Des voitures autonomes sont actuellement testées sur les routes d’Amérique du Nord.  Elles sont appelées à circuler régulièrement sur nos routes dans un avenir très proche. Cela suppose, cependant, qu’un certain nombre de questions juridiques soient préalablement résolues. L’une d’elles tient à la responsabilité en cas d’accidents. Une collision mortelle entre une voiture autonome de la flotte Uber et un piéton, survenu le 18 mars dernier, permet d’aborder cette question au regard du droit français, alors que l’État de l’Arizona a interdit les essais de voiture autonome jusqu’à nouvel ordre.

Décryptage par Iris M. Barsan, ancienne élève de l’ENA (Willy Brandt) et maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Est-Créteil.

« Une question éthique se pose et elle nécessite une intervention législative pour permettre aux concepteurs de programmer leurs algorithmes afin d’établir une hiérarchie des intérêts à sauvegarder »

Dans quel contexte Uber est-il mis en cause ?

Rappelons, tout d’abord, que l’une des promesses de la voiture autonome est une réduction drastique des accidents de la route. Mais il s’agit là bien d’une promesse et non d’une garantie. Les constructeurs de ces voitures rappellent sans relâche que le risque zéro n’existe pas, et pour cause. Des accidents impliquant des voitures autonomes ont déjà eu lieu. Ainsi, en mai 2016, le conducteur d’une Tesla circulant en mode autonome a trouvé la mort du fait que ni le système autonome alors enclenché, ni le conducteur n’avaient, en raison des conditions météorologiques, détecté la remorque d’un poids lourd engagé dans une manœuvre routière. La voiture autonome testée par Google a, de son côté, été impliquée dans plusieurs accidents sans gravité. 

La nouveauté des faits qui se sont produits le 18 mars dernier à Tempe, située aux États-Unis dans l’État d’Arizona, réside dans le décès d’une piétonne, percutée par un véhicule autonome, appartenant à la flotte Uber. La société de VTC teste, en effet, dans plusieurs villes des États-Unis et au Canada des véhicules autonomes et projetait, avant l’accident, de déployer des flottes de voitures autonomes sur tout le territoire des États-Unis. Ces projets sont désormais suspendus.

Mais comment s’est produit cet accident singulier ? Le soir du 18 mars, une femme surgissait avec son vélo sur une route à quatre voies qu’elle tentait de traverser alors qu’une Volvo 4×4 XC90 testée par Uber y circulait en mode autonome. Ni le pilote automatique alors enclenché, ni le conducteur humain, pourtant derrière le volant, n’ont détecté à temps la piétonne, qui succomba à ses blessures.

Qui serait responsable d’un accident impliquant une voiture autonome au regard du droit français ?

Précisons qu’actuellement les seules voitures autonomes susceptibles de circuler sur nos routes, sont les voitures de niveau 3 qui impliquent la présence et la reprise de contrôle à tout moment par un conducteur humain. Cette exigence résulte de la Convention de Vienne de 1968 sur la circulation routière, modifiée en 2016 pour permettre la prise en compte de systèmes autonomes de conduite et ratifiée par la plupart des Etats membres de l’Union européenne.

La loi Badinter se soucie avant tout de l’indemnisation des victimes. Elle crée un régime de responsabilité fondé sur le risque, qui rend le conducteur responsable y compris en l’absence de faute. En matière de dommages corporels, seule la faute inexcusable de la victime, dans la mesure où elle constitue la cause exclusive de l’accident, permet à l’assurance du conducteur, obligatoire par ailleurs, d’éviter la prise en charge de leur indemnisation. Le relais est alors pris par un fonds de garantie des victimes. S’agissant des dommages matériels, toute faute de la victime est susceptible de limiter ou d’exclure son droit à réparation. Si le conducteur subit un dommage, toute faute qu’il aura commise limitera ou exclura son indemnisation.  

Si l’on appliquait les règles françaises à l’accident qui s’est produit le 18 mars dernier, on arriverait à la conclusion que l’assurance du conducteur devra indemniser les ayants droit de la victime sauf à prouver que celle-ci a commis une faute inexcusable se trouvant être la seule cause du dommage. Or, compte tenu des déclarations des autorités de police américaines, il semblerait que cet accident n’aurait, en tout état de cause, pas pu être évité puisque la victime avait surgi soudainement sur la route à quatre voies, qu’elle tentait de traverser en poussant son vélo, sans éclairage, en dehors des passages piétons. Ces éléments relèveraient, en droit français, de l’appréciation souveraine des juges du fond. Si l’examen des faits conduisait les juges à retenir une faute inexcusable qui a seule causé la mort de la piétonne, le conducteur pourrait bénéficier d’une exonération de responsabilité. À défaut, l’assurance du conducteur devrait indemniser les ayants droit de la victime alors que ni le conducteur, ni le pilote automatique n’ont commis de faute. Dans un tel cas, l’assureur-payeur ne pourrait pas non plus se retourner contre le constructeur du véhicule ou le concepteur de l’algorithme permettant l’autonomie au véhicule, sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux puisque par définition, il n’y aura pas eu de dysfonctionnement du véhicule ou du système d’autonomie.

Quels sont les déficits de la loi française ?

Conçue en un autre temps, la loi Badinter se trouve en décalage par rapport aux nouvelles réalités technologiques et économiques. Si elle continue à favoriser une indemnisation des victimes sans se soucier de l’auteur de l’accident, elle ignore la mutation de la source du risque. Ce risque sera partagé entre le conducteur humain et le pilote automatique dont l’enclenchement permet en principe de réduire les accidents de la circulation. Elle a toutes les chances, par ailleurs, d’aboutir à un surenchérissement du coût de l’assurance pour les conducteurs puisque, comme en l’espèce, celle-ci sera parfois amenée à indemniser des victimes sans recours possible contre les constructeurs ou concepteurs du système d’autonomie.

L’on pourrait en conséquence recommander de modifier la loi Badinter afin d’organiser un partage de responsabilités entre conducteurs, constructeurs de véhicules et concepteurs du système d’autonomie. Une boîte noire ou le GPS permettraient de déterminer qui avait le contrôle de la voiture au moment de l’accident. C’est précisément ce qu’a fait l’Allemagne en modifiant son code de la route par une loi du 16 juin 2017. Aujourd’hui déjà, des voitures semi-autonomes circulent sur les routes allemandes.

Se pose ensuite une question éthique qui nécessite une intervention législative ou du moins des lignes directrices pour permettre aux concepteurs du système d’autonomie de programmer leurs algorithmes afin d’établir une hiérarchie des intérêts à sauvegarder. Question hautement sensible qui ne manquera pas de faire débat.

Par Iris Barsan