Par Agnès Roblot-Troizier – Professeur de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne – Directrice de l’Ecole de droit de la Sorbonne
Le Conseil constitutionnel a rendu ses deux décisions dans le cadre de la réforme des retraites, vendredi 14 avril. Dans sa deuxième décision, il rejette la demande de Référendum d’Initiative Partagée (RIP). Une nouvelle demande de RIP visant à interdire un âge légal de départ à la retraite supérieur à 62 ans a par ailleurs été déposée jeudi 13 avril par des parlementaires de gauche.

Pour quelle(s) raison(s) le Référendum d’Initiative Partagée (RIP) n’a-t-il pas été validé par les membres du Conseil constitutionnel ?

Le motif de l’irrecevabilité tient en une phrase : la proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans « ne porte pas, au sens de l’article 11 de la Constitution, sur une “réforme” relative à la politique sociale ». Tout repose donc sur la notion de « réforme ».

L’article 11 de la Constitution prévoit qu’un RIP peut être organisé en vue de l’adoption d’une proposition de loi portant réforme de la politique économique, sociale et environnementale de la Nation. Si, à l’évidence, une disposition portant sur l’âge légal de départ à la retraite porte bien sur une politique sociale de la Nation, la proposition de loi constitue-t-elle une « réforme » ?

Pour répondre à cette question, le Conseil constitutionnel, comme l’y invite la loi organique relative au RIP, se place à la date de l’enregistrement de la saisine, soit, en l’occurrence, avant la promulgation de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale portant réforme des retraites. Il ne peut alors que constater qu’une disposition qui fixe à 62 ans l’âge légal de départ à la retraite ne modifie pas l’état du droit existant. Certes, la nouveauté du texte réside dans la fixation d’un plafond (« ne peut être fixé au-delà de 62 ans »). Mais, dans la mesure où le législateur peut toujours modifier, compléter ou abroger des dispositions législatives antérieures, qu’elles aient été adoptées par voie de référendaire ou par voie parlementaire, ce plafond n’est qu’en apparence contraignant et ne saurait lier le législateur futur. Juridiquement, le raisonnement est imparable. Politiquement, il a quelque chose d’insatisfaisant au regard de la portée symbolique qu’aurait revêtue la loi référendaire.

Si le texte de la proposition de loi est bien prescriptif, et si de ce point de vue il présente un caractère normatif, il n’empêche que, pour le Conseil, il ne produit pas d’effets de droit en ce qu’il ne change, ni ne fige, l’état du droit. Le Conseil constitutionnel constate en quelque sorte que la proposition de loi n’est que la réitération du droit ; or réitérer n’est pas réformer.

La décision était-elle prévisible ?

Prévisible oui, évidente non. On pouvait en effet s’attendre autant à cette décision qu’à la décision inverse.

Certes, il y a des précédents ; mais ils ne permettaient pas de prédire avec certitude le sens de la décision du 14 avril 2023.

Dans cette décision, le Conseil constitutionnel reprend le raisonnement de la décision n°2022-3 RIP du 25 octobre 2022, Proposition de loi portant création d’une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises, par laquelle il a jugé que la proposition de loi à soumettre à référendum a « pour seul effet d’abonder le budget de l’État par l’instauration (…) d’une mesure qui se borne à augmenter le niveau de l’imposition existante des bénéfices de certaines sociétés » et qu’à ce titre, elle ne porte donc pas sur une réforme relative à la politique économique de la nation, au sens de l’article 11 de la Constitution.

La portée de cette précédente décision n’est pas aisée à déterminer : serait-ce le caractère fiscal de la disposition ou l’ampleur de la mesure ou encore l’absence de création d’une imposition nouvelle qui justifie que la proposition n’entre pas dans le champ de l’article 11 de la Constitution ?

Comme trop souvent, le sens de la décision est toutefois éclairé par son commentaire « institutionnel ». Il y est précisé qu’une proposition de loi ayant un objet exclusivement fiscal pourrait relever du champ de l’article 11 de la Constitution, mais qu’en l’espèce la proposition de loi n’avait aucun effet sur les objectifs traditionnels de la politique économique et qu’elle n’emportait pas une modification suffisamment importante de la structure de la fiscalité. En ce sens, elle ne pouvait être considérée comme une « réforme relative à la politique économique » de la Nation.

La motivation de la décision n°2023-4 RIP du 14 avril dernier est substantiellement différente et, en ce sens, la décision n’était pas prévisible. Il y apparaît plus clairement que la proposition de loi présentée dans le cadre d’un RIP doit modifier l’état du droit à la date où elle est soumise au Conseil constitutionnel et ce en dépit du fait que cet état du droit a précisément vocation à changer à brève échéance. Vouloir s’opposer à une réforme n’est pas réformer.

Ainsi, le Conseil constitutionnel ajoute une limite au RIP, dont la procédure est déjà très encadrée par la Constitution et la loi organique : n’est pas recevable la proposition de loi qui aurait pour effet de maintenir le droit existant dans le seul but de s’opposer à la mise en œuvre d’une réforme votée par le Parlement. Sous cet angle, le RIP ne saurait être considéré comme une sorte de voie de recours ou de contestation d’une réforme législative à des fins de statu quo.

La nouvelle demande de Référendum d’initiative Partagée (RIP), déposée par les parlementaires de gauche sur laquelle statuera le Conseil constitutionnel le 3 mai, a-t-elle plus de chances d’aboutir ?

Cette seconde proposition de loi déposée dans le cadre de la procédure du RIP présente deux différences majeures par rapport à la première.

Son intitulé tout d’abord. Là où la première, affirmait, la seconde interdit. Cette différence rédactionnelle ne semble pas de nature à affecter le sens de la décision du Conseil constitutionnel. Il pourra toujours y opposer l’absence de modification de l’état du droit existant et rappeler que ce que la loi – même référendaire – fait, une autre loi – y compris parlementaire – peut le défaire.

Son contenu ensuite. Elle se compose de deux articles : le premier interdit que l’âge légal de départ à la retraite soit supérieur à 62 ans, le second prévoit des mesures de financement du système des retraites en augmentant le taux d’assujettissement des revenus du capital. Un premier constat peut être fait : l’article 1 er n’est pas plus « réformateur » que ne l’était l’article unique de la précédente demande de RIP, dès lors que le Conseil apprécie cette condition à la date de l’enregistrement de sa saisine.

Quant à la seconde disposition, il convient de revenir à la décision n°2022-3 RIP-3 du 25 octobre 2022, ou plus précisément à son commentaire. On y lit qu’une mesure fiscale peut constituer une réforme au sens de l’article 11 de la Constitution, à condition que son impact sur le budget de l’État et sur la structure de la fiscalité soit considéré, par le Conseil, comme étant suffisamment important.

L’article 2 de la proposition de loi dont est aujourd’hui saisi le Conseil constitutionnel vise à augmenter la part de la contribution des revenus du capital affectée au financement des retraites. Il prévoit d’assujettir les plus-values sur les titres, rachats et dividendes à des contributions d’un montant similaire à celui des cotisations salariales sur les retraites, ainsi que son affectation directe au système des retraites. Le Conseil constitutionnel devra donc déterminer si l’augmentation de cette part constitue, à la date de sa saisine, une modification suffisamment substantielle et structurante du régime de retraite actuel. Difficile de prédire ce que jugera le Conseil, car il pourrait aussi bien estimer que cette mesure ne réforme pas en profondeur notre système de retraite, qui reste un régime par répartition, ou, au contraire, qu’elle constitue une réforme des principes de son financement, comme l’y invite l’exposé des motifs de la proposition de loi.

Une autre question se pose : quand bien même le Conseil admettrait que l’évolution du financement des retraites constitue une modification suffisamment substantielle et structurante, cette modification suffit-elle pour donner à la proposition de loi, dans son ensemble, le caractère de « réforme » de la politique sociale de la Nation ? Les dispositions d’une proposition de loi référendaire ne sont pas séparables : le texte est à prendre ou à laisser, comme en témoigne la décision n°2021-2 RIP du 6 août 2021 dans laquelle la contrariété à la Constitution d’une des dispositions de la proposition de loi entraîne l’inconstitutionnalité de l’ensemble de la proposition. Dans ces conditions, au regard des précédents et en particulier de la décision du 14 avril 2023, les chances de succès de cette nouvelle demande de RIP sont assez faibles.

[vcex_button url= »https://www.leclubdesjuristes.com/newsletter/ » title= »Abonnement à la newsletter » style= »flat » align= »center » color= »black » size= »medium » target= » rel= »none »]En savoir plus…[/vcex_button]