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Ouighours

Quelle réaction au travail forcé des Ouïghours en Chine ?

Par Laurent Gamet, Professeur à l’Université Paris XII, Doyen de la Faculté de droit, Avocat associé (Factorhy Avocats)

Alors que les autorités chinoises organisent le travail forcé des Ouïghours dans le Xinjiang, se pose la question de la réaction internationale. Aucun tribunal international n’a été institué pour en juger et nul ne se reconnaît un droit d’ingérence dans les affaires nationales de la République populaire de Chine. Cependant, l’initiative publique se conjugue avec l’initiative privée pour tenter, avec plus ou moins d’efficacité, de riposter aux exactions chinoises.

Les rapports internationaux dénoncent le travail forcé des Ouïghours par les autorités chinoises. C’est un nouvel archipel du goulag qui se donne à lire sous la plume des observateurs internationaux. Que faire, pour le dire comme Lénine ?

Quelle réaction publique ?

Un premier réflexe de se tourner du côté du droit international public. Sans doute, sans grande efficacité tant la Chine ne paraît guère soucieuse des conséquences de la violation de ses engagements internationaux (rappelons que, comme tous les États membres de l’Organisation Internationale du Travail, elle est interdite de recourir au travail forcé). Son exclusion de l’Organisation – possible en théorie – est tout bonnement impensable. Quant aux interpellations diplomatiques (« name and shame »), elle y paraît peu sensible. Au contraire même, de façon bravache et en dépit des engagements pris, les autorités chinoises se défendent d’une conception universelle des droits de l’homme.

De façon plus contraignante, suivant l’exemple des États-Unis, les États membres de l’Union européenne se sont accordés le 22 mars 2021 pour recourir, à l’encontre de dignitaires chinois, aux « sanctions ciblées » en cas de violation des droits de l’homme prévues par le règlement UE du 7 décembre 2020. Ces sanctions consistent en l’interdiction de pénétrer sur le territoire de l’Union européenne et le gel des avoirs détenus dans l’Union européenne. Les autorités chinoises ont répondu coup pour coup, bannissant notamment des parlementaires européens à la proue du combat en faveur des ouïghours.

Plus dissuasive pourrait être l’entrave au commerce international. Lorsque certains produits manufacturés sont le fruit d’une exploitation des travailleurs en violation des droits de l’Homme au travail, ne faut-il pas restreindre, si ce n’est interdire, l’importation de ces produits, de façon à ne pas transformer les consommateurs en receleurs de lointaines souffrances ? Le droit du commerce international permet de telles mesures. Les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni se sont engagés en ce sens. L’Union européenne pourrait faire de même. En septembre 2021, la présidente de la Commission, a déclaré, sans son discours annuel sur l’état de l’Union devant le Parlement européen : « Vingt-cinq millions de personnes dans le monde sont menacées de travail forcé ou y sont contraintes. Nous n’accepterons jamais qu’elles soient contraintes de fabriquer des produits pour que ces produits soient ensuite proposés à la vente ici en Europe […] Nous proposerons donc d’interdire sur notre marché les produits qui ont été fabriqués au moyen du travail forcé. Les droits de l’homme ne sont à vendre à aucun prix ».

Quelle efficacité des engagements RSE ?

Initiative publique, on l’a dit, mais aussi initiative privée : les entreprises multinationales ont assurément un rôle à jouer en complément des initiatives publiques ; elles y sont même le plus souvent tenues par leurs engagements en matière de RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises), qui prohibent le travail forcé (par leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs). Les multinationales de l’habillement ont d’ailleurs cessé toute relation avec leurs sous-traitants chinois qui se fournissaient en coton auprès d’approvisionneurs en provenance du Xinjiang recourant au travail forcé d’une main-d’œuvre ouïghoure.

Si l’on parle ici de soft law, cela ne signifie nullement que l’entreprise puisse impunément violer lesdits engagements. Le plus souvent, sont prévus des mécanismes de conciliation, de médiation et d’arbitrage en cas de violation alléguée des engagements pris. Surtout, les entreprises multinationales prendraient de considérables risques pour leur réputation à ne pas respecter les règles qu’elles se sont imposées, alors que cette réputation est un précieux actif. La pression exercée trouve d’ailleurs un relais sur les réseaux sociaux avec pour signe de ralliement le hashtag #freeUyghurs (« libérez les Ouïghours »). Des affiches sont aussi parfois collées sur les magasins des enseignes suspectes avec pour slogan : « Ici, on tue des Ouighour.e.s » et des appels au boycott fleurissent.

Également, la violation d’un engagement en matière de RSE pourrait constituer l’infraction de pratique commerciale trompeuse. S’inspirant d’une stratégie judiciaire qui avait fait mouche aux États-Unis (affaire Nike / Kasky), c’est sur la base de ce texte que des associations ont déposé une plainte en 2013 à l’encontre de Samsung, considérant que les engagements éthiques pris constituaient une publicité de nature à induire en erreur les consommateurs, alors que des violations de ces engagements étaient alléguées par ailleurs. S’agissant du travail forcé des Ouïghours, des plaintes ont été déposées en avril 2021 contre plusieurs multinationales de l’habillement, pour recel de crime de réduction en servitude aggravée, de crime de traite des êtres humains en bande organisée, de crime de génocide et de crime contre l’humanité.

Que faut-il attendre du devoir de vigilance ?

L’article L. 225-102-4 du Code de commerce issu de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 prévoit, par ailleurs, l’obligation d’établir et de mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance (vigilare : veiller, être éveillé). Il s’impose aux sociétés employant 5.000 salariés incluant ses filiales françaises directes ou indirectes, ou 10.000 salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger. Le plan de vigilance doit comporter « les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir la réalisation de risques d’atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle, ainsi que des activités de leurs sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale établie ». A l’évidence, la situation du travail forcé des Ouïghours en Chine est concernée par le devoir de vigilance.

L’on applaudit sur le plan des principes. Sur le plan opérationnel, cependant, la mise en œuvre est parfois loin de l’évidence. S’agissant du secteur de l’habillement, la difficulté est de s’assurer qu’aucun sous-traitant n’est établi ou ne s’approvisionne dans le Xinjiang, là où est issue 20 % de la production mondiale de coton. Il paraît extrêmement compliqué de tracer, tout au long de la chaîne de production d’habillement, l’ensemble des fournisseurs, que sont les producteurs de matières premières, filateurs, tisseurs et confectionneurs. Les entreprises se heurtent également à l’impossibilité de conduire des audits fiables en Chine, et plus encore au Xinjiang. L’alternative serait de ne plus rien sous-traiter en Chine et de refuser tout approvisionnement chinois. Mais est-ce réaliste, compte tenu du poids de la Chine dans la chaîne de valeurs ? Et comment vérifier l’absence de tout approvisionnement chinois tout le long de la production ?

La relocalisation de la confection et un approvisionnement ailleurs qu’en Chine ont un coût pour les entreprises donneuses d’ordre, alors que la localisation et l’approvisionnement en Chine sont des éléments clés de la stratégie menée par les grandes enseignes de l’habillement pour produire en grandes séries et à bas coûts des produits destinés aux marchés occidentaux. Cette stratégie est assurément ébranlée. Mais aussi, les autorités chinoises auront la même dent dure, à l’endroit de ces enseignes, qu’à l’égard des pouvoirs publics qui les morigènent. Les grandes enseignes européennes et américaines peuvent craindre que l’implantation de leurs magasins en Chine soit freinée si ce n’est stoppée, alors que la Chine apparaît pour beaucoup comme un important terrain d’expansion, un relais de croissance à la hauteur de la population chinoise.

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