Les questions posées à la suite de l’incendie de Notre-Dame de Paris sont d’abord d’ordre architectural, patrimonial, culturel, religieux, financier mais elles rejaillissent sur le terrain juridique comme en témoigne l’étude d’impact réalisée à l’occasion du dépôt à l’Assemblée nationale le 24 avril 2019 du projet de loi n° 1881 pour la restauration et la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet.
Certaines de ces questions tiennent à la propriété des créations intellectuelles et des données numériques susceptibles d’être utilisées.

Décryptage par Jean-Pierre Clavier, professeur de droit privé à l’Université de Nantes, directeur du Master 2 « Droit de la propriété intellectuelle »

« L’accomplissement d’un travail de création qui, tout en les respectant, s’évade des contraintes techniques, est susceptible de déclencher l’application du droit d’auteur sur l’apport précis de l’architecte »

Les architectes sont-ils titulaires d’un droit d’auteur sur leurs réalisations ?

L’incendie de Notre-Dame de Paris tout juste circonscrit, le Président de la République annonça à une population consumée de tristesse la reconstruction d’une cathédrale qui serait « plus belle encore », ouvrant ainsi un nouveau grand débat national. Faut-il reconstruire à l’identique, utiliser les techniques d’autrefois et promouvoir à cette occasion les métiers des ouvriers menuisiers-charpentiers ou préserver la cathédrale de nouvelles offenses en adoptant d’autres techniques, d’autres matériaux ? Ces questions ne relèvent pas du droit de la propriété intellectuelle sauf, peut-être, s’il est décidé de faire de la « nouvelle » cathédrale un témoignage de notre 21e siècle en redessinant sa charpente, son toit… L’architecte pourrait détenir alors des droits d’auteur sur ses réalisations.

Il faut cependant distinguer selon que ce professionnel manie les lois de la physique ou laisse libre cours à son esprit créatif. L’architecte assume d’abord une mission qui est de nature technique ; en ce sens, le bâtiment qu’il conçoit, voire qu’il restaure, doit tenir bon. Lui, dont le concours serait requis en vue de consolider la structure affaiblie par l’incendie, fournirait un travail certes fort précieux pour la reconstruction de l’édifice mais non éligible à la protection par le droit d’auteur. Il en irait de même pour les ingénieurs, charpentiers, verriers, peintres, sculpteurs, etc. chargés de restaurer ou même de reconstruire fidèlement les différents éléments ornant la cathédrale.

En revanche, l’accomplissement d’un travail de création qui, tout en les respectant, s’évade des contraintes techniques, est susceptible de déclencher l’application du droit d’auteur sur l’apport précis de l’architecte. Il conviendra pour cela de s’assurer que cette création est originale au sens juridique du terme (cela signifie que la création manifeste la sensibilité de son auteur, témoigne de sa personnalité selon les termes de la jurisprudence). S’il venait à l’esprit des décideurs d’inviter à repenser certains aspects de l’édifice, les choix retenus pourraient alors être jugés créatifs au sens du droit d’auteur et par conséquent protégés.

Si la reconstruction de la cathédrale devait impliquer des créations architecturales ou d’une autre nature, quelles seraient les conséquences ?

Une protection par le droit d’auteur des éléments nouveaux ferait naître une série de prérogatives exclusives au profit des créateurs (architectes, verriers, sculpteurs, peintres…) aux termes de l’article L. 122-1 du Code de la propriété intellectuelle ; ainsi, les reproductions comme l’édition de cartes postales, la diffusion publique d’un film ou d’une photo représentant les œuvres nécessiteraient une autorisation des titulaires des droits (sauf dans certaines hypothèses définies par le Code de la propriété intellectuelle), autorisation susceptible d’être conditionnée à un paiement. Ce droit de nature patrimoniale dure 70 ans après la mort de l’auteur et peut être cédé.

L’établissement public qui se verra confier par le législateur la mise en œuvre de la restauration de la cathédrale ne manquera pas d’introduire dans les contrats conclus avec les différents acteurs sélectionnés des dispositions relatives à la cession des droits de propriété intellectuelle à son profit. Serait ainsi garanti un exercice de ces droits conforme à la mission d’intérêt général confiée à cet établissement public.

Des cartographies 3D de la cathédrale avaient été réalisées avant l’incendie ; y a-t-il un risque à exploiter ces données numériques pour la reconstruction ?

Au lendemain de l’incendie, on apprit que des cartographies 3D de la cathédrale avaient été effectuées grâce à des appareils susceptibles de la reproduire d’une manière extrêmement fidèle à des fins scientifiques (pour une meilleure compréhension des techniques de construction employées au Moyen-Âge) ou à des fins ludiques (pour inclure la cathédrale dans des jeux vidéos). De toute évidence, ces représentations numériques pourraient être d’une grande utilité lors de la reconstruction ; sont-elles librement exploitables ?

Rappelons au préalable que la numérisation d’un bien public par des entreprises privées qui stockent les données pour les exploiter sous une forme ou une autre est loin d’être nouvelle (par ex. le programme Google books qui a pour objet la numérisation des livres des grandes bibliothèques publiques). Ce travail n’aboutit pas à une nouvelle œuvre au sens du droit d’auteur qui ferait naître des droits exclusifs opposables à tous ; en revanche la question de l’exploitation de ces données par l’entreprise et celle de leur accès par les tiers doivent être réglées contractuellement avec le propriétaire du bien numérisé.

Par conséquent, si l’on s’en tient à des observations nécessairement générales, il faut considérer que le travail consistant à reproduire numériquement la cathédrale n’est pas de ceux qui pourraient conduire à protéger cette somme de données par le droit d’auteur. Pour autant, ce « recueil de données » peut ne pas être librement exploitable, soit parce que les données en question ne sont pas ouvertes aux tiers par l’entreprise qui les a captées et traitées au motif qu’elles sont le produit d’un investissement financier aboutissant à un avantage concurrentiel, soit, si elles sont accessibles, parce que le droit des bases de données est applicable. Dans cette dernière hypothèse relevant des articles L. 341-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, leur titulaire peut s’opposer à l’extraction et à la réutilisation des données.

Une telle solution pourrait surprendre si la captation des données s’est faite librement sans que, en retour, le propriétaire du bâtiment ne dispose contractuellement d’un droit d’accès aux données collectées.

Pour aller plus loin :

Par Jean-Pierre Clavier.