Le service national universel pour tous les jeunes de  16 ans a été présenté lors du Conseil des ministres, le mercredi 27 juin dernier. Que contient ce projet ? Quelles peuvent être ses limites ?

Décryptage par Joël Andriantsimbazovina, professeur de droit à l’Université Toulouse 1 Capitole, Directeur de l’Ecole doctorale Droit et Science politique (Institut de Recherche en Droit Européen, International et Comparé – Centre d’Excellence Jean Monnet Europe – Capitole) et Doyen honoraire de la Faculté de Droit, de Sciences politique et de Gestion de La Rochelle.

« Le caractère obligatoire du service national universel peut se heurter avec l’interdiction du travail forcé ou obligatoire »

À quoi correspond le service national universel présenté par le gouvernement ?

Le service national universel correspond à un engagement de campagne du président de la République dans un discours prononcé le 18 mars 2017. Dans un souci de « refonder les liens armées-nation », le candidat Emmanuel Macron entendait instaurer « un service national de durée courte, obligatoire et universel ». Initialement prévu comme un service militaire universel permettant à chaque jeune français d’avoir « une expérience directe de la vie militaire », le service national universel présenté le 27 juin 2018 n’aura pas une forme militaire.

Il prévoit un service en deux phases : une phase obligatoire aux alentours de 16 ans d’une durée de un mois maximum tournée vers une occasion de vie collective et de vie en commun et de développement d’une culture d’engagement dans la vie en société. Une phase volontaire d’au moins trois mois liée au choix de chaque jeune de s’engager dans des domaines variés (défense et sécurité, accompagnement des personnes, préservation et protection de l’environnement, tutorat, etc.). Cette seconde phase pourrait se faire dans le cadre du service civique créé par la loi 2010-241 du 10 mars 2010.

Depuis la suspension de la conscription par la loi n°97-1019 du 28 octobre 1997, le code du service national prévoit déjà un service national universel. L’article L 111-1 dispose que « les citoyens concourent à la défense et à la cohésion de la Nation. Ce devoir s’exerce notamment par l’accomplissement du service national universel ».

L’article L 111-2 du code du service national dresse le contenu de ce service national universel : le recensement, la journée défense et citoyenneté, l’appel sous le drapeau, le service civique et les autres formes de volontariat.

Le futur service national universel y ajouterait la phase obligatoire de un mois qui touchera l’ensemble d’une classe d’âge aux alentours de 16 ans, environ 700.000 jeunes par an.

Les modalités d’organisation et de fonctionnement du nouveau service national universel feront l’objet d’une concertation avec les acteurs concernés en vue de sa mise en œuvre progressive à partir de 2019.

Quels problèmes pose-t-il quant aux libertés fondamentales ?

 La dimension volontaire du service national universel ne pose pas de difficultés au regard des libertés fondamentales dès lors qu’elle respecte la liberté individuelle et la liberté personnelle des jeunes concernées.

En revanche, dès lors qu’elle est dépourvue de caractère militaire, sa dimension obligatoire en pose sous l’angle des conventions internationales et sous l’angle de la constitution.

Sous l’angle des conventions internationales, le caractère obligatoire du service national universel peut se heurter avec l’interdiction du travail forcé ou obligatoire (article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme, article 8 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques). Seul le service militaire ou son substitut dans les pays qui acceptent l’objection de conscience ne sont pas assimilés à un travail forcé ou obligatoire (Commission EDH, 19 juill. 1968, W., X., Y. et Z c. Royaume-Uni, req. 3435/67 à 3438/67).

À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme interprète strictement l’interdiction du travail forcé puisqu’elle a condamné la Grèce pour violation de l’article 4§2 de la CEDH en raison de la sévérité de l’obligation faite à un officier de l’armée de verser à l’Etat une indemnité de démission en cas de départ de l’armée avant la fin de la période de service (Cour EDH, Chitos c. Grèce, 4 juin 2015, n°51637/12). Il n’est pas certain néanmoins que la phase obligatoire du service national universel soit contraire à l’interdiction du travail forcé ou obligatoire car l’article 4 §3 d) de la CEDH exclut de la prohibition du travail forcé ou obligatoire « tout travail ou service formant partie des obligations civiques normales ». Rentrent dans ces obligations entre autres l’obligation de servir dans les sapeurs-pompiers (Cour EDH, Karlheinz-Schmidt c/ Allemagne, 18 juill. 1994, n°13580/88), l’obligation pour les employeurs de prélever les impôts des salariés au profit de l’Etat (Comm. EDH, 29 nov. 1995, Borghini c. Italie, n°21568/93), l’obligation de siéger comme juré de cours d’assises (Cour EDH, Zarb Adami c. Malte, 20 juin 2006, n°17209/02). Dans l’exercice du contrôle de compatibilité d’un travail ou d’un service avec l’article 4 de la CEDH, la Cour vérifie si les éléments d’une obligation ne laissent pas apparaître un déséquilibre considérable entre et déraisonnable entre le but poursuivi et l’obligation assumée par les personnes concernées (Par ex. Cour EDH, 30 nov. 2004, Kovalova c.République Tchèque, n°57319/00). Dans la mesure où la phase obligatoire du service national universel s’applique à toute une classe d’âge pour une durée de 1 mois dans un but de transmission d’un certain nombres de valeurs et de formations aux jeunes concernés, il n’est pas impossible que la Cour la considère comme relevant des services civiques normaux.

Sous l’angle constitutionnel, l’assimilation du caractère obligatoire d’un service non militaire à un travail obligatoire est envisageable dès lors que la Constitution limite la disposition par le législateur d’une personne aux sujétions imposées par la défense nationale (article 34 de la Constitution). Le caractère civil de la phase obligatoire du service national universel peut poser des difficultés. Cela explique la prudence du gouvernement de prévoir une révision de la Constitution.

Le service national universel pourrait-il être retoqué par le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’Etat dans sa forme actuelle ? 

 Au vu des développements précédents concernant les conventions internationales et européennes d’un côté et la Constitution de l’autre côté, la compatibilité avec les conventions internationales et européennes et la conformité avec la Constitution du service national universel sont envisageables.

Par Joël Andriantsimbazovina