Les prochains mois permettront de voir si ces préconisations sont reprises par le législateur et si un grand chamboulement du système ferroviaire est engagé préalablement à une ouverture concurrentielle dont les modalités restent à construire.

Par Stéphane de La Rosa