Le Premier Ministre a présenté le 4 avril dernier les grandes lignes du projet de réforme des institutions, soumis au Conseil d’État pour avis. Edouard Philippe a ainsi confirmé que la Corse trouverait sa place dans la Constitution en précisant que cela « permettra d’adapter les lois de la République aux spécificités insulaires, mais sous le contrôle du Parlement ».

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Décryptage par Wanda Mastor, professeur de droit à l’Université Toulouse 1-Capitole.

« Le texte ne fera sans doute que constitutionnaliser des compétences déjà existantes et consacrer la capacité d’adapter les lois nationales aux contraintes insulaires »

En quoi la question de la territorialité est-elle importante dans la révision de la Constitution ?

La question des territoires est importante car elle correspond, politiquement, à l’un des vœux exprimés par le Président de la République et qu’il a formalisé dans l’expression de « pacte girondin ». Emmanuel Macron a évoqué sa volonté de changement de paradigme lors de son discours à la Conférence des territoires du 18 juillet 2017 : « [l’État]  doit consentir à un changement de paradigme complet. (…) Les territoires en réalité savent mieux l’organisation qui est la plus pertinente pour eux. Il faut donc construire ce pacte girondin, que j’évoquais il y a quelques semaines, qui, sans briser l’unité nationale, redonnera aux territoires les moyens d’agir dans une responsabilité partagée ».

Pacte girondin dont Emmanuel Macron reprendra l’idée devant le Parlement réuni en Congrès le 3 novembre 2017 et à l’occasion du 100ème Congrès des maires de France.

C’est donc en toute logique que le Premier ministre Edouard Philippe a, dans son discours du 4 avril 2018, affirmé la volonté de constitutionnaliser ce pacte girondin : « Le projet de loi constitutionnelle marquera également notre confiance dans la capacité des collectivités locales de métropole et d’outre-mer d’adapter elles-mêmes les règles qui régissent leurs domaines de compétence à la réalité de leur territoire. C’est un pacte girondin que nous proposons aux territoires (…) ». Même si la question de l’expérimentation n’a pas été évoquée, on sait qu’elle a été beaucoup discutée ces derniers mois. Le Conseil constitutionnel a souvent rappelé que seul le Premier ministre, en vertu de l’article 21 de la Constitution, disposait du pouvoir réglementaire à titre principal et que, par voie de conséquence, les collectivités ne pouvaient agir que dans un cadre d’attribution. Mais la loi constitutionnelle de 2003 a mis à mal cette interprétation absolue, en autorisant les collectivités territoriales à déroger aux lois et règlements nationaux en vertu du nouvel article 72 alinéa 4. Il ne s’agit cependant que d’une compétence exercée à titre dérogatoire et de manière limitée. Dans son discours, le Premier ministre ne revient pas sur ce qui a fait l’objet de vives discussions et continue de soulever des interrogations : l’idée selon laquelle les collectivités pourraient pérenniser une expérimentation fructueuse.

Pourquoi le cas particulier de la Corse est-il visé par une inscription dans la Constitution ?

La réponse relève en grande partie du domaine politique. Les résultats des dernières élections territoriales en Corse de décembre 2017 ont porté à la nouvelle assemblée de Corse une majorité incontestable. Le président de l’exécutif Gilles Simeoni a plusieurs fois rappelé la nécessité de la révision constitutionnelle : « L’inscription de la Corse dans la Constitution est la condition sine qua non de l’ouverture d’un espace juridique qui nous permettra de mettre en œuvre des politiques (…) indispensables à la prise en compte des intérêts de la Corse ». Après la visite de Jacqueline Gourault (en charge du suivi du dossier Corse pour le gouvernement) en Corse le 5 janvier 2018, qui s’est prononcée en faveur de l’inscription de la Corse à l’ordre du jour de la prochaine révision constitutionnelle, Jean-Guy Talamoni, président de l’Assemblée de Corse, s’est félicité d’un « déblocage de la question constitutionnelle, lequel demeurait un abcès de fixation depuis une quarantaine d’années ».

Il était donc logique que le président de la République, à la suite de ses propos sur le pacte girondin précités, prenne en compte ces revendications. Lors de son discours prononcé à Bastia le 7 février dernier, Emmanuel Macron s’est engagé à inscrire la Corse dans la Constitution : « (…) Je vous annonce solennellement aujourd’hui que je suis favorable à ce que la Corse soit mentionnée dans la Constitution et que les dispositions en ce sens seront proposées dans le projet constitutionnel qui sera soumis au parlement au printemps ».

Si la question de la mention de la Corse dans la Constitution était, pour la majorité des élus de l’assemblée de Corse, un préalable indispensable, il faut immédiatement préciser que le contenu envisagé n’est absolument pas conforme à leurs revendications. L’autonomie législative était au cœur de celles-ci et le discours du Premier ministre, conformément à ce que les dernières négociations laissaient envisager, propose une hypothèse très éloignée. Le contenu de l’article ne sera sans doute qu’une sorte de constitutionnalisation de compétences déjà existantes –offertes par le législateur- et la capacité d’adapter les lois nationales aux contraintes insulaires, dans des conditions et limites pour le moment inconnues.

Comment la Constitution peut-elle être modifiée pour y faire figurer la Corse ?

Plusieurs hypothèses étaient envisageables. De l’importance accordée aux pouvoirs de la nouvelle collectivité découlait la « place » accordée dans la Constitution. Le Président de la République a, dans son discours précité de Bastia du 7 février dernier, émis l’hypothèse d’une insertion dans l’article 72. Hypothèse qui, toujours selon lui, permettrait « la reconnaissance d’un droit à la différenciation qui permettra à la collectivité de Corse d’être habilitée à adapter les lois et règlements (…) et à obtenir le transfert de nouvelles compétences ».

Dans un esprit de consensus, et tout en continuant de plaider pour l’autonomie, certains élus corses ont envisagé l’insertion dans un article 72-5, pendant que d’autres maintenaient la position selon laquelle seul un nouvel article 74-2 pourrait offrir à la Corse son autonomie. Mais de manière somme toute attendue, c’est la simple logique de l’adaptation qui -peut-être- l’emportera.

Le Premier ministre a donc commencé par rappeler que les promesses de l’insertion de la Corse dans la Constitution allaient être tenues, mais en ajoutant immédiatement deux précisions. Tout d’abord, ce « pouvoir » accordé à la collectivité de Corse ne sera qu’un pouvoir d’adapter les lois de la République aux contraintes liées à l’insularité (d’autres commentateurs pourraient bien sûr présenter ledit pouvoir comme une hypothèse haute). Ensuite, l’ajout de la phrase « mais sous le contrôle du Parlement » utilisé prouve que l’intention du pouvoir central n’est pas d’offrir à la collectivité un pouvoir d’adaptation « direct » en quelque sorte. A l’image de ce qu’il se passe déjà pour la plupart des départements et régions d’outre-mer, la collectivité devra sans doute demander une autorisation au parlement, ce qui risque de conduire aux mêmes effets que ceux regrettés par certains parlementaires ultramarins. Le pouvoir d’adaptation de la plupart des DOM/ROM n’est pas effectif et donc inefficace, le bilan de l’article 73 étant quantitativement et qualitativement très limité.

Espérons que ce « contrôle du Parlement » auquel fait rapidement allusion le Premier ministre ne conduira pas à la création d’un nouveau fléau bureaucratique. Mais la route de la révision est encore longue et la question de la Corse ne sera finalement peut-être pas celle qui cristallisera le plus de tensions entre les grands Pouvoirs de la République.

Par Wanda Mastor