Par Véronique Magnier – Professeur à l’Université Paris-Saclay
Début octobre, le gouvernement a déposé auprès de l’AMF un projet d’offre publique d’achat simplifiée, proposant de racheter au prix de 12 euros par action les 16% du capital social d’EDF qu’il ne détient pas. Si cette procédure de rachat aboutit, EDF sortira de la Bourse. Le gouvernement espère un retrait de la cote d’ici la fin de l’année. Le succès de l’opération reste pour autant conditionné à la décision de l’AMF et à la tournure que prendra la résistance de certains actionnaires minoritaires.

Quelles étapes va suivre cette procédure de retrait de la cote ?

Pour faire face à la crise énergétique, l’Etat n’a jamais caché ses intentions : le seul moyen d’aider les consommateurs, c’est le rachat d’EDF à 100% ! Mais dans cette course aux actions, il a perdu du temps. Au point que dans son projet d’offre d’acquisition des titres d’EDF déposé le 4 octobre sur le bureau de l’AMF, il se voit désormais contraint d’annoncer l’éventualité d’une nouvelle offre publique, non plus d’acquisition mais de retrait. Toute proportion gardée, c’est un peu comme si l’acquéreur d’un bien immobilier faisait une première offre d’achat (à un prix ferme) en annonçant haut et fort à son vendeur qu’il pourrait ultérieurement lui faire une seconde offre (à un prix sans doute plus élevé) pour le même bien.

Comment en est-on arrivé à cette situation inédite si ce n’est absurde ?

C’est que la chance a tourné. Au début de l’été, lorsque l’Etat a annoncé vouloir racheter l’ensemble des titres d’EDF, il avait encore tous les atouts en main :  détenteur de presque 84% du capital (et des droits de vote), il suffisait qu’il lance une offre publique d’achat simplifiée (autorisée à partir de la détention de 50% du capital) pour acquérir 6 % des titres et atteindre ainsi le seuil fatidique des 90% de détention du capital. On sait qu’une fois atteint ce seuil et si l’offre est assortie d’un retrait obligatoire, la loi permet à l’initiateur de l’offre de se voir transférer les 10% restant moyennant indemnisation des actionnaires encore en place. Unique actionnaire d’EDF, l’Etat aurait alors atteint son objectif : radier purement et simplement EDF de la cote.

Avec le temps, la position de l’Etat s’est effritée : à une première plainte pour « spoliation » portée par les actionnaires salariés d’EDF (voir Article sur notre Blog) s’ensuivit celle d’autres minoritaires aujourd’hui réunis par l’ADAM, la tant redoutée association de défense des actionnaires minoritaires, familière des tribunaux et des batailles judiciaires. Désormais concentré sur le prix de l’offre, un bras de fer s’est engagé entre l’Etat et les minoritaires qui fait planer une incertitude quant à l’issue de la première offre.

Il reviendra à l’AMF de dire si le prix de 12 euros par action annoncé dans l’offre d’acquisition est conforme à la loi et au règlement. Même dans une telle hypothèse, les minoritaires pourraient encore décider de ne pas apporter leurs titres à l’offre. Restera alors à l’Etat une dernière option pour atteindre son objectif : racheter en bourse 6% des titres en dehors de toute offre publique puis, une fois atteint le seuil des 90%, lancer une nouvelle offre publique, de retrait cette fois, suivie elle aussi d’un retrait obligatoire.

Quelle serait la suite logique si la première offre d’achat déposée par l’Etat échoue ?

L’Etat connait les lois du marché : il sait bien que, si la première offre échoue (parce que trop peu d’actionnaires accepteraient de vendre au prix de 12 euros par action proposé), il devra y mettre le prix pour que la seconde réussisse.

Or une hausse du prix de l’action entre les deux offres serait doublement problématique. D’abord, parce qu’elle augmenterait la note de l’opération et ce quand bien même l’AMF validerait le prix de l’offre initiale. Ensuite, parce que, comme tout initiateur d’offre, l’Etat doit respecter l’« égalité de traitement et d’information des détenteurs des titres des personnes concernées par l’offre, de transparence et d’intégrité du marché et de loyauté dans les transactions et la compétition » (l’article 231-3 RGAMF). Les quelques actionnaires qui auraient apporté leurs titres lors de la première offre, mais en nombre insuffisant pour éviter une seconde offre, seraient alors en droit d’invoquer une rupture d’égalité entre actionnaires, le prix de l’action ayant augmenté entre les deux offres.

En annonçant de manière anticipée cette seconde offre, l’Etat se prémunit donc contre toute critique d’inégalité de traitement. Mais cela l’oblige à abattre ses cartes avant même qu’il ait pu sortir son premier joker ! Le retrait de la cote d’EDF « quoi qu’il en coûte » risque in fine de peser lourdement sur le contribuable, également consommateur.

Juridiquement, l’Etat peut-il contraindre les actionnaires d’EDF à céder leurs parts dans le capital social d’EDF ?

Oui dans le cadre de la procédure de retrait obligatoire et contre indemnisation. En effet, lors du dépôt d’un projet d’offre publique, son initiateur (ici l’Etat) a la possibilité de faire connaître à l’AMF son intention de demander la mise en œuvre du retrait obligatoire à l’issue de l’offre et en fonction de son résultat.  « Dans un délai de trois mois à l’issue de la clôture de l’offre [l’initiateur de l’offre] peut se voir transférer les titres non présentés par les actionnaires minoritaires dès lors qu’ils ne représentent pas plus de 10 % du capital et des droits de vote moyennant indemnisation de ces derniers » » (RG AMF Article 237-1). Dans le cas d’EDF, si l’Etat parvient à détenir 90% du capital et des droits de vote d’EDF, la procédure de retrait obligatoire sera enclenchée, qui permettra à l’Etat de radier les titres de la cote, une fois les actionnaires minoritaires indemnisés.

Quel est le rôle de l’AMF dans la procédure de « renationalisation » d’EDF et que va surveiller cette autorité ?

L’AMF a pour mission générale de veiller « à la protection de l’épargne investie dans les instruments financiers donnant lieu à une offre au public ou à une admission aux négociations sur un marché réglementé et dans tous autres placements offerts au public » (art. L. 621-1 CMF). Elle ne définit pas elle-même le prix de l’offre mais son visa est conditionné à « l’examen des conditions de l’offre » et à leur conformité à la loi et aux règlements. Notamment, elle veille à la protection des actionnaires minoritaires au terme d’exigences imposées par le droit européen des offres publiques (Directive 25/2004, art. 5 § 4) : toute offre doit être assortie d’un prix équitable et respecter l’égalité de traitement entre les actionnaires.

Concrètement l’examen des conditions de l’offre de l’Etat par l’AMF s’appuiera sur le rapport attendu de l’expert indépendant. Ensuite, l’AMF pourra demander à l’initiateur de modifier son projet d’offre si elle considère qu’il porte atteinte aux principes qui président à toute offre publique (art. 231-3 RG AMF).

La question cruciale est celle du préjudice que les actionnaires minoritaires disent avoir subi, qui ferait passer le prix de l’action de 12 à plus de 15 euros. La raison tient aux pertes subies du fait des mesures réglementaires plafonnant les prix de l’électricité dans le cadre de l’accord ARENH, accord négocié avec l’Union européenne, qui contraint EDF à vendre à prix réduit un certain volume d’énergie nucléaire aux opérateurs alternatifs. Le préjudice subi serait estimé à 8,34 milliards d’euros selon l’ADAM.

Dans l’attente de la réponse de l’AMF, cette argumentation appelle une brève réaction. A supposer qu’il soit prouvé, le préjudice subi le serait à titre principal par la société personne morale, EDF, celui des actionnaires d’EDF ne le serait que par ricochet. Si une indemnisation devait être versée, ce serait à la société elle-même et non aux actionnaires. Mais, n’est-il pas trop tard pour s’en soucier ? Car, pour paraphraser un certain roi de France et de Navarre, EDF c’est l’Etat !

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