Par Alexandre CIAUDO, Professeur agrégé de droit public à l’Université de Franche-Comté (CRJFC) et Avocat à la Cour
Le président du tribunal a jugé irrecevable le référé-liberté déposé par « Conscience », un collectif de familles des quartiers nord de Marseille, dont l’objectif était de contraindre l’Etat à mettre fin à la spirale de la violence dans la cité phocéenne. Une décision juridiquement cohérente.

Les centaines de référés libertés formés durant la période de confinement avaient conduit le Conseil d’Etat à rappeler les limites de ses pouvoirs sur l’action gouvernementale. Deux ordonnances récemment rendues par le Tribunal administratif de Marseille le confirment de nouveau.

Des mesures d’urgences demandées

Par deux requêtes, enregistrées les 4 et 11 septembre 2023, l’association « Conscience », fondé par Amine Kessaci et qui s’est donnée pour objectif de montrer que la jeunesse peut réfléchir par elle-même et combattre les clichés des quartiers populaires, a sollicité qu’il soit enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de déterminer les mesures d’urgence à mettre en œuvre pour lutter contre la multiplication des homicides et des violences dans la cité phocéenne, avec pas moins de 42 morts et 109 blessés depuis le début de l’année.

Dans sa première requête, l’association sollicitait que l’on demande au préfet de prendre 17 mesures d’urgence de nature à réduire le danger actuel. Parmi celles-ci, la réouverture de services publics, le redéploiement d’une police de proximité, la mise en place d’une vidéosurveillance et d’un plan d’investissement pour la lutte contre les passoires thermiques, l’investissement dans les transports en commun, la gratuité des transports pour les personnes âgées de moins de 26 ans, ou encore l’élaboration d’un plan de rénovation des établissements scolaires…

Un recours rejeté

Rappelant les limites de ses pouvoirs en la matière, le juge a rejeté ce premier recours par ordonnance, sans tenir d’audience préalable, en soulignant qu’il ne pouvait au moyen de ce recours que mettre fin dans un délai de 48h à une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et sous réserve que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires au regard des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente.

Si, sur ce fondement, le juge administratif a pu enjoindre à l’administration pénitentiaire de diligenter des travaux à la maison d’arrêt de Nîmes et au centre pénitentiaire de Nouméa afin de lutter contre les conditions indignes d’accueil des détenus au sein de ces établissements, et au préfet du Pas-de-Calais de mettre en place des points d’eau et des latrines dans la « jungle » de Calais ainsi qu’une maraude quotidienne à destination des mineurs non accompagnés, le juge des référés a logiquement rappelé qu’il ne disposait aucunement des pouvoirs d’enjoindre aux autorités de l’Etat d’adopter des mesures structurelles insusceptibles d’être mises en œuvre dans un délai de 48h.

Deuxième rejet

Tirant les conséquences de cette décision, l’association a alors formé une seconde requête demandant à ce qu’il soit enjoint au préfet de déterminer lui-même les mesures de nature à réduire ou anéantir la multiplication des homicides et violences à Marseille. Une même décision de rejet lui a été opposée au motif qu’il n’appartient pas au juge des référés libertés (pas plus au juge du fond) de se substituer à l’administration.

On comprend parfaitement la démarche de cette association dont l’action vise à rechercher une sanction juridictionnelle d’une supposée inaction de l’Etat dans la lutte contre la multiplication des violences à Marseille. La voie contentieuse qu’elle a choisie ne paraît toutefois pas adéquate, le juge des référés ne disposant assurément pas du pouvoir de mettre fin aux difficultés chroniques de la ville en matière de sécurité en seulement 48h. Néanmoins, la stratégie contentieuse de l’association des Amis de la Terre consistant à rechercher l’annulation du refus du Premier ministre de prendre toutes mesures utiles et d’élaborer un plan de lutte contre la pollution de l’air et l’injonction de prendre de telles mesures, pourrait servir de modèle à l’association Conscience pour ses actions futures.