Par Nicolas Damas, Maître de Conférences à l’Université de Lorraine et avocat

La loi n°2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique contient en son article 73 de nouvelles dispositions visant à faciliter l’expulsion de squatteurs lorsqu’ils occupent le domicile d’autrui. Le dispositif a été précisé par une circulaire d’application du 22 janvier 2021.

De quels recours un propriétaire dispose-t-il à l’encontre de squatteurs ?

La notion de squatteur est plus journalistique que juridique. En droit, il faut se référer au concept d’occupant sans droit ni titre de l’immeuble d’autrui, qui est plus large et recouvre plusieurs situations distinctes : il peut s’agir tout d’abord d’un ex-locataire, dont le bail a expiré (à la suite d’un congé) ou a été résilié par une décision de justice, et qui se maintient pourtant indûment dans les lieux. Il peut ensuite s’agir de personnes qui se sont introduites dans les lieux sans jamais avoir eu de titre légitime d’occupation. Ce sont ces dernières qui sont généralement désignées sous le terme de « squatteurs ». Mais là encore il faut opérer une distinction, car la manière avec laquelle s’est réalisée l’installation dans les lieux joue un rôle important : les textes régissant l’expulsion d’occupants sans droit ni titre sanctionnent en effet plus sévèrement ceux qui se sont introduits dans « le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ». Ce sont ces situations que nous allons examiner.

Le propriétaire d’un logement ainsi « squatté » dispose de deux niveaux d’action.

Sur le plan judiciaire, la procédure d’expulsion a été aménagée et certains délais ne profiteront pas au « squatteur ». C’est ainsi que le délai de deux mois suivant la délivrance du commandement d’avoir à quitter les lieux ne s’applique pas (Art. L. 412-1 Code des procédures civiles d’exécution), et le bénéfice du sursis hivernal est refusé, automatiquement lorsque l’occupant s’est introduit par voie de fait dans le domicile d’autrui, et selon l’appréciation du juge (qui peut aussi réduire la durée de ce sursis) lorsque l’occupant s’est introduit par voie de fait dans tout autre lieu que le domicile (art. L. 412-6 CPCE).

Sur le plan administratif, l’article 38 de la loi du 5 mars 2007 instaurant le droit au logement opposable (DALO), permet au propriétaire (ou au locataire) du logement squatté de demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux. Lorsque cette mise en demeure n’est pas suivie d’effet, le préfet doit procéder à l’évacuation forcée du logement. Cette procédure administrative est plus rapide que la voie judiciaire, mais ses modalités de mise en œuvre sont strictes et des affaires récemment médiatisées (notamment l’occupation de la résidence de retraités à Théoule sur Mer et à Toulouse) ont mis sur le devant de la scène la possible difficulté, pour le propriétaire, de se prévaloir du texte. Le Parlement s’est très rapidement saisi de la question.

Quels sont les apports de la loi du 7 décembre 2020 ?

Le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique n’évoquait à l’origine nullement cette question, mais un amendement a été déposé en commission devant l’Assemblée Nationale, créant un article 73 qui modifie l’article 38 de la loi DALO du 5 mars 2007. Trois apports principaux sont à noter. D’une part, le champ d’application du texte est élargi en visant le domicile d’autrui, « qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale ». Dès lors, l’introduction de « squatteurs » dans une résidence secondaire pourra faire l’objet d’une évacuation administrative. D’autre part, les modalités d’intervention du préfet sont plus contraignantes, dans la mesure où celui-ci devra mettre en demeure l’occupant dans les 48 heures de la demande formulée par la personne dont le domicile est occupé (ou son représentant), et l’éventuel refus de mise en demeure ne pourra être motivé que par l’existence d’un motif impérieux d’intérêt général. Enfin, si la mise en demeure de quitter les lieux n’a pas été suivie d’effet dans le délai fixé, le préfet devra procéder « sans délai » à l’évacuation forcée du logement.

La loi aggravait également, en son article 74, les peines encourues (selon l’article 226-4 c. pénal) par le « squatteur » en portant la durée d’emprisonnement à 3 ans (au lieu d’un) et l’amende à 45 000 € (au lieu de 15 000 €), mais dans sa décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020, le Conseil constitutionnel a déclaré cet article 74 contraire à la Constitution, pour une raison de forme (cavalier législatif). Depuis, une proposition de loi a été déposée au Sénat, qui reprend cet alourdissement des sanctions. Il est à noter que les peines seraient ainsi identiques, pour le « squatteur » et pour le propriétaire qui entreprendrait de « l’évincer » sans recourir aux seuls moyens autorisés par la loi.

Les incertitudes sont-elles levées ?

Le propriétaire du logement squatté dispose dorénavant de moyens d’action plus importants. Sur deux points toutefois, les difficultés ne sont qu’en partie résolues par la loi.

D’une part, le recours au préfet est toujours strictement restreint par la nécessité, notamment, de déposer une plainte, et de faire constater l’occupation illicite par un officier de police judiciaire. Or, cette dernière condition est assez délicate dans la mesure où les OPJ peuvent être réticents à intervenir au-delà d’un certain délai d’occupation (c’est à cet égard qu’un délai de 48h est souvent évoqué). La circulaire du 21 janvier 2021 précise toutefois que l’infraction de maintien dans le domicile d’autrui est une infraction continue, ce qui permet d’agir dans le cadre d’une enquête de flagrance.

D’autre part, le maintien du terme « domicile » dans l’article 38 de la loi DALO peut être problématique selon qu’il est interprété en référence à l’article 102 du code civil (lieu de son « principal établissement », ce qui paraît toutefois peu compatible avec la qualification de résidence secondaire), ou en référence à l’article 226-4 du code pénal (qui, selon la jurisprudence, vise de manière plus générale la demeure d’autrui, qu’elle soit permanente ou temporaire). La circulaire renvoie à la jurisprudence d’application de l’article 226-4 du code pénal, à savoir « le lieu où une personne, qu’elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux » (Crim. 22 janvier 1997, n°95-81.186). C’est une position bienvenue, mais la circulaire précise également que le logement doit tout de même comporter des éléments de mobilier nécessaires à l’habitation. Il faut en déduire (et la Cour de cassation va dans ce sens) qu’un logement vide ne saurait bénéficier de cette protection (par exemple, un logement destiné à être loué, et resté vacant entre locataires successifs).

Il est à noter que plusieurs propositions de loi (n° 3333, 3368 et 3415) visant à faciliter l’expulsion de squatteurs ont en parallèle été déposées à l’Assemblée Nationale ces derniers mois. Elles poursuivent peu ou prou le même objectif que le projet de loi, mais en facilitant encore plus les mesures d’expulsion. L’histoire n’est peut-être pas terminée…