Par Natalie Fricero, professeur à l’Université Côte d’Azur, membre du Conseil supérieur de la magistrature

Après la levée du confinement, les juridictions doivent reprendre leur activité en matière civile. De nombreuses difficultés doivent être cumulativement réglées : la gestion de la sécurité sanitaire et le traitement d’un stock qui s’est accru, à la fois en raison de la grève des avocats et de la défaillance des outils informatiques qui n’a pas permis un travail à distance pour les greffes. Afin de faciliter la reprise de l’activité juridictionnelle malgré les mesures d’urgence sanitaire prises pour ralentir la propagation du virus covid-19, l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 (JORF n°0124 du 21 mai 2020) édicte des dispositions d’ordre procédural améliorant le processus de prononcé des jugements. Elle modifie et complète l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété. Rappelons que l’ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 a précisé que la période protégée prend fin le 23 juin 2020, à minuit. « Dans un souci de sécurité juridique, précise le rapport, le choix a été fait de retenir la date du 23 juin à minuit, car elle correspond à la date qu’avaient anticipé tous les acteurs, compte tenu des dispositions de l’article 4 de la loi d’urgence précitée qui avait déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois, soit jusqu’au 23 mai minuit, et de la définition de la période juridiquement protégée par l’ordonnance n° 2020-306 (fin de l’état d’urgence sanitaire + 1 mois) ».

L’objectif de l’ordonnance 2020-595 du 20 mai est de permettre une reprise en améliorant les modalités dérogatoires prévues par l’ordonnance 2020-304 du 25 mars, jusqu’à ce que l’institution judiciaire ait retrouvé des conditions normales de fonctionnement…

Publicité des débats et gestion de la sécurité sanitaire

De nouvelles règles sont prévues pour permettre de concilier le principe de la publicité des débats et l’accès des personnes au tribunal, avec la nécessité d’assurer le respect des règles sanitaires. L’article 4 de l’ordonnance ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 ajoute un article 6-1 à l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 (en supprimant l’art. 6 ancien).

D’un point de vue général, il appartient aux chefs de juridiction de définir les conditions d’accès à la juridiction, aux salles d’audience et aux services qui accueillent du public permettant d’assurer le respect des règles sanitaires en vigueur, en fonction de la situation locale. Ces conditions sont portées à la connaissance du public notamment par voie d’affichage.

S’agissant plus précisément d’une affaire déterminée, le juge ou le président de la formation de jugement peut décider, avant l’ouverture de l’audience, que les débats se dérouleront en publicité restreinte ou, en cas d’impossibilité de garantir les conditions nécessaires à la protection de la santé des personnes présentes à l’audience, en chambre du conseil. Lorsque le nombre de personnes admises à l’audience est limité, les personnes qui souhaitent y assister saisissent par tout moyen le juge ou le président de la formation de jugement.

Dans les conditions déterminées par le juge ou le président de la formation de jugement, des journalistes peuvent assister à l’audience, y compris lorsqu’elle se tient en chambre du conseil. La circulaire CIV/02/20 du 26 mars 2020 a précisé que « les journalistes ne pourront en aucun cas assister aux audiences qui se tiennent en chambre du conseil conformément aux dispositions textuelles pérennes qui le prévoient ou le permettent » (c’est notamment le cas en matière familiale : art. 1074 du code de procédure civile, pour les audiences relatives à la protection juridique des mineurs et des majeurs :art. 1180-15, 1226 et 1245 du CPC en matière d’assistance éducative : art. 1189 et 1193 du CPC pour la délégation, ou art. 1287 et 1288 du CPC pour une demande d’autorisation et habilitation dans le cadre des régimes matrimoniaux).

Formations à juge unique

Deux modalités particulières sont prévues, résultant de la modification de l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars.

Ainsi, « la juridiction peut, sur décision de son président, statuer à juge unique en première instance et en appel dans toutes les affaires qui lui sont soumises ». La formation à juge unique est prévue dans le cadre du droit commun aux articles 812 et suivants du code de procédure civile. Il est possible de demander le renvoi à la formation collégiale dans les 15 jours de la réception de l’avis envoyé par le greffe (art. 815 CPC) : cette faculté n’est pas prévue durant la période de reprise.

S’agissant du conseil de prud’hommes, il peut statuer en formation restreinte comprenant un conseiller employeur et un conseiller salarié. L’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 règle la question du départage. En effet, en cas de partage des voix, l’affaire est renvoyée devant un juge du tribunal judiciaire dans le ressort duquel est situé le siège du conseil de prud’hommes. Il statue après avoir recueilli par tout moyen l’avis des conseillers présents lors de l’audience de renvoi en départage. Si, au terme de la période mentionnée à l’article 1er (« pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus »), le juge n’a pas tenu l’audience de départage, l’affaire est renvoyée à la formation restreinte présidée par ce juge.

Devant le tribunal de commerce, le président du tribunal peut, dans toutes les affaires, décider que l’audience sera tenue par l’un des membres de la formation de jugement. Le juge rend compte au tribunal dans son délibéré. Cette disposition de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars n’est pas modifiée.

L’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 généralise l’audience devant le juge rapporteur. L’article 5 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars est complété : 3° Après le quatrième alinéa, sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :« En procédure écrite ordinaire, le juge de la mise en état ou le magistrat chargé du rapport peut tenir seul l’audience pour entendre les plaidoiries. Il en informe les parties par tout moyen. Il rend compte au tribunal dans son délibéré. Le présent article s’applique aux affaires dans lesquelles l’audience de plaidoirie ou la mise en délibéré de l’affaire dans le cadre de la procédure sans audience a lieu pendant la période mentionnée à l’article 1er (« pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus ») ». L’audience devant le juge rapporteur est prévue dans le cadre du droit commun à l’article 805 du code de procédure civile, mais cette modalité suppose que « les avocats ne s’y opposent pas », condition supprimée durant la phase de reprise de l’activité juridictionnelle.

Procédures sans audience

L’article 6 de l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 modifie l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304, qui permet à la juridiction de statuer sans audience, selon une procédure écrite lorsque la représentation par avocat est obligatoire ou que les parties sont représentées ou assistées par un avocat. Le nouvel article s’applique aux affaires dans lesquelles la mise en délibéré de l’affaire est annoncée pendant la période mentionnée à l’article 1er (« pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus »).

L’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 dispose : Lorsque la représentation est obligatoire ou que les parties sont assistées ou représentées par un avocat, le juge ou le président de la formation de jugement peut décider que la procédure se déroule selon la procédure sans audience. Elle en informe les parties par tout moyen. L’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 ajoute que la décision de procéder selon la procédure sans audience peut intervenir « à tout moment de la procédure ».

A l’exception des procédures en référé, des procédures accélérées au fond et des procédures dans lesquelles le juge doit statuer dans un délai déterminé, les parties disposent d’un délai de quinze jours pour s’opposer à la procédure sans audience. A défaut d’opposition, la procédure est exclusivement écrite. La communication entre les parties est faite par notification entre avocats. Il en est justifié dans les délais impartis par le juge.

L’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 ajoute qu’en matière de soins psychiatriques sans consentement, la personne hospitalisée peut à tout moment demander à être entendue par le juge des libertés et de la détention. Cette audition peut être réalisée par tout moyen permettant de s’assurer de son identité et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges.

Dématérialisation des audiences

L’article 5 de l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 modifie l’article 7 de l’ordonnance n° 2020-304 qui prévoit la possibilité de tenir des audiences et des auditions de manière dématérialisée. L’article 7 dispose que « Le juge, le président de la formation de jugement ou le juge des libertés et de la détention peut, par une décision non susceptible de recours, décider que l’audience (« ou l’audition », ordonn. 20 mai) se tiendra en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle permettant de s’assurer de l’identité « des personnes y participant » (ordonn. 20 mai 2020) et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats. En cas d’impossibilité technique ou matérielle de recourir à un tel moyen, le juge peut, par décision insusceptible de recours, décider d’entendre les parties et leurs avocats (ou la personne à auditionner », ajout de l’ordonn. du 20 mai) par tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique, permettant de s’assurer de leur identité et de garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges. Le nouveau texte étend la possibilité de recourir à tout moyen électronique, y compris téléphonique, aux auditions. Ces dispositions sont applicables à tout contentieux. La décision du juge, insusceptible de recours, n’a pas à être motivée, selon la circulaire (CIV/02/20, 26 mars 2020, p. 11).

Dans les cas prévus au présent article, « les membres de la formation de jugement, le greffier, les parties, les personnes qui les assistent ou les représentent en vertu d’une habilitation légale ou d’un mandat, les techniciens et auxiliaires de justice ainsi que les personnes convoquées à l’audience ou à l’audition peuvent se trouver en des lieux distincts. » « Les moyens de communication utilisés par les membres de la formation de jugement garantissent le secret du délibéré. » Le juge organise et conduit la procédure. Il s’assure du bon déroulement des échanges entre les parties et veille au respect des droits de la défense et au caractère contradictoire des débats. Le greffe dresse le procès-verbal des opérations effectuées. Le nouveau texte étend la possibilité d’utiliser un moyen de télécommunication audiovisuelle en autorisant son usage entre la juridiction et les techniciens ainsi que pour procéder à une audition pendant la période juridiquement protégée. Il dispose que lorsqu’un moyen de télécommunication audiovisuel ou un autre moyen de communication électronique est utilisé pour tenir une audience ou une audition, les participants à l’audience peuvent se trouver en des lieux distincts.

L’ordonnance du 20 mai 2020 supprime l’alinéa 2 de l’article 7 de l’ordonnance 2020-304 qui indiquait « Lorsqu’une partie est assistée d’un conseil ou d’un interprète, il n’est pas requis que ce dernier soit physiquement présent auprès d’elle ».

Les dérogations aux règles de droit commun de la procédure ont été renforcées et aménagées pour faciliter la reprise de l’activité juridictionnelle. Il n’est pas exclu qu’elles fassent encore l’objet de modifications en fonction de l’évolution de l’état sanitaire. L’article 12 de l’ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d’urgence sanitaire l’annonce : lorsque le terme de la période d’application des ordonnances prises sur le fondement de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020 susvisée est défini par référence à la cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la même loi, ce terme peut, pour tenir compte de l’évolution de la situation sanitaire, être avancé par décret en Conseil d’État… Le pouvoir réglementaire pourra ainsi adapter le terme des périodes de référence de plusieurs ordonnances si les circonstances sanitaires le justifient. La période d’incertitude juridique n’est hélas pas achevée…

 

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