Par Amane Gogorza, Professeure à l’Université Toulouse 1 Capitole
Le 6 juillet dernier, le gouvernement espagnol adoptait en conseil des ministres un projet de loi visant à garantir la protection intégrale de la liberté sexuelle. Inspiré des thèses féministes et prenant pour modèle la Convention d’Istanbul (Convention européenne de 2011 sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique), le texte introduit plusieurs nouveautés marquantes destinées à faire du consentement libre et éclairé la clé de voûte des infractions sexuelles.

Dans quel contexte s’insère la réforme des infractions contre la liberté sexuelle ?

L’affaire de « La Manada » (la meute) a incontestablement accéléré la demande sociale de réforme. Les faits se déroulaient en 2016 pendant les fêtes de Pampelune et concernaient cinq individus imposant des actes de nature sexuelle, dont des pénétrations buccales, vaginales et anales à une jeune fille de 18 ans. Si l’application du droit français aurait incontestablement conduit à retenir la qualification de viol, une discussion s’était engagée devant les juridictions espagnoles, la logique des infractions contre la liberté sexuelle étant quelque peu différente. En effet, le Code pénal espagnol distingue deux catégories en la matière. La réalisation d’actes attentatoires à la liberté sexuelle d’autrui, sans avoir recours à la violence ou à l’intimidation, constitue un abus sexuel (Art. 181). En revanche, si l’agent fait usage des moyens de contrainte précédemment cités, l’abus se mue en agression sexuelle plus sévèrement punie (Art. 178), dont le viol (Art. 179). Dans l’affaire qui nous retient, le caractère imposé de la relation sexuelle avait été admis par les juridictions régionales. Toutefois, écartant le recours à la violence ou à l’intimidation au motif que la victime s’était soumise à la volonté des agresseurs, la qualification d’abus sexuel l’emportait (SAP Navarra, n° 38/2018 du 20 mars 2018, confirmée par STSJ Navarra, n° 8/2018 du 30 nov. 2018). Le Tribunal Suprême (STS  344/2019 du 4 juillet 2019) avait certes corrigé l’analyse, rappelant que la situation d’angoisse et d’impression infligée à la victime était révélatrice d’une intimidation caractéristique d’agression sexuelle. Malgré tout, l’affaire a profondément marqué les esprits, révélant l’inadaptation des qualifications en vigueur ainsi que la nécessité de faire évoluer certaines pratiques judiciaires imprégnées de réflexes sexistes.

Quelles sont les principales nouveautés du projet de loi ?

Le projet de loi, dont la préparation a débuté en mars 2020, aborde de nombreux aspects, puisqu’il propose, conformément à son intitulé (« Ley orgánica de garantia integral de la libertad sexual » – Loi organique de garantie intégrale de la liberté sexuelle), un système global et articulé de protection. On y trouve donc des dispositions intéressant la prévention des infractions, la formation des professionnels ou les droits des victimes. Sur le plan des qualifications pénales, deux points méritent d’être soulignés.

En premier lieu, le projet fusionne les catégories d’abus et d’agression sexuels précédemment évoquées. La première, jugée inappropriée, disparaît, alors que la seconde absorbe l’ensemble des actes sexuels imposés à la victime. L’objectif est donc clair : un acte sexuel non consenti sera nécessairement considéré comme une agression sexuelle, les moyens employés pour l’obtenir ne pouvant avoir d’incidence que sur sa sanction. Si la violence et l’intimidation, actuellement caractéristiques d’agression sexuelle, ne sont pas érigées en circonstances aggravantes, l’extrême violence et l’emploi de substances annihilant la volonté entrent en revanche dans cette catégorie. D’autres causes d’aggravation sont toutefois prévues, telles que la coaction, l’utilisation d’une arme ou la particulière vulnérabilité de la victime, déjà consacrées, mais encore, les qualités de conjoint ou de partenaire de la victime, aujourd’hui ignorées de la partie spéciale du Code pénal, bien que la jurisprudence en tienne compte au titre de la théorie générale des circonstances aggravantes (Art. 23 c. Pén.). Parmi les agressions sexuelles, le viol constitue naturellement l’infraction la plus grave, bien qu’il soit moins sévèrement puni qu’en France (de quatre à douze ans de privation de liberté hors circonstances aggravantes, contre quinze années de réclusion criminelle selon l’article 222-23 du Code pénal français) ; il est également seul à être strictement défini, par référence à un acte de pénétration vaginale, anale ou buccale, la catégorie des autres agressions sexuelles étant, comme chez nous, ouverte. Relativement à ces dernières, le projet de loi prévoit des peines entre un et quatre ans d’emprisonnement (Art. 178 modifié). Également inférieures aux prévisions françaises, ces sanctions répondent néanmoins au souhait gouvernemental de ne pas céder à une logique d’exacerbation punitive, préférant opter pour une échelle de peines progressives et proportionnées, notamment grâce au jeu des circonstances aggravantes.

En second lieu, le projet entend faire du consentement le cœur de son architecture. Cela conduit à préciser son contenu, tout en limitant les possibilités de discussion et, partant, d’appréciation judiciaire. A cet égard, la disposition définissant l’agression sexuelle (Art. 178 modifié) prend soin d’indiquer que l’assentiment de la victime ne pourra être établi que « s’il s’est manifesté librement, moyennant des actes qui au regard des circonstances de l’espèce, expriment de manière claire la volonté de la personne ». Largement inspirée par la Convention d’Istanbul (Art. 36, 2), la démarche révèle la volonté de ne laisser aucune place au doute et d’affirmer que seul le « oui », clairement exprimé, doit valoir consentement à un acte sexuel.

La mise en lumière du consentement et la politique du « seul le oui est oui » ont-elles posé des difficultés ?

Sur le plan des principes, personne ne peut sérieusement nier l’importance du consentement à l’acte sexuel et la nécessité d’en assurer une protection complète et efficace. En faisant figurer sa définition dans le projet de loi, le gouvernement a certes voulu en faire le rappel, mais il a également cherché à éviter les victimisations secondaires consécutives à la mise en cause de la parole des victimes. A cet égard, la démarche adoptée relève davantage de la preuve, en ce qu’elle revient à fixer les conditions du consentement valable, en délimitant les hypothèses à même de faire échec la qualification d’agression sexuelle. Allant au bout de la logique du « seul le oui est oui », le gouvernement avait d’ailleurs initialement opté pour une définition négative du consentement, selon laquelle « il sera considéré que le consentement fait défaut lorsque la victime n’aura pas manifesté librement, par des actes extérieurs, concluants et inéquivoques par rapport aux circonstances, sa volonté expresse de participer à l’acte ». Pareille approche a été vivement critiquée par le Conseil général du pouvoir judiciaire dans un rapport rendu en février dernier. Outre les doutes sur la nécessité d’une démarche définitionnelle, il concluait que la façon de concevoir le consentement opérait un véritable renversement de la charge de la preuve incompatible avec la présomption d’innocence, constitutionnellement garantie. Aussi, une nouvelle définition, précédemment citée, lui a été substituée juste avant l’approbation de la dernière mouture du texte. Laissant davantage de latitude à l’appréciation judiciaire et conçue de manière positive, cette nouvelle version du consentement valable devrait, avec l’ensemble de la loi, être débattue devant le parlement dès le mois de septembre.

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