Par Luc Mayaux, Professeur à l’Université Jean Moulin (Lyon III), Directeur de l’Institut des assurances de Lyon

Le renouvellement annuel des contrats d’assurance est souvent l’occasion pour les assureurs d’insérer de nouvelles clauses.

Ils le font par le biais d’un avenant au contrat primitif qui sera intégré à ce dernier. Quand viendra le renouvellement (souvent le 1er janvier), la tacite reconduction donnera naissance à un nouveau contrat au contenu identique au précédent (C. civ., art. 1214), avenant intégré. L’actuelle crise sanitaire, qui a révélé la fragilité juridique de certaines clauses tendant, au moins indirectement, à exclure le risque épidémique, voit ainsi fleurir ce que, faute de mieux, nous appellerons des « clauses Covid ». Pour les assureurs, il s’agit d’éviter que, pour une nouvelle épidémie, voire pour une nouvelle vague de l’épidémie actuelle, ils ne se fassent de nouveau piéger. Ce faisant, ils risquent une fois de plus d’endosser le rôle du méchant, encore que ce soit de manière contrainte et forcée. Il faut dire, en effet, que leurs réassureurs ne leur laissent pas le choix. La position de ces derniers est claire : pas de « clause Covid », pas de réassurance, et sans réassurance, il n’y a pas d’assurance ou il y a une assurance qui court à sa ruine. Dans ce contexte, l’autorité de régulation, soucieuse de la solvabilité des entreprises soumises à son contrôle, n’a pu qu’encourager cette « vague des clauses » (intervenue entre deux vagues épidémiques). La condition est naturellement que les clauses ne se ressemblent pas trop. Il faut, en effet, satisfaire aux exigences du droit de la concurrence, mais aussi éviter qu’une défectuosité rédactionnelle de la clause « standard » provoque une crise systémique d’origine judiciaire.

La validité des « clauses Covid » dépend naturellement de la manière dont elles sont rédigées. On pouvait penser que les services juridiques des assureurs tireraient les leçons du passé, d’un passé où ils « validaient », parfois les yeux fermés, des clauses rédigées par des courtiers grossistes peu attentifs à la clarté. Malheureusement, si des progrès ont été faits, cette clarté n’est toujours pas au rendez-vous (v. « Assurances : de la validité des clauses d’exclusion Covid dans la police »). Elle est pourtant le sésame pour une clause d’exclusion valable. Il faut rappeler que, selon une jurisprudence constante, une exclusion qui n’est pas claire et précise n’est pas formelle et limitée au sens de l’article L. 113-1 du Code des assurances et doit donc être réputée non écrite (solution issue de Cass. 1re civ., 22 mai 2001, n° 99-10849). À cet égard, le luxe de détails constaté dans la plupart des « clauses Covid », sans doute inspiré par la volonté de « tout balayer », n’est un gage ni de clarté, ni même de précision. On peut être précis sans être long, mais évidemment, il faut savoir pratiquer l’art de la formulation. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la crainte est donc réelle de voir se développer un nouveau contentieux à propos de clauses destinées à éviter que le contentieux ancien ne se reproduise. Si tel devait être le cas, cela ne ferait pas sérieux et le soupçon d’amateurisme se répandrait.

Les « clauses Covid » figurent-elles dans un contrat valable ?

Est en cause l’avenant de régularisation, parfois adressé peu de temps avant la date limite pour dénoncer la reconduction (à savoir avant le 1er novembre 2020 pour les contrats renouvelables au 1er janvier 2021, à supposer que le préavis soit de deux mois). L’assuré a naturellement la possibilité de ne pas signer l’avenant comportant la « clause Covid », mais il est prévenu que, dans ce cas, l’assureur dénoncera la reconduction et qu’il lui faudra trouver rapidement un nouvel assureur, dont le contrat comportera évidemment une « clause Covid » similaire. Dans ce contexte, on peut se demander ce qu’il advient de la liberté contractuelle, laquelle emporte liberté de ne pas contracter (C. civ., art. 1102) et donc de ne pas signer l’avenant. Sur la même ligne, on peut se demander s’il n’y a pas violence économique au sens du nouvel article 1143 du Code civil. Il est vrai qu’en faisant signer l’avenant, l’assureur n’obtient pas un « engagement » de son contractant (comme l’exige ce texte) mais se libère plutôt d’un engagement envers ce dernier. Il est vrai également que l’assuré n’est pas complètement sous la dépendance de l’assureur, au moins si le marché est suffisamment concurrentiel pour lui permettre de trouver facilement une nouvelle assurance avec des garanties identiques, voire meilleures (mais sans la couverture du risque épidémique). Quant à l’assureur, il pourrait prétendre avoir agi sous la dépendance de son réassureur. Mais cette circonstance ne fait pas disparaître l’état de dépendance de l’assuré envers l’assureur. En revanche, elle pourrait être de nature à supprimer l’abus chez ce dernier (au sens de l’article 1143 du Code civil). Celui qui agit, contraint et forcé, ne peut le faire dans l’intention de nuire à autrui. Il n’abuse pas (sauf à conférer à l’abus un contenu purement objectif).

Mais cette annulation de l’avenant est-elle d’un grand intérêt pour l’assuré ? La réponse est affirmative si l’on considère que la reconduction du contrat à l’identique, prévue à l’article 1214 du Code civil, s’entend de la partie valable de ce contrat (à savoir ici le contrat primitif sans sa modification par voie d’avenant). Cela mettrait l’assuré à l’abri de la « clause Covid », au moins pour un an. Mais, la réponse est négative si l’on estime que la tacite reconduction donnant naissance à un nouveau contrat, la nullité de l’avenant importe peu. Ce qui compterait serait que le consentement au nouveau contrat (résultant du silence de l’assuré qui ne s’est pas opposé à la reconduction) soit à la fois libre et éclairé. Or, par l’avenant, l’assuré a eu connaissance de la « clause Covid ». Il sait à quoi il consent par son silence. Et son consentement est libre, sauf à considérer que la violence économique vicie non seulement le consentement à l’avenant mais aussi au contrat reconduit. Entre les deux réponses, affirmative et négative, le doute est donc permis. La question est ouverte.

L’opposition de l’assureur à la reconduction du contrat d’assurance est-elle abusive ?

On supposera cette fois que l’assuré a refusé de signer l’avenant contenant la « clause Covid » et que l’assureur, comme il l’avait annoncé, s’est opposé à la reconduction du contrat primitif. Cette opposition est-elle abusive (avec pour sanction l’octroi de dommages et intérêts, ou mieux, une réparation en nature consistant dans la reconduction du contrat primitif, à savoir sans la « clause Covid ») ? On est tenté d’appliquer par analogie l’article L. 113-12-1 du Code des assurances qui dispose que la résiliation annuelle prévue à l’article L. 113-12 doit être motivée, au moins quand elle émane de l’assureur. Mais ce texte ne vise que les contrats couvrant une personne physique en dehors de son activité professionnelle, ce qui exclut les assurances des entreprises. D’un autre côté, ce n’est pas parce qu’une résiliation n’a pas à être motivée qu’un contrôle de l’abus de droit est prohibé. Il est seulement rendu plus difficile. L’obstacle nous paraît ailleurs, dans le fait qu’il ne faut pas confondre la résiliation, qui met fin à un contrat en cours, et l’opposition à la reconduction qui empêche la naissance d’un nouveau contrat. Dans ce dernier cas, est en cause la liberté (ici de l’assureur) de ne pas contracter, qui est fondamentale en droit des contrats. On y verrait volontiers un droit insusceptible d’abus. D’un autre côté, ne pas entrer en relation, et ne pas poursuivre une relation par le biais d’une tacite reconduction, sont deux choses différentes, ce qui ouvrirait la voie à un contrôle de l’abus dans la seconde hypothèse. Là encore, la question est ouverte.

Quel est l’effet temporel des « clauses Covid » ?

On écartera désormais les problèmes de consentement et d’abus, en postulant que la « clause Covid » est valable et efficace, au moins pour l’avenir. Mais, pourrait-elle s’appliquer à la crise sanitaire en cours ? On songe naturellement à la nouvelle vague épidémique qui a entraîné la fermeture administrative des mêmes établissements qui avaient été fermés une première fois (en supposant naturellement que la « clause Covid » soit antérieure à cette nouvelle vague). A-t-on affaire au même sinistre (auquel cas la « clause Covid » est inefficace) ou à un nouveau sinistre (auquel cas elle pourrait s’appliquer) ? A priori, la réponse dépend de l’objet de la garantie. Si le contrat primitif garantissait, comme c’est généralement le cas, les conséquences d’une fermeture administrative, et pas les conséquences d’une épidémie, il y a un sinistre par décision de fermeture et donc ici nouveau sinistre. La « clause Covid » figurant dans l’avenant et, par voie de conséquence, dans le contrat renouvelé, pourrait s’appliquer.

Toutefois, on peut s’interroger sur une possible globalisation des sinistres liée au fait qu’ils ont pour origine la même épidémie de coronavirus. Il s’agirait d’appliquer par analogie l’article L. 124-1-1 du Code des assurances qui, pour les assurances de responsabilité, prévoit une globalisation autour de la cause technique. Le raisonnement est évidemment audacieux. Au moins pour la garantie des pertes d’exploitation, on a affaire à une assurance de choses et non de responsabilité. En outre, il faudrait assimiler la cause naturelle que constituerait le Covid 19 à une cause technique (encore que l’assimilation ne soit pas incongrue dès lors que la « cause technique » de l’article L. 124-1-1 du Code des assurances est avant tout une cause extra-juridique). Mais, si l’on écarte ces objections, l’horizon s’ouvre : pour l’assuré qui serait protégé de la « clause Covid », au moins pour l’actuelle épidémie, mais aussi parfois pour l’assureur. Dans le cas où son réassureur interviendrait au-delà d’un certain montant par sinistre, ce seuil d’engagement serait plus rapidement atteint si ce montant devait s’entendre par sinistre globalisé. Naturellement, que soient en cause les contrats d’assurance ou de réassurance, il faut aussi tenir compte de la manière dont ils sont rédigés et de la présence d’une éventuelle clause de globalisation qui se substituerait à une globalisation légale supposée inapplicable.

On l’aura compris : l’actuelle crise sanitaire et les réponses contractuelles qui lui sont apportées n’ont pas fini de questionner le juriste. Et comme souvent, c’est par un retour aux fondamentaux et par la pratique d’une analogie bien comprise que des pistes de solution peuvent être avancées.