Par Sophie Nicinski, Professeur agrégé de Droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Article publié le 11 mai à 18h.
Mises à jour : 12 mai 17h et 13 mai 15h.

Nous avions laissé aux lecteurs de ce blog une analyse de l’accès des propriétaires aux centres équestres, issue des communiqués du ministre de l’Agriculture et du Gouvernement.

Le JO du 11 mai 2020 apporte de bonnes nouvelles aux centres équestres concernant la reprise de leurs activités d’enseignement de l’équitation en club.

Enfin, par une rédaction mieux articulée et adaptée au pratiques sportives, le décret n° 2020-545 du 11 mai 2020 règle à la question des ERP et des établissements relevant du Code du sport, ce que sont les centres équestres (pour une grande partie d’entre eux). Cette articulation posait des difficultés extrêmes dans le décret du 23 mars dernier (abrogé) et il n’est pas impossible de penser que les commentaires les dénonçant ont eu un effet salutaire sur la rédaction du décret du 11 mai.

Compte tenu de l’adoption entre temps de la Loi prolongeant l’état d’urgence sanitaire, un second décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (publié au JO du 12 mai), abroge le décret n°2020-54, tout en conservant les mêmes dispositions selon une numérotation différente, à quelques précisions près.

Les centres équestres peuvent-ils organiser des activités sportives ?

OUI !

Jusqu’à hier, les fondements juridiques étaient incertains. En effet, le décret du 23 mars distinguait les ERP, (art. 8-I), fermés au public seulement, et ce jusqu’au 11 mai. Il était alors tentant de considérer que par l’effet du temps, le 12 mai, sans aucune autre intervention gouvernementale, l’obligation de fermeture perdait ses effets.

Cependant, l’article 8-V prévoyait que les établissements mentionnés aux articles L. 322-1 et L. 322-2 du Code du sport étaient fermés. Ainsi qu’on l’a déjà exposé dans notre précédente intervention, il s’agit d’une fermeture sèche, sans limitation de temps.

Or, les centres équestres sont susceptibles d’une double qualification. Ils sont des ERP certes, pour les règles de sécurité qui leur sont applicables, mais également et surtout des établissements relevant du Code du sport, qualification incontestable en ce que le Code du sport le prévoit lui-même dans sa partie consacrée aux établissements organisant la pratique d’activités utilisant des équidés (art. A 322-116 et s.). On ne peut d’ailleurs être plus clair, puisque l’article A 322-116 dispose que « Relèvent de la présente section les établissements mentionnés à l’article L. 322-2 qui organisent, proposent ou accueillent la pratique des activités équestres ».

Dès lors, en l’absence de disposition contraire ou abrogatoire, la situation (fermeture sèche et durable) risquait d’être tendue…

Le décret du 11 mai abroge celui du 23 mars et comporte une disposition contraire.

Les deux catégories d’établissements (ERP et établissements relevant du Code du sport) font l’objet de dispositions articulées dans le décret du 11 mai, contrairement à celles du décret du 23 mars 2020.

Tout d’abord, s’agissant des ERP soumis au Code de la construction, l’article 10-I-1° du décret du 11 mai, continue d’interdire au public l’accès aux « établissements sportifs couverts » (établissements de type X) et aux établissements de plein air (établissements de Type PA), mais – pour ces derniers – à l’exception de ceux au sein desquels sont pratiquées les activités physiques et sportives.

Ainsi, a contrario, les établissements de plein air dans lesquels sont pratiqués les activités physiques et sportives peuvent recevoir du public.

C’est le IV de l’article 10 qui règle le sort des établissements mentionnés aux articles L. 322-1 et L. 322-2 du Code du sport, qui étaient fermés (fermeture sèche). Ces établissements sont toujours fermés, mais sous réserve d’une importante dérogation, puisqu’ils peuvent « organiser la pratique d’activités physiques et sportives de plein air », à l’exception des sports collectifs et des sports de combat, ainsi que des activités en piscine.

Ainsi, sous réserve du respect de certaines règles, les centres équestres peuvent organiser des activités de plein air, dans des espaces sportifs non couverts.

Comment concilier au mieux ces deux catégories lorsque l’un des bâtiments est classé dans la catégorie X des ERP ?

Il arrive fréquemment qu’un centre équestre comporte des bâtiments clos et couverts (notamment des manèges, mais aussi des locaux administratifs, des club house, etc.) qui peuvent relever d’une autre catégorie d’ERP, qui, elle, reste fermée au public.

L’interprétation des textes doit tenir compte du fait que les règlements sanitaires COVID-19 utilisent des catégories juridiques et techniques qui ne sont absolument pas conçues à l’origine pour être utilisée aux fins d’interdire l’accès au public en raison d’une épidémie. Il n’est alors pas étonnant que leur manipulation soit délicate.

Néanmoins, il est possible de s’appuyer sur l’arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public (ERP). En effet, l’article GN 3, portant Classement des groupements d’établissements et des établissements en plusieurs bâtiments isolés entre eux, dispose que « Les bâtiments d’un même établissement et les établissements groupés dans un même bâtiment, qui répondent aux conditions d’isolement, sont considérés comme autant d’établissements pour l’application du présent règlement ».

Ainsi, il nous semble possible de promouvoir une lecture constructive de ces textes pour conclure que, lorsque le centre équestre est composé de plusieurs bâtiments (manège, locaux, carrières), l’exploitation peut s’effectuer dans les espaces de plein air.

Quelles sont les règles ?

La distanciation

Il est prévu (art. 10-VI) que l’exploitant met en œuvre les mesures de nature à permettre le respect des dispositions de l’article 1er (distanciation).

Les règles de distanciation sont particulières s’agissant des activités sportives.

Le « droit commun » est régi par l’article 1er du décret : « la distanciation physique d’au moins un mètre entre deux personnes, dites « barrières », définies au niveau national, doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance ». Il est précisé que les activités et rassemblement qui ne sont pas interdits doivent respecter ces mesures.

Le « droit spécial » pour le sport est prévu à l’article 10-IV-5. Par dérogation à l’article 1er (droit commun), la distanciation physique imposée est de cinq mètres pour une activité physique et sportive modérée et de dix mètres pour une activité physique et sportive intense.

Le Guide d’accompagnement de reprise des activités sportives publié par le ministère des Sports précise pour l’équitation que la distanciation interpersonnelle est de 4m² /personne en statique et 10 mètres d’intervalle entre les montures en déplacement.
Nul doute que les chevaux comprendront parfaitement ces distances et s’appliqueront à les respecter, leur cavalier les ayant parfaitement dressés aux fins du déconfinement …

L’interdiction des regroupements de plus de 10 personnes

Il est prévu (art. 10-VI) que l’exploitant met en œuvre les mesures de nature à permettre le respect des dispositions l’article 7 (rassemblements, voir ci-dessous).

L’obligation éventuelle de port du masque

L’exploitant peut également subordonner l’accès à l’établissement au port d’un masque de protection (art. 10-VI). Il ne s’agit pas d’une obligation pour l’exploitant.

Le préfet de département peut, par arrêté pris après mise en demeure restée sans suite, ordonner la fermeture des établissements recevant du public qui ne mettent pas en œuvre les obligations qui leur sont applicables (art. 10-VII).

La limitation de l’accès à l’établissement par l’exploitant

L’exploitant dispose d’un droit de limiter l’accès à l’établissement, mais « à cette fin », c’est-à-dire aux fins de respecter les règles sanitaires (art. 10-VI).

On conçoit bien l’application de cette règle aux cavaliers de club, dont l’accès est limité à leur séance.

Pour les propriétaires, elle pourrait susciter des litiges. Comme pour toute restriction, celle-ci doit être proportionnée, respecter l’accès du propriétaire à son cheval, et surtout les termes du contrat de pension stipulant l’accès du propriétaire à son cheval et aux installations. Il ne saurait être question de restreindre abusivement l’accès des propriétaires qui doivent pouvoir assurer les soins et l’exercice physique journaliers, ni de limiter leur accès à des horaires incompatibles avec la reprise de leur propre activité professionnelle. On rappelle qu’un décret ne saurait modifier ni impacter les termes d’un contrat de pension en cours d’exécution.

A l’inverse, le centre équestre doit aussi pouvoir organiser ses cours collectifs, ce qui supposera que chacun accepte des concessions.

Toutefois, dans l’usage de cette prérogative de limitation, il est important de noter que les règles de rassemblement/regroupement (cf. ci-dessous) n’interdisent nullement la présence de plus de 10 personnes sur l’ensemble du site.

Les rassemblements

La notion de rassemblement n’est pas définie par le décret.

L’article 7 prévoit une disposition générale, selon laquelle « Tout rassemblement, réunion ou activité à un titre autre que professionnel sur la voie publique ou dans un lieu public, mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes, est interdit sur l’ensemble du territoire de la République ».

Le décret n°2020-548 lève une ambiguïté qui pouvait être contenue dans le décret de la veille.

L’article 7 prévoit aussi une règle spéciale pour les établissements recevant du public, dans lesquels l’accueil du public n’est pas interdit, c’est-à-dire les centres équestres. Il est prévu qu’il n’est pas interdit que ces établissements « reçoivent un nombre de personnes supérieur à celui qui y est fixé, dans le respect des dispositions qui leur sont applicables et dans des conditions de nature à permettre le respect des dispositions de l’article 1er ».

Dès lors, sous réserve des dispositions spéciales qui leur sont applicables, les établissements sportifs peuvent globalement recevoir plus de 10 personnes.

Ainsi, dans les centres équestres, ce n’est pas tant le rassemblement qui est interdit, que le regroupement de plus de dix personnes, imposé à l’article 10-IV.

A notre sens, cette formulation laisse une large marge de manœuvre aux centres équestres pour utiliser chacun de leurs « espaces » et éviter des regroupements, c’est-à-dire la présence simultanée de plus de 10 personnes dans un espace restreint, qui doit nécessairement se définir par rapport aux mesures barrières. A notre sens, un regroupement est interdit si l’espace dans lequel il a lieu ne permet pas de respecter les gestes barrières, ou plus exactement si plus de dix personnes se rapprochent de telle sorte que les règles sanitaires ne peuvent plus être respectées.

Le Guide d’accompagnement de reprise des activités sportives (p. 11) confirme cette interprétation, en précisant que « par rassemblement limité à 10 personnes, il convient bien de considérer qu’il s’agit là d’une mesure des flux de personnes présentes simultanément dans un espace rapproché sur un même site (voie publique, lieux de pratique publics ou privés), devant eux-mêmes respecter en leur sein les règles de distanciation physique ».

Quid des manèges couverts mais non clos ?

On a tous en tête la situation de manèges seulement couverts, mais non clos, c’est-à-dire dans lesquels l’air circule car les côtés ne sont pas fermés (ou dont certains des côtés ne sont pas fermés).
Cette situation reste ambigüe puisque les ERP qualifiables d’établissements sportifs « couverts » restent fermés au public. Toutefois, sur le site « service public », qui évoque les mesures Covid-19, la catégorie X est définie comme celle des « Établissements sportifs clos et couverts », ce qui laisserait place à une interprétation visant à considérer que les pratiques sportives sont autorisées dans les espaces couverts mais non clos.

Le Guide d’accompagnement de reprise des activités sportives (p. 38) confirme cette interprétation, en autorisant les « pratiques en carrière couverte (manège non entièrement clos de murs) ». Ainsi, les espace couverts mais non clos sont assimilés à des carrières.

Quid des cavaliers professionnels ? Peuvent-ils reprendre les concours ?

Le Décret comporte des dispositions très surprenantes pour les professionnels, comme s’il fallait comprendre que le gouvernement donne un très large feu vert à la reprise de l’activité économique du pays.

Tout d’abord, les professionnels peuvent se déplacer sans restriction.

Ensuite, l’article 7 n’interdit pas les rassemblements et activités professionnelles : « Tout rassemblement, réunion ou activité à un titre autre que professionnel sur la voie publique ou dans un lieu public, mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes, est interdit sur l’ensemble du territoire de la République. Lorsqu’il n’est pas interdit par l’effet de ces dispositions, il est organisé dans les conditions de nature à permettre le respect des dispositions de l’article 1er ».
Or, les centres équestres peuvent en outre « organiser la pratique d’activités physiques et sportives de plein air » (art. 10-IV). Toutefois, ces activités « ne peuvent donner lieu à des regroupements de plus de dix personnes ».

Comment faut-il comprendre cette ambiguïté ? Selon une première interprétation, l’interdiction des regroupements ne s’applique pas aux regroupements professionnels, car la règle générale posée à l’article 6, dont l’interdiction de regroupement n’est qu’un assouplissement, prévaudrait.

Selon une seconde interprétation, les établissements sportifs peuvent recevoir en tout état de cause plus de 10 personnes sur leur site, la seule interdiction étant de se regrouper à plus de 10 dans un espace restreint.

Il est également prévu que « Les sportifs inscrits sur les listes mentionnées à l’article L. 221-2 du code du sport et les sportifs professionnels mentionnés au 1° de l’article L. 222-2 du même code peuvent pratiquer des activités physiques et sportives, à l’exception de celles mentionnées aux a et b du 1°, au sein des équipements sportifs des établissements relevant des types X et PA définis par le règlement pris en application de l’article R. 123-12 du code de la construction et de l’habitation. La limite de dix personnes fixées au 1° ne s’applique pas à ces activités ».

Les sportifs de l’article L. 222-2-1° sont des sportifs salariés, qualité qui ne permet pas d’englober l’ensemble des cavaliers professionnels. Toutefois, elle invite tout de même à considérer que les cavaliers professionnels exerçant selon un autre régime juridique (travailleur indépendant par ex.) pourraient rapidement réclamer une extension. Dans la filière équine, la distinction entre le professionnel salarié et le professionnel indépendant n’est nullement pertinente, s’agissant de la question de la reprise des activités professionnelles sportives en compétition.

Le Ministère des sports promeut une interprétation particulièrement souple du décret, en affirmant qu’ « à partir du 11 mai 2020, les sportifs de haut niveau inscrits sur les listes du ministère des Sports (élite, sénior et relève) et les sportifs professionnels sont autorisés à reprendre une activité dans tous les équipements sportifs accessibles, ceux en plein air comme les enceintes fermées. Par ailleurs, leur activité s’apparentant à une activité professionnelle, le seuil des 10 personnes maximum autorisé ne s’appliquera pas. Enfin, ils seront autorisés à s’éloigner à plus de 100 km de leur domicile pour la pratique de leur activité sportive » (ministère des Sports, Guide d’accompagnement des sportifs de haut niveau et professionnels – du 11mai au 2 juin 2020).

Les « sportifs professionnels » sont visés dans distinction de leur statut et il est prévu que le seuil de 10 personnes ne s’applique pas.

Il n’en demeure pas moins que, même à s’en tenir aux règles générales, les centres équestres sont autorisés à organiser des activités sportives, l’interdiction de rassemblement ne s’appliquant pas aux professionnels. Ces dispositions peuvent incontestablement servir de base à une négociation de la reprise des activités professionnelles.

 

Lire aussi : « L’accès des propriétaires aux centres équestres »

 

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