Par Haritini Matsopoulou, Professeur de droit privé à l’Université Paris-Saclay, Expert du Club des juristes

Le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire tend à assurer une meilleure protection du « secret professionnel de la défense », en renforçant les garanties prévues pour les perquisitions au cabinet ou au domicile d’un avocat et en encadrant les interceptions téléphoniques. Par ailleurs, il renforce la protection du secret de l’enquête et de l’instruction, en aggravant les peines applicables en cas de violation de ce secret.

Quel est le dispositif prévu pour renforcer la protection du secret professionnel de l’avocat ?

Le dispositif proposé a pour objectif principal de durcir les conditions requises pour qu’une perquisition soit effectuée au cabinet ou au domicile d’un avocat et d’améliorer les garanties entourant une telle opération.

Tout d’abord, il est suggéré, dans la continuité des propositions de la commission Mattei, d’inscrire la protection du « secret professionnel de la défense » dans l’article préliminaire du Code de procédure pénale consacrant les principes directeurs du procès pénal. Les débats relatifs à cette proposition ont révélé « une volonté quasi-unanime » pour que la protection de ce secret couvre aussi bien l’activité de défense que celle de conseil, comme le prévoit l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

Une autre proposition vise à compléter l’article 56-1 du Code de procédure pénale afin de soumettre l’autorisation d’une perquisition dans le cabinet d’un avocat à « l’existence des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction qui fait l’objet de la procédure ». Les éléments réunis préalablement à la perquisition devraient donc figurer dans la décision écrite et motivée du magistrat autorisant l’opération. On pourra faire observer que ce régime protecteur serait étendu aux interceptions téléphoniques d’une ligne dépendant du cabinet ou du domicile d’un avocat ainsi qu’aux réquisitions portant sur les données de connexion de cette ligne.

Par ailleurs, il est préconisé d’introduire un recours contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, qui statue, dans un délai de cinq jours, sur une contestation relative à la saisie d’un document à laquelle le magistrat a l’intention de procéder. Comme on le sait, les perquisitions dans le cabinet d’un avocat (ou à son domicile) doivent être accomplies en présence du bâtonnier (ou de son délégué), qui a le droit de consulter ou de prendre connaissance des documents ou des objets se trouvant sur les lieux préalablement à leur éventuelle saisie. Or, il peut arriver que le bâtonnier s’oppose à un tel acte, ce qui donne lieu à la saisine du juge des libertés et de la détention. Selon le droit actuel, ce dernier se prononce sur la validité de la saisie par une ordonnance motivée insusceptible de recours. Le projet de loi vise donc à combler une telle lacune, en prévoyant un recours suspensif contre cette ordonnance, « formé devant le premier président de la cour d’appel par le procureur de la République, l’avocat dont les locaux ont été perquisitionnés ou le bâtonnier qui a assisté à la perquisition » (V. Rapp., Ass. nat., nos 4146 et 4147, 7 mai 2021, p. 68). Ce projet nous laisse toutefois perplexe, dans la mesure où il envisage de confier au juge des libertés et de la détention à la fois le pouvoir d’autoriser les perquisitions et celui de statuer sur la régularité des saisies effectuées dans le cadre de ces opérations.

Dans son avis sur le présent projet de loi, le Conseil d’État a considéré que ces modifications « améliorent les garanties de protection du secret professionnel de la défense ».

A vrai dire, à l’exception de certaines propositions, comme celle tendant à introduire un recours suspensif, la plupart ne présente pas un caractère novateur et ne fait que consacrer une jurisprudence déjà existante. Ainsi, celle-ci n’adopte plus une conception stricte de la notion de secret professionnel de l’avocat, en se montrant hostile à la saisie des documents qui ne sont pas directement liés à la défense du client (Crim. 13 déc. 2006, n° 06-87.169), contrairement à une jurisprudence ancienne. En outre, la Chambre criminelle exige, au visa des articles 56-1 du Code de procédure pénale et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, que les motifs justifiant l’opération et l’objet de celle-ci soient clairement indiqués dans l’ordonnance judiciaire, afin que le bâtonnier puisse exercer efficacement sa mission et que le juge des libertés et de la détention, éventuellement saisi, puisse se prononcer sur la régularité des documents appréhendés (Crim. 9 févr. 2016, n° 15-85.063). Enfin, les juridictions répressives admettent, depuis longtemps, une dérogation à la protection du secret professionnel dès lors que les pièces à saisir sont susceptibles d’établir la participation éventuelle de l’avocat à une infraction pénale.

Ces précisions données, on est amené à reconnaître que l’adoption du dispositif proposé pourra donner une base légale à ces solutions jurisprudentielles et encadrer l’action de l’autorité judiciaire qui décide ou exécute de telles opérations.

Quelles sont les modifications suggérées en vue de garantir une meilleure protection du secret des enquêtes et de l’instruction ?

Le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire propose une aggravation des peines prévues en cas de violation du secret de l’article 11 du Code de procédure pénale. Comme il a été indiqué, « la coexistence de différentes infractions nuit à l’intelligibilité de la loi pénale ». Actuellement, l’article 11, al. 2, du Code de procédure pénale sanctionne la violation du secret de l’enquête et de l’instruction des peines applicables au délit de violation du secret professionnel (art. 226-13 C. pénal), à savoir d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000€ d’amende. En outre, l’article 434-7-2 du Code pénal réprime d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende les révélations faites par des personnes qui, du fait de leurs fonctions, ont connaissance d’informations issues d’une enquête ou d’une instruction en cours concernant un crime ou un délit à des personnes qu’elles savent susceptibles d’être impliquées dans la commission de ces infractions. Le projet de loi vise à regrouper ces deux incriminations, au sein du seul article 434-7-2 du Code pénal, dont les sanctions seraient, par ailleurs, considérablement aggravées. En particulier, elles pourraient atteindre jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende, en fonction des circonstances dans lesquelles les faits réprimés seraient commis.

Ainsi, la violation du secret de l’article 11 du Code de procédure pénale serait détachée de celle du secret professionnel régie par l’article 226-13 du Code pénal.

En outre, la Commission des lois a adopté un amendement tendant à porter à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende la peine de 10 000 euros, actuellement applicable aux parties diffusant à des tiers des reproductions de pièces ou actes d’une procédure d’instruction, qui leur ont été remis en vertu de l’article 114, al. 5, du Code de procédure pénale.

Ces nouvelles sanctions pourraient donc produire un effet dissuasif.

La règle du secret des enquêtes et de l’instruction, telle qu’elle est prévue par notre législation actuelle, devrait-elle être maintenue ?

S’il est souhaitable que la justice ne soit pas rendue « sous le boisseau »  ou sans « le contrôle de l’opinion publique », il faut s’interroger sur la raison d’être du secret. Tout d’abord, il est naturel et normal que les autorités de police et de justice puissent procéder à toutes investigations utiles sans aucune entrave. Or, effectuer des recherches en public permet à des individus non encore soupçonnés de faire disparaître toutes traces ou tous documents compromettants. De plus, au stade de l’enquête ou de l’instruction, le policier expérimente des pistes, de sorte qu’il convient de ne pas jeter le discrédit sur une personne déterminée, tant que sa culpabilité n’a pas été légalement et définitivement établie. En d’autres termes, le secret n’a pas pour objet unique de faciliter les investigations ; il a, d’abord et avant tout, vocation à protéger la présomption d’innocence, à juste titre renforcée par le Code de procédure pénale et par de nombreuses dispositions postérieures. Enfin, le secret de l’enquête et de l’instruction garantit l’indépendance de la justice contre toute pression de l’opinion publique.

Sans aucun doute, ces objectifs, qui ont été pris en considération par les rédacteurs du Code de procédure pénale, conservent toute leur valeur aujourd’hui, comme en témoignent les jurisprudences constitutionnelle et conventionnelle.

S’agissant du Conseil constitutionnel, on doit rappeler que, pour proclamer la conformité de l’article 11, al. 1er, du Code de procédure pénale à la Constitution, il s’est fondé sur les objectifs du secret de l’enquête et de l’instruction. Ainsi, a-t-il affirmé, par sa décision n° 2017-693 QPC du 2 mars 2018, que ce secret vise, d’une part, à garantir « le bon déroulement de l’enquête et de l’instruction, poursuivant ainsi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions, tous deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle ». D’autre part, il tend à « protéger les personnes concernées par une enquête ou une instruction, afin de garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d’innocence, qui résulte des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789 » (V. aussi : Cons. const., 23 nov. 2012, n° 2012-284 QPC).

Quant à la Cour EDH, elle a estimé, par l’arrêt Bédat c/ Suisse du 29 mars 2016 (n° 56925/08), qu’il est légitime de vouloir accorder une protection particulière au secret de l’instruction compte tenu de l’enjeu d’une procédure pénale, tant pour l’administration de la justice que pour le droit au respect de la présomption d’innocence des personnes mises en examen. La Cour a même pris soin de rappeler les objectifs poursuivis par le secret de l’instruction, qui « sert à protéger, d’une part, les intérêts de l’action pénale, en prévenant les risques d’une collusion ainsi que le danger de disparition et d’altération des moyens de preuve et, d’autre part, les intérêts du prévenu, notamment sous l’angle de la présomption d’innocence et, plus généralement, de ses relations et intérêts personnels. Il est en outre justifié par la nécessité de protéger le processus de formation de l’opinion et de prise de décision du pouvoir judiciaire ».

Enfin, les solutions tirées du droit comparé militent non seulement en faveur du maintien du secret de l’article 11 du Code de procédure pénale mais aussi du renforcement des sanctions infligées en cas de violation de ce secret.

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