Par Benoît Charot, Associé et responsable de l’activité contentieux du bureau de Paris de Reed Smith, et Olivier Rivoal et Yéléna Nobou, avocats

La crise sanitaire engendrée par le Covid-19 a bouleversé l’activité économique des entreprises. De nombreux employeurs ont aujourd’hui recours au télétravail afin de permettre la continuité de leur activité et le respect des préconisations gouvernementales de lutte contre la propagation du virus.

Si le télétravail comporte des avantages à la fois pour le salarié et l’employeur (conciliation entre vie privée et professionnelle, gestion de l’espace, réduction des coûts, etc.), il présente également des risques importants. Il est souvent question par exemple, d’inadaptation du matériel pouvant générer des risques musculo-squelettiques (mauvaise ergonomie), visuels, voire électriques (installation défectueuse). Mais les risques qui semblent aujourd’hui les plus importants sont les risques psychosociaux. Le recours au télétravail peut en effet être générateur d’un mal-être au travail consécutif à un déséquilibre vie professionnelle – vie privée, à un stress lié à des contrôles ou des objectifs excessifs, à l’isolement, à un épuisement professionnel, etc. Il est de l’intérêt de tous que l’employeur y soit attentif.

Quels sont les risques encourus par les entreprises en matière de risques psychosociaux dans le cadre du télétravail ?

L’employeur est tenu vis-à-vis de ses salariés à une obligation de sécurité de résultat et doit prendre les mesures nécessaires pour préserver leur santé et assurer leur sécurité.

Le Code du travail prévoit expressément que l’employeur a les mêmes obligations en matière de prévention des risques professionnels à l’égard de tous ses salariés, y compris ceux en télétravail.1

Ainsi, l’accident survenu sur le lieu du télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail au sens des dispositions de l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale. Si l’employeur peut contester le caractère professionnel de cet accident, il est en pratique difficile pour lui de démontrer qu’il a eu lieu en dehors du temps de travail ou est dû à une cause totalement étrangère au travail.

L’obligation de prévention des risques professionnels implique également de s’interroger sur le risque de pathologies psychiques liées au télétravail.

Il n’existe pas de tableaux de maladies professionnelles concernant les atteintes liées aux risques psychosociaux. Toutefois, une maladie, même non désignée dans un tableau de maladies professionnelles, peut être reconnue d’origine professionnelle par un Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), lorsque la maladie entraîne le décès ou une incapacité permanente partielle d’au moins 25 % et qu’un lien direct et essentiel est établi entre la pathologie développée par le salarié et son travail habituel. Dans la métallurgie par exemple, un accident du travail ou une maladie professionnelle entrainant une incapacité permanente partielle de 40% ou plus ou le décès du salarié, conduit en 2020 à l’imputation sur le compte employeur d’une somme de 645.626,00 euros, ce montant ne tenant pas compte du risque lié à la reconnaissance d’une faute inexcusable2. Il ne peut en effet être exclu que soit reconnue la faute inexcusable de l’employeur si le salarié ou ses ayants droit établissent qu’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Le risque de responsabilité pénale des employeurs dans des situations telles que le suicide d’un salarié survenant à son domicile est aussi présent.

Les risques psychosociaux peuvent ainsi avoir des conséquences très importantes pour l’employeur.

Quels éléments doivent être pris en compte par l’employeur pour réduire les risques psychosociaux des salariés en télétravail ?

L’employeur doit avant tout être attentif à la situation personnelle des salariés en télétravail et doit à cet égard veiller notamment :

  • à l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée de ses salariés,
  • au risque de « burn-out» lié à l’hyper-connexion au travail, qui en découle (réunions, appels téléphoniques, conférences voire formations),
  • au risque d’isolement de certains salariés (la période de la pandémie pouvant être particulièrement anxiogène),
  • au stress lié aux objectifs (certains salariés pouvant être moins productifs en télétravail).

Il est important de rappeler que tout salarié bénéficie d’un droit à la déconnexion, ce droit lui permettant de ne pas être joignable en permanence en dehors des heures de travail même pour des motifs liés à l’exécution de son travail et ce, afin de protéger son temps de repos et de respecter au mieux l’équilibre entre sa vie privée et sa vie familiale.

L’INRS préconise le recours à des questionnaires afin d’identifier précisément les risques. En effet, même s’ils doivent être complétés par d’autres données, « ils permettent de recueillir des informations, au niveau de l’ensemble des salariés, sur la perception de leur situation de travail, sur leur niveau de stress, les symptômes ressentis, leur état de santé, etc. ». 3

Quelles sont les mesures de prévention que l’employeur peut mettre en œuvre pour prévenir les risques psychosociaux ?

Afin de prévenir les risques psychosociaux qui peuvent se développer pendant le télétravail, l’employeur peut mettre en place des mesures visant à :

  • assurer une communication et une information active au sein de l’entreprise. Attention cependant à la « sur-communication » qui peut générer un stress supplémentaire ;
  • former et sensibiliser les managers aux risques psychosociaux, assurer la tenue de points réguliers avec les salariés pour échanger sur l’organisation du travail qui, rappelons-le, doit être adaptée à la situation personnelle de chaque salarié ;
  • rappeler aux salariés qu’ils peuvent exercer leur droit à la déconnexion. Il est préconisé de s’entendre avec le salarié afin d’établir ses horaires de travail pour appréhender au mieux l’équilibre vie personnelle et vie professionnelle.

Le devoir de prévention impose à l’employeur de mettre à jour le document unique d’évaluation des risques et à y intégrer les risques qui peuvent découler de la mise en place du télétravail.

De manière générale, l’INRS recommande de renforcer le dialogue social au sein de l’entreprise afin de réduire le sentiment d’insécurité des salariés.4

Il convient de garder à l’esprit que le risque de développer des pathologies psychiques sera particulièrement élevé tant que l’épidémie du Covid-19 ne sera pas terminée.

 


[1] C.trav art. L. 1222-10
[2] Arrêté du 27 décembre 2019 relatif à la tarification des risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles pour l’année 2020
[3]INRS, Les questionnaires dans la démarche de prévention du stress au travail, mars 2011
[4]INRS, « Risques Psychosociaux, Comment agir en prévention ? », ED 6349, avril 2020

 

[vcex_button url= »https://www.leclubdesjuristes.com/newsletter/ » title= »Abonnement à la newsletter » style= »flat » align= »center » color= »black » size= »medium » target= » rel= »none »]S’abonner à la newsletter du Club des juristes[/vcex_button]