Par Jean-Jacques Urvoas – ancien garde des Sceaux, professeur de droit public à l’Université de Brest

Le samedi 8 juillet 2023, la Préfecture de Police de Paris interdisait un rassemblement annoncé en hommage à Adama Traoré, place de la République. Cette décision ne fut pas contestée devant les tribunaux. En dépit de cette proscription, 2 000 personnes y participaient dont neuf députés LFI et une députée EELV. Ce choix a suscité une réprobation dans les rangs de la majorité présidentielle au point de susciter une demande de sanction auprès de la présidence de l’Assemblée nationale.

L’Assemblée va-t-elle donner suite à cette demande de sanction ?

Dès le 12 juillet 2023, la présidence de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet a très logiquement décliné la suggestion formulée le 10 juillet par les présidents des groupes Renaissance, Modem et Horizon d’une réunion du bureau aux fins « d’une éventuelle sanction ». La démarche était en effet étonnante à bien des titres.

Tout d’abord, dans la mesure où ils contestaient que des « députés se soient rendus à une manifestation malgré l’interdiction de celle-ci par la préfecture de police » il était surprenant que les présidents ne s’adressent pas en premier lieu à l’autorité judiciaire. En effet, la base légale pour réprimer un tel fait figure dans le code pénal dont l’article R. 644-4 dispose que « le fait de participer à une manifestation sur la voie publique interdite sur le fondement des dispositions de l’article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe », laquelle fut instituée par le décret n° 2019-208 du 20 mars 2019 et dont le montant est actuellement de 135 euros. Dans ces conditions, pourquoi ne pas commencer par réclamer l’application du droit commun ?

Ensuite, les présidents des trois groupes n’étaient pas sans ignorer que des précédentes démarches, en tout point comparables, n’avaient pas abouties. Ainsi le 2 novembre 2022, 35 députés de Renaissance et du Modem, affirmaient avoir été « particulièrement choqués par la présence de [ces] députés, dont certains ont revêtu leur écharpe tricolore, aux côtés notamment des blacks blocs » à une manifestation interdite par la préfecture des Deux-Sèvres et néanmoins organisée le 29 octobre 2022 à Sainte-Soline. Ils souhaitaient en conséquence une réunion de « la conférence des présidents » pour que soient prononcées des sanctions. Quelques mois plus tard, dans le même lieu et dans le même cadre, le 25 mars 2023, quelques députés EELV et LFI participaient à nouveau à un rassemblement tout aussi interdit et le 28 mars 43 élus du groupe LR signaient un autre courrier au but identique. Yaël Braun-Pivet n’avait pas spécialement répondu, préférant privilégier l’envoi d’un courrier à tous les députés, le 7 avril 2023, pour « rappeler l’ensemble des règles destinées à encadrer et guider [leur] comportement ». Trois pages lui permettaient ainsi de fustiger « les graves dysfonctionnements individuels ou collectifs » qui émaillaient le fonctionnement de la première chambre, contribuant à « une inquiétante dégradation de la sérénité et de la qualité des échanges » et se concluait par un salutaire appel à la responsabilité individuelle et collective.

Enfin, les pétitionnaires n’ont guère fait d’efforts pour étayer leur réclamation. Seul l’article 70 alinéa 2 du Règlement de l’Assemblée est évoqué. Or, celui-ci prévoit que « peut faire l’objet de peines disciplinaires tout membre de l’Assemblée qui se livre à des manifestations troublant l’ordre ou qui provoque une scène tumultueuse », ce qui s’entend évidemment comme visant des faits s’étant déroulés au sein du Palais-Bourbon. Partant, il était difficile de l’appliquer au cas d’espèce sans risquer des reproches sur une atteinte à la liberté d’expression des parlementaires. La démocratie, c’est évidemment le respect de la loi de la majorité mais c’est au moins autant le respect des droits des minorités.

Pourtant, en février 2023, le député Thomas Porte a été frappé d’une exclusion de 15 jours de l’Assemblée en raison d’un tweet où il s’affichait à l’extérieur de l’enceinte parlementaire avec un ballon à l’effigie d’Olivier Dussopt sous le pied ?

Strictement, cette mesure disciplinaire, la plus lourde prévue par le Règlement de l’Assemblée et très rarement prononcée, se justifiait par le fait que ce tweet avait, de facto, « provoqué une scène tumultueuse » dans l’hémicycle lors de sa publication. Il faut en effet se souvenir, c’était le 10 février 2023 lors de la séance de l’après-midi, que l’Assemblée débattait alors péniblement du projet de loi réformant le régime des retraites. Quand ce tweet a été connu, les travaux se sont bloqués en raison d’une succession de dix rappels au règlement et de quatre suspensions de séance. Entre 16 h et 19 h 30, l’Assemblée était dans l’impossibilité totale de délibérer, ce qu’avait d’ailleurs justifié que Yaël Braun-Pivet qui présidait la séance mette en garde explicitement le député LFI sur les conséquences de son refus de suppression du tweet. L’entêtement de ce dernier a entraîné la réunion immédiate du bureau et l’adoption de la sanction. Ce n’est donc pas tant le fait lui-même d’avoir eu un comportement discutable à l’extérieur de l’Assemblée qui fut condamné que les conséquences de cet acte sur les travaux parlementaires. L’article 70 du RAN pouvait donc parfaitement être convoqué.

Cette péripétie doit-elle être interprétée comme une impuissance du droit parlementaire à entraver des agissements controversés ?

Pas nécessairement. Si le bureau de l’Assemblée devait décider d’agir, il le pourrait parfaitement en s’appuyant sur l’utilisation de l’écharpe tricolore. En effet, l’article 160 du Règlement lui donne compétence pour « déterminer la nature » des insignes qui « peuvent être portés par les députés, lorsqu’ils sont en mission, dans les cérémonies publiques et en toutes circonstances où ils ont à faire connaître leur qualité ». Ce même article existe d’ailleurs dans le Règlement du Sénat (article 107). On retrouve aussi ce type de mention dans le Code général des collectivités territoriales, en son article D.2122-4 qui concerne les maires qui « portent l’écharpe tricolore avec glands à franges d’or dans les cérémonies publiques et toutes les fois que l’exercice de leurs fonctions peut rendre nécessaire ce signe distinctif de leur autorité ».

Or à ce jour, il n’existe, ni à l’Assemblée, ni au Sénat, de disposition de « l’Instruction générale du Bureau » réglementant le port de l’écharpe, de la cocarde ou de l’insigne (communément baptisé « le baromètre ») remis aux députés le jour de leur installation en début de législature. S’il prenait l’envie à des députés de se lancer dans une codification, ils trouveraient ici une base textuelle pour le faire. Il s’agirait cependant d’une œuvre délicate puisque devant nécessairement reposer sur une appréciation subjective par les élus de l’opportunité de faire état de leur qualité.

Une autre piste pourrait résider dans le Code de déontologie dont l’Assemblée s’est dotée depuis dix ans. Une écharpe tricolore n’est pas un morceau de tissu mais un symbole tout autant qu’un message. Elle indique la nature des relations que l’élu souhaite établir avec les autres et le niveau où il les situe. Elle souligne la dignité de la fonction occupée et par là les devoirs auxquels l’élu doit se soumettre. Il n’est donc pas impossible de chercher à protéger la dignité qu’elle induit. « La discipline est la condition même de la survie des assemblées » écrivait dans son Traité de droit politique, électoral et parlementaire en 1902 Eugène Pierre. L’avertissement reste d’actualité.

 

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