Le texte visant à réformer les institutions qui va être prochainement soumis au Conseil d’État pour avis comporte une partie dédiée à un meilleur encadrement du recours au droit d’amendement.

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Décryptage par Jean-Eric Gicquel, professeur de droit à l’Université de Rennes 1.

« Dix ans après, on se retrouve ainsi devant le même objectif : alléger, autant que faire se peut, l’examen des textes en hémicycle »

Quelles sont les justifications avancées pour encadrer le recours au droit d’amendement ?

Les mesures s’apprécient à la lueur de l’échec de la révision constitutionnelle de 2008. L’ambition à l’époque était de rééquilibrer le travail en commission et en hémicycle en faisant jouer le principe des vases communicants propre à la mécanique des fluides. C’est en ce sens que l’article 44C a été modifié afin de prévoir que le droit d’amendement  « s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique ». Un examen approfondi d’amendements en commission législative – aux prérogatives accrues (art. 42C) – avait vocation à soulager d’autant la délibération en séance plénière. Il s’agissait de faire en sorte qu’une fois le débat technique effectué en commission clos, la séance publique soit consacrée à des échanges de nature politique. Or les chiffres parlent d’eux-mêmes : pour 19 704 amendements déposés en séance à l’Assemblée nationale en 2008-2009, on en recense en 2015-2016, 11 652 en commission et … 23 256 en séance. Dix ans après, on se retrouve ainsi devant le même objectif : alléger, autant que faire se peut, l’examen des textes en hémicycle en réduisant d’autorité le nombre d’amendements pouvant être déposés à ce stade.

Quelles sont les modalités privilégiées par le Premier ministre ?

Dans son discours du 4 avril 2018, celui-ci a d’abord fait état de l’abandon de « l’idée d’un contingentement des amendements ». Il avait été effectivement un temps envisagé de fixer le nombre d’amendements pouvant, par session, être déposés par un parlementaire en fonction de l’effectif du groupe auquel il appartient. Il s’agissait ici de porter atteinte à l’essence même de l’article 44C qui reconnaît, de façon égalitaire, le droit d’amendement aux membres du Parlement. La mesure était radicale et comme de nombreux observateurs l’avaient pressenti, il fallait voir dans ce chiffon rouge brandi par le gouvernement, une tactique politique visant, avec son retrait, à faire céder les élus et notamment les sénateurs sur d’autres points.

Ensuite, le Premier ministre a fait état de sa volonté, d’une part, de faire en sorte que « sur le modèle de ce qui se pratique au Sénat, la discussion en séance (puisse) être focalisée sur les points principaux, grâce à un meilleur travail en commission » et d’autre part « de limiter les amendements sans portée normative, sans lien direct avec le texte ou qui ne seraient pas du domaine de la loi ». Les effets concrets risquent d’être limités. 

Dans quel cadre juridique cette réforme peut-elle déployer ses effets ?

Les évolutions souhaitées par le Premier ministre ne nécessitent pas de révision de la Constitution.

En effet, en agissant au seul niveau des règlements des assemblées, il est déjà possible de restreindre le droit d’amendements des parlementaires en séance plénière. L’article 16 de la loi organique du 15 avril 2009, prise en application de l’article 44C, dispose, à cet effet, que les règlements des assemblées peuvent « prévoir que le texte adopté par la commission saisie au fond est seul mis en discussion en séance ».

Ainsi, lorsque le Premier ministre ambitionne de faire en sorte que «sur le modèle de ce qui se pratique au Sénat, la discussion en séance (puisse) être focalisée sur les points principaux, grâce à un meilleur travail en commission », il fait écho à la procédure de législation en commission établie dans le règlement du Sénat par la résolution du 14 décembre 2017 –suite à une expérimentation conduite depuis 2015. L’exercice du droit d’amendement, une fois sollicité en commission, ne peut plus, sauf exceptions circonscrites, être mis en œuvre en hémicycle. Deux précisions sont à rajouter : primo, ce mécanisme n’est pas utilisable pour la discussion des projets de révision constitutionnelle, des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale puisque les commissions ne peuvent les amender (art. 42C) et secundo, chaque groupe politique (y compris donc ceux de l’opposition) dispose d’un droit de veto absolu en application du même article 16. En pratique seuls des textes succincts et / ou techniques (et qui, de toute façon ne suscitent guère d’amendements…) sont concernés.

Maintenant, si l’Exécutif est décidé à aller plus loin, partant du principe que l’article 44C dispose que le droit d’amendement  « s’exerce en séance ou en commission », une modification de l’article 16 de la loi organique du 15 avril 2009 serait envisageable.  Il pourrait être acté que le gouvernement soit seul –  et donc sans droit de veto d’un groupe – à décider de recourir à la procédure d’examen simplifiée de tel ou tel texte.

Concernant la lutte contre « les amendements sans portée normative, sans lien direct avec le texte ou qui ne seraient pas du domaine de la loi », il convient de distinguer les hypothèses.

La plus sérieuse concerne les amendements sans lien direct avec le texte, i.e. les cavaliers législatifs. Or, il est à souligner que les règlements de l’Assemblée nationale (art. 98 al. 5) et du Sénat (art. 48 al. 3) prévoient déjà l’irrecevabilité d’un amendement ne présentant pas de lien, même indirect, avec le texte en discussion. Le Président de l’assemblée (au Palais-Bourbon) et la commission saisie au fond (au Palais du Luxembourg) sont responsables du contrôle et en pratique une centaine d’amendements sont ainsi écartés chaque session au Sénat. Un contrôle plus systématique pourrait effectivement être institué – principalement à l’Assemblée nationale – mais, vu le nombre d’amendements déposés chaque année (voir supra), la détection en amont de cavaliers est moins aisée qu’on pourrait le penser spontanément.

Le reste est moins intéressant voire surprenant. Le Conseil constitutionnel a certes énoncé en 2005 que « la loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par suite être revêtue d’une portée normative » (C.C., 21 avril 2005, Avenir de l’Ecole, Rec. 72) mais le nombre d’amendements dépourvus de normativité reste marginal. On se situe ici plus au niveau de l’incantation que du droit. Quant à la volonté du gouvernement d’éviter les amendements qui ne seraient pas du domaine de la loi, on se frotte les yeux puisque l’article 41C lui permet –depuis 1958… – de leur opposer l’irrecevabilité au cours de la procédure législative !

Voir la paille dans l’œil du voisin et ne pas voir la poutre dans le sien. Ce proverbe résume parfaitement l’attitude du gouvernement. Lui aussi est grandement responsable, par le dépôt – souvent impromptu et massif – de ses propres amendements (dont on sait qu’ils n’ont en rien la même portée que ceux des parlementaires) de la dégradation des conditions de travail des assemblées. Lui non plus n’hésite pas à déposer des amendements sans portée normative, sans lien direct avec le texte ou ne relevant pas du domaine de la loi. S’il reste en droit d’exiger des élus d’être plus responsables au quotidien dans le recours à l’article 44C, il lui appartient aussi de montrer l’exemple. Or, force est de constater que, pour l’instant, il n’entend pas agir en ce sens…

Par Jean-Eric Gicquel