Par Bernard Gauriau, Professeur à l’université d’Angers

Le 9 avril 2021, par référendum, les salariés de l’entrepôt AMAZON situé à Bessemer, dans la banlieue de Birmingham (Alabama), ont rejeté le projet de création d’un syndicat RWDSU (syndicat de la distribution, le Retail,Wholesale and Department Store Union) par 1110 voix « contre » et 463 voix « pour ». Un recours a été formé auprès de l’Agence fédérale chargée du contrôle des opérations (National Labor Relations Board -NLRB– : agence nationale de gestion des relations professionnelles), qui met en cause l’attitude de la direction de l’entreprise à qui l’on reproche d’avoir (ab)usé d’un lobbying pour tuer dans l’œuf cette initiative et truqué l’élection. Cet échec syndical au sein d’une entreprise phare du commerce en ligne révèle toute l’ambivalence du syndicalisme made in US. Il s’inscrit dans un mouvement de renouveau syndical né en 2012, le « fight for fifteen » (lutte pour 15 $ de l’heure) dans le secteur de la restauration rapide et de la grande distribution. C’est une « nouvelle étape symbolique » selon le président du RWDSU [1].

Pourriez-vous en quelques mots décrire le fonctionnement du syndicalisme aux Etats-Unis ?

Le texte fondateur est le National Labor Relations Act (NLRA) adopté pendant le New Deal, en 1935 qui consacre la liberté syndicale et confère un statut aux syndicats. Il a toutefois été freiné par la loi Taft-Hartleyen 1947 qui a limité les prérogatives syndicales et surtout autorisé les Etats à adopter une loi interdisant le monopole syndical (Right-to work laws).  Un peu moins d’une trentaine d’Etat ont adopté cette loi à ce jour. Nul n’ignore en effet qu’aux Etats-Unis, un millefeuille de textes est applicable, soit au niveau fédéral, soit au niveau des Etats, sans compter l’apport des juges. Certaines décisions de la Cour suprême ont de facto limité le droit à la syndicalisation. Les batailles idéologiques ne sont pas absentes du débat [2], tandis que les USA n’ont pas ratifié les conventions n°87 (liberté syndicale) et n°98 (négociation collective) de l’OIT.

De façon plus générale, le taux de syndicalisation a baissé de façon sensible aux USA, pour être passé de 28% dans les années 50 à environ 11,7 % en 2017, tandis qu’un écart important sépare le secteur privé (7%) du secteur public (37%) ainsi que les Etats entre eux.

Enfin, les revendications classiques (conditions de travail, salaire minimum) se sont rapprochées des luttes pour les droits civiques (une majorité d’Afro-Américains travaillent à Bessemer). Les syndicats, perçus traditionnellement comme des prestataires de service au profit de leurs adhérents, s’orientent peu à peu vers un syndicalisme social (social unionism) voire un syndicalisme de communautés (community unionism), singulièrement dans les Workers’ centers qui intègrent principalement des femmes et des travailleurs immigrés « latinos » et asiatiques, exclus du champ de la législation du travail américaine et non pris en charge par les syndicats qui ont par ailleurs pignon sur rue (AFL-CIO : American Federation of Labour-Congress of Industrial Organisations).

Quelle est la procédure à suivre pour qu’un syndicat puisse s’implanter dans une entreprise ?

Cette procédure exige au préalable que 30 % des salariés d’une unité de négociation manifestent par une pétition auprès du NLRB la volonté d’être représentés par un syndicat. Après enquête, si le seuil est atteint, le NLRB contrôle la tenue de l’élection à bulletins secrets. Le syndicat est accrédité s’il recueille la majorité absolue de suffrages exprimés. Il est alors habilité à négocier un accord collectif avec l’employeur.

L’échec syndical au sein d’Amazon rappelle d’autres échecs, surtout dans les Etats du Sud, à l’instar du syndicat des travailleurs de l’automobile (CWA), en 2014 et 2017, au sein d’une usine Wolkswagen dans le Tennessee et d’une usine Nissan dans le Mississipi, malgré la neutralité affichée par les directions d’entreprise mais en raison de l’hostilité du public et des élus de l’Etat. Cet échec ne saurait toutefois occulter de vrais succès obtenus par ailleurs dans le secteur de la technologie ou au sein des GAFA également.

Quelle est la stratégie patronale face à une tentative d’implantation syndicale ?

La situation vécue en Alabama est loin d’être unique. Bon nombre de directions d’entreprise font appel à des cabinets de consultants spécialisés dans ce que l’on pourrait nommer (pour employer un terme juridique français) l’entrave au syndicalisme, afin de s’opposer à une campagne d’« organizing » (stratégie générale de revitalisation syndicale par une politique d’implantation et ensuite de négociation et gestion des conventions collectives ultérieurement négociées). Ces professionnels qualifiés d’« union busters » recourent à une pratique éprouvée : l’« union busting » (i.e. casse syndicale). Ils mettent en place de véritables campagnes antisyndicales, fort coûteuses. Celles-ci visent essentiellement à former les « supervisors » en interne et s’assurer de leur loyauté contre l’implantation syndicale afin que leur autorité s’exerce dans la bonne direction.

Pour autant, l’échec en question cache de multiples causes. La révélation par la presse des conditions de travail réelles et pénibles (cadences, « flicage ») a été contrecarrée par une argumentation patronale qui a su faire mouche : outre la disqualification systématique des syndicats, la direction a fait état de données objectives : un salaire minimum de 15 $ de l’heure bien supérieur au salaire moyen par ailleurs applicable, la présence d’avantages sociaux (santé) quand beaucoup d’américains en sont tout simplement dépourvus. A quoi l’on peut ajouter quelques erreurs de la part du syndicat : un manque criant de soutien local, (malgré l’intervention de Black Lives Matter), car la communauté noire dans la ville est demeurée silencieuse, de même que les églises ou les pasteurs.

La Covid-19 n’a guère facilité le porte-à-porte indispensable ou les rassemblements extérieurs à l’entreprise qui permettent aux syndicats sinon de convaincre, du moins d’entrer en contact avec de possibles futurs adhérents.

 

[1] V. D. Kesselman et C.Sauviat, Les enjeux de la revitalisation syndicale face aux transformations de l’emploi et aux nouveaux mouvements sociaux, Chronique internationale de l’IRES, n°160, décembre 2017 et D. Kesselman, Travail et salariat aux Etats-Unis : quels droits, quelles perspectives ? Revue française d’études américaines, 2007/1, n°111, pp.6-26 ; E. Julliard, Les syndicats américains face aux stratégies managériales d’entrave du syndicalisme, Agone, 2013/1, n°50, pp.89-114.

 

[2] Liberté syndicale vs. la liberté d’expression de l’employeur et sa liberté d’entreprendre. Le courant des Law and economics né dans les années 70.V. aussi T. Amossé, J.-M. Denis, Discrimination syndicale et formes d’anti-syndicalisme dans le monde, Travail et Emploi, 2016/2, n°146, pp.5-16

 

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