Par Guylène NICOLAS, Maître de Conférences HDR en Droit public, Aix Marseille Univ, CNRS, EFS, ADES

Si la rentrée scolaire se déroule normalement pour une majorité d’enfants, pour d’autres, cette période est synonyme d’inégalité et d’exclusion sociale. Le droit permet-il de garantir un accès égal à l’éducation pour les enfants en situation de handicap ? Selon Guylène Nicolas, Maître de Conférences en droit public à l’Université d’Aix-Marseille, les aménagements effectifs permettant cette égalité sont trop peu nombreux.

Quelle est la position de la France en matière d’insertion scolaire des enfants en situation de handicap ?

Selon une étude menée par l’UNAPEI (Union nationale des associations de parents d’enfants inadaptés) près de 18 % des enfants en situation de handicap (sur un échantillon de 7 949) n’auraient pas accès à la scolarisation en cette rentrée 2023. Pourtant, avec la mise en œuvre de la loi de 2005, le ministère de l’Éducation nationale annonce une progression de 187 % de scolarisation en milieu ordinaire des enfants en situation de handicap sur la période 2004 à 2020 (de 134 000 à 384 000). Si l’intégration des élèves en situation de handicap est donc meilleure que par le passé, elle n’est toujours pas satisfaisante. La Défenseure des droits a lancé une alerte dans ce sens, le 26 août dernier. Elle a rappelé que, en 2021, 20% des saisines du Défenseur concernaient les difficultés d’accès à l’éducation d’enfants en situation de handicap, particulièrement sur les défaillances de l’accompagnement de ces enfants en milieu scolaire. Claire Hédon a regretté que « l’accueil des enfants en situation de handicap à l’école soit trop souvent bricolé et que les modalités de leur scolarisation soient encore inadaptées. Cela contribue à aggraver des situations et à éloigner encore davantage les enfants de l’école, au lieu de les inclure ». Ses critiques rejoignent celles du Comité des droits des personnes handicapées, le 14 septembre 2021, sur la situation de la France. Il dénonce une législation et des politiques publiques fondées sur le modèle médical et des approches paternalistes du handicap considérant que la loi de 2005 met l’accent sur l’incapacité des personnes handicapées et fait de l’institutionnalisation la norme. Le Comité invite donc la France à se mettre en conformité avec la Convention Internationale des Droits des Personnes Handicapées (qu’elle a ratifié en 2009) en respectant un modèle fondé sur les droits de l’Homme.

Quelles sont les obligations légales d’intégration des enfants en situation de handicap à l’école ?

Les efforts de la France pour intégrer les enfants en situation de handicap dans le milieu scolaire ordinaire datent du début du XXe siècle avec la loi du 15 avril 1909 relative à la création des classes de perfectionnement. Ces classes avaient pour but d’éduquer les enfants alors qualifiés d’ « anormaux d’école ». Le double objectif est de permettre à ces enfants d’acquérir un métier et ainsi d’éviter qu’ils ne tombent dans la délinquance. La finalité tient donc plus de l’ordre public que du droit à l’éducation et de la préoccupation de l’intégration. Ces classes sont ainsi demeurées peu nombreuses entre 1909 et 1950, mais elles se multiplient ensuite jusqu’au milieu des années 1970. Toutefois, accueillant essentiellement des élèves en échec scolaire, elles correspondaient surtout à un dysfonctionnement de l’orientation. Il faudra attendre la loi du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées pour que le principe de solidarité soit affirmé. Elle institue l’obligation éducative pour les enfants et adolescents handicapés et fixe comme objectif prioritaire leur intégration en milieu scolaire ordinaire de la crèche à l’université pour assurer, ensuite, une insertion dans le milieu professionnel. L’école a développé diverses modalités d’intégration des jeunes en situation de handicap conciliant la scolarité avec les besoins spécifiques des soins et des handicaps mais l’application de ces principes est laborieuse, par manque de moyens humains et financier. Elle se construit surtout avec des textes successifs. Les circulaires n° 82-2 et 82-048 du 29 janvier 1982 organisent les premières intégrations individuelles. La loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 affirme à la fois une volonté de scolariser les élèves handicapés qui n’avaient pas accès à l’école et établit l’obligation pour l’école ordinaire de proposer un enseignement « adapté à la diversité » des élèves.

Le début du XXIe siècle marque le constat de l’échec de la transcription de l’obligation de solidarité par l’insertion des personnes en situation de handicap.

Le législateur tente d’y remédier par un nouveau texte. La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées se présente comme un changement dans la politique du handicap en France puisqu’elle instaure un partenariat avec les personnes handicapées afin de rendre effective la pleine participation des personnes handicapées à la vie en société.

La loi reprend et renforce le droit des enfants en situation de handicap d’être scolarisés en milieu ordinaire. Mais, elle va plus loin en établissant que tous les enfants devront être inscrits dans l’école du quartier où ils résident. S’il s’avère nécessaire de maintenir l’enfant en milieu médico-social, des passerelles doivent être créées entre ce dernier et l’Éducation nationale. La décision finale en matière d’orientation revient aux parents, il s’agit donc d’un véritable projet de parcours scolaire… dans l’esprit du texte en tout cas !

Quels sont les aménagements dont peuvent bénéficier les enfants en situation de handicap pour être scolarisés en France ?

Pour faciliter l’accès des personnes en situation de handicap à leurs droits, la loi de 2005 instaure un guichet unique avec la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH). Cette dernière héberge la Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées (CDAPH) qui prend les décisions relatives à l’ensemble des droits de la personne handicapée. Cette Commission est notamment compétente pour apprécier le taux d’incapacité de la personne handicapée, attribuer la prestation de compensation, se prononcer sur les mesures facilitant l’insertion scolaire… Les parents peuvent percevoir l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) si celui-ci a un taux d’incapacité supérieur ou égal à 80 % ou un taux d’incapacité compris entre 50 % et moins de 80 % avec un accompagnement par un établissement ou un service médico-social, un dispositif de scolarisation adapté lié au handicap, des soins et/ou des rééducations en lien avec son handicap, préconisés par la CDAPH. L’AEEH est une aide financière versée jusqu’aux 20 ans de l’enfant pour compenser les dépenses liées à la situation de handicap.

Depuis 2005, les moyens dévolus à l’intégration des enfants en situation de handicap ont progressé.

La loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a franchi une nouvelle étape en introduisant dans le code de l’éducation le concept d’école inclusive. Sur le fondement de ce texte, depuis le 1er septembre 2015, les Classes pour l’inclusion scolaire (CLIS) de 2010 sont remplacées par les Unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS). Il s’agit de dispositifs ouverts constituant une des modalités de mise en œuvre de l’accessibilité pédagogique. Les élèves orientés en ULIS sont ceux qui, en plus des aménagements et adaptations pédagogiques et des mesures de compensation mis en œuvre par les équipes éducatives, nécessitent un enseignement adapté dans le cadre de regroupements.

Enfin, la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance consacre les pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL). Elles visent à mieux organiser l’accompagnement dans les établissements scolaires des enfants et jeunes en situation de handicap. L’accompagnement doit être plus personnalisé, servir à la fois l’autonomie de l’enfant et l’acquisition des compétences et connaissances. Il doit être mieux organisé au sein des établissements scolaires, assuré par une professionnalisation des accompagnants (Accompagnants des Élèves en Situation de Handicap) dont les conditions de travail sont améliorées.

Quatre ans plus tard, les concrétisations sont encore lentes. Parmi les dernières recommandations de la Défenseure des droits, les deux premières sont toujours de mieux former l’ensemble des acteurs de l’Éducation nationale sur l’accueil des enfants en situation de handicap et de garantir des aménagements effectifs de la scolarité, adaptés aux besoins de chaque élève…