Le 28 juin 2018, l’assemblée générale du Conseil d’Etat a adopté une étude, rendue publique le 11 juillet 2018, intitulée « Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? ». Ce volumineux rapport de près de 300 pages est le fruit des travaux menés depuis plusieurs mois au sein d’un groupe de travail, s’inscrivant dans le processus qui devrait conduire au dépôt d’un projet de loi relatif à la bioéthique à l’automne prochain.

Décryptage par Jean-René Binet, professeur à la Faculté de droit de l’Université Rennes 1.

« Les conditions d’accès à l’assistance médicale à la procréation sont destinées à conférer à l’enfant à naître une filiation crédible »

Dans quel contexte le Conseil d’État rend-il ces conclusions ?

Depuis la promulgation des premières lois de bioéthique, en juillet 1994, le législateur a pris l’habitude de prévoir une révision programmée. Cette méthode a ainsi conduit à une première révision opérée par la loi du 6 août 2004[1]. L’application de l’obligation de réexamen prévue dans cette loi[2] a ensuite conduit à sa révision par la loi du 7 juillet 2011[3] qui prévoit, à son tour, l’obligation d’un réexamen d’ensemble dans un délai de sept ans[4]. L’objectif de cette méthode vise à éviter que des innovations scientifiques demeurent inconnues d’une loi figée dans son contenu initial[5]. Chaque révision est alors l’occasion de vérifier l’adéquation de la loi à l’état des connaissances et des pratiques. Le Conseil d’Etat a alors été systématiquement invité à rédiger un rapport destiné au Premier Ministre visant à éclairer le Gouvernement sur les évolutions pouvant être envisagées et leurs conséquences sur l’ordonnancement juridique. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’étude ici présentée dont on peut souligner qu’elle envisage distinctement les questions posées par les évolutions scientifiques ou techniques et celles qui se posent indépendamment de ces évolutions. C’est dans le cadre de ces développements que sont traités les problèmes relatifs à l’assistance médicale à la procréation.

L’ouverture de la PMA pour toutes est-elle envisageable légalement ?

S’agissant de la question de l’extension de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules, le Conseil d’Etat commence par affirmer que rien, légalement, n’oblige à y procéder. La précision est importante car elle permet de reléguer aux discours militant ou politique les arguments fondés sur la discrimination dont seraient victimes les personnes se trouvant dans cette situation. Le Conseil d’Etat indique ensuite que rien n’interdit non plus au législateur de procéder à ces modifications : « les choix en la matière relèvent de l’appréciation souveraine du législateur »[6]. S’il choisit de maintenir le cadre actuel, il n’y aura pas de modifications importantes à apporter. En revanche, dans l’hypothèse où le législateur déciderait de faire évoluer la loi, le Conseil d’Etat souligne les conséquences qu’il conviendrait d’en tirer en matière de filiation. Telles qu’elles sont actuellement prévues par l’article L. 2141-2 du Code de la santé publique, les conditions d’accès à l’assistance médicale à la procréation sont destinées à conférer à l’enfant à naître une filiation crédible, vraisemblable. C’est la raison pour laquelle l’AMP n’est ouverte qu’aux couples formés d’un homme et d’une femme vivants et en âge de procréer. Quant à l’enfant ainsi conçu, sa filiation relève du titre VII du livre Ier du Code civil : la filiation charnelle. En l’absence de don de gamètes la filiation de l’enfant procède des règles du droit commun de la filiation[7], c’est-à-dire des présomptions de maternité de l’article 311-25 du Code civil et de paternité de l’article 312 ou de la reconnaissance de l’article 316. Les actions visant à l’établissement[8] ou à la contestation[9] judiciaires de la filiation sont ouvertes selon les conditions ordinaires. En cas de recours à un don de gamètes, l’établissement de la filiation procède, pour l’essentiel, de la même manière. Toutefois, les actions visant à la contestation du lien de filiation sont, en principe, irrecevables[10]. Ici, la technique juridique permet d’effacer le recours à la technique médicale. L’enfant peut se représenter comme ayant été conçu ainsi que le sont tous les enfants.

Quelle problématique juridique se poserait au regard de la filiation ?

L’ouverture de l’AMP à des couples de femmes ferait, inévitablement, voler en éclat ce paradigme, et les différents scénarios retenus par le Conseil d’Etat traduisent assez bien son embarras[11]. La première option consisterait à ne pas aménager la filiation de ces enfants : ils seraient, comme c’est actuellement le cas lorsque l’insémination a lieu à l’étranger, rattachés à leur mère par l’accouchement et adoptés par la conjointe de celle-ci. La deuxième option nécessiterait une réécriture complète du titre VII du livre Ier du Code civil pour y prévoir un double lien de filiation unisexué, et le Conseil d’État « attire l’attention sur le fait qu’elle conduirait à une remise en cause des principes fondateurs du droit de la filiation fixés par le titre VII du livre 1er du code civil ». La troisième option consisterait à créer un titre VII bis permettant d’envisager la filiation des enfants nés d’une insémination avec tiers donneur, que le couple soit de sexe différent ou de même sexe. Cette option, qui nécessiterait une déclaration commune anticipée devant le notaire, « pourrait être vécue comme un recul par les couples hétérosexuels infertiles, voire comme une discrimination au sein des couples hétérosexuels selon la nature de leur pathologie ». Pour des raisons différentes, ces trois options sont écartées par le Conseil d’Etat qui leur préfère une quatrième option. Elle consisterait à créer un « un mode d’établissement de la filiation ad hoc pour les seuls couples de femmes », fondé sur une déclaration commune anticipée. Si ce titre VII bis réservé aux couples de femmes reste à écrire, on comprend tout de même à la lecture de l’étude du Conseil d’Etat, qu’il ne s’agit pas de la meilleure option mais, tout au plus, de la moins mauvaise de celles qui résulteraient d’une extension de l’AMP. Pour conclure, il est permis de s’interroger sur la pertinence d’envisager un tel changement paradigmatique dans le cadre de la loi de bioéthique. Ne vaudrait-il pas mieux reporter cette question à une loi spécifiquement consacrée à la filiation ?

Par Jean-René Binet

[1] L. n° 2004-800, 6 août 2004, JO, 7 août, p. 14040.

[2] L. n° 2004-800, art. 40, II.

[3] L. n° 2011-814, JO 8 juill., p. 11826.

[4] L. n° 2011-814, art. 47, I.

[5] Vivant M., « Sciences et praxis juridique », D. 1993, chron., p. 109-113, spéc. p. 110.

[6] P. 56.

[7] Cass. 1re civ., 16 mars 2016 : Dr. famille 2016, comm. 104 note H. Fulchiron ; JCP G 2016, 432, note Binet J.-R. ; D. 2016, 977, note Viney G. ; AJ fam. 2016, 212, obs. Saulier ; RTD civ. 2016, obs. Hauser J.

[8] C. civ., art. 325 et s.

[9] C. civ., art. 332 et s.

[10] C. civ., art. 311-20.

[11] P. 56 et s.