Par Marie Malaurie-Vignal – Professeur à l’Université de Paris Saclay (Versailles-Saint-Quentin en Yvelines)
L’Assemblée nationale a adopté en première lecture, jeudi 30 mars, une proposition de loi visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux. Une première étape importante dans la régulation de ce secteur. Soumise à la procédure accélérée, cette proposition de loi fait suite à plusieurs mois de concertation avec les agences d’influenceurs, les géants de la tech (Meta, YouTube, TikTok, etc.) et les autorités publiques et privées (ministère de l’Economie et la DGCCRF, l’Autorité des marchés financiers, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité). Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, avait en effet présenté, vendredi 24 mars, de nouvelles mesures visant à réguler le secteur de « l’influence commerciale ». Des annonces qui n’ont pas manqué de faire réagir les influenceurs.

Quels sont les objectifs de cette proposition de loi ? Pourquoi est-il nécessaire de légiférer sur le sujet ?

La proposition de loi visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs est liée au développement considérable des activités des influenceurs dans tous les domaines, économiques, politiques ou même scientifiques. La croissance rapide de ce secteur a été la source de nombreuses dérives-promesses fallacieuses de rendement de placements financiers, marchandises non livrées ou défectueuses, promotion de produits dangereux pour la santé sans mise en garde, etc. Ces dérives sont d’autant plus inquiétantes que l’essentiel de l’audience des influenceurs est un public de mineurs et jeunes adultes. De nombreuses voix se sont élevées pour souligner l’impuissance du droit.

En réalité, l’activité des influenceurs n’était pas une zone de non-droit, mais le régime était éclaté avec un éparpillement des règles.

L’objectif de la proposition de loi est donc de poser des règles claires, en précisant les obligations essentielles et les interdits pesant sur les influenceurs.

Quelles sont les principales mesures de ce texte et quelles peuvent être leurs conséquences sur le secteur de l’influence ?

La proposition de loi donne en son article 1 une définition des influenceurs. Sont considérées comme des influenceurs les personnes (physiques ou morales) qui font la « promotion de biens, de services ou d’une cause quelconque en contrepartie d’un bénéfice économique ou d’un avantage en nature ». Le texte ne vise donc que les influenceurs qui reçoivent une contrepartie économique, par exemple sous forme de commissions, de cryptomonnaies ou de jetons non fongibles («  non-fungible tokens » ) ou sous forme d’avantages en nature.

La définition est très large car même si elle vise « l’activité de l’influence commerciale », elle inclut les influenceurs qui font la promotion d’une « cause quelconque » – ce qui semble viser l’influence politique.

Cependant, la définition est limitée aux influenceurs qui reçoivent une contrepartie d’un certain montant « dont la valeur est supérieure aux seuils fixés par décret ».

Le texte a pour objectif de soumettre les influenceurs aux mêmes règles publicitaires que les médias traditionnels. Pour autant, des interdits particuliers sont énoncés par le texte. Il est interdit à un influenceur de faire la promotion d’actes de médecine esthétique ou la promotion de certains services financiers, notamment ceux sur les placements ou les investissements à risque ou encore la promotion de « produits illicites et contrefaisants ». La publicité pour des cryptoactifs (jetons non fongibles) ne sera autorisée que sous réserve d’enregistrement auprès de l’autorité des marchés financiers (AMF). La promotion de jeux d’argent et de jeux vidéo est réglementée mais sans interdiction.

Pour autant, il existe bien d’autres interdits en matière de publicité (ex. : interdiction de la publicité sur le tabac et de ses composants. La liste est rappelée dans le Guide des bonnes pratiques publiées par le ministère de l’Économie (point 18).

Les sanctions prévues en cas de non-respect de ces interdits ou réglementations sont lourdes ; 2 ans de prison et 300 000 euros d’amende et même une peine d’interdiction, définitive ou provisoire, suivant les modalités prévues à l’article 131-27 du code pénal. Or, en principe, l’influenceur n’est généralement pas un vendeur. Il est un simple intermédiaire rémunéré. On peut se demander si une telle mesure d’interdiction ne constitue pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression.

Les obligations de transparence des influenceurs sont précisées dans l’art.2-C nouveau du texte n°1006. Le caractère promotionnel doit être « explicitement indiqué par une mention (…) sur l’image ou la vidéo durant l’intégralité de la promotion » ; doivent être communiquées des informations de nature sanitaire pour certains produits (boissons avec ajouts de sucres, de sel, etc.) ; pareillement, une mention visible doit apparaître en cas d’usage des filtres ou de retouches de photos ou de vidéos car l’usage de ces techniques destinées à modifier l’aspect final d’une image est de nature à induire en erreur le public.

L’influenceur est également tenu de mentionner l’identité du fournisseur, de s’assurer de la disponibilité du bien, de l’existence d’un certificat de conformité aux normes européennes et du fait qu’il ne s’agisse pas d’un produit contrefaisant (art.2 E nouveau). L’influenceur, éditeur de contenus, doit ainsi veiller à la licéité des contenus postés.

L’activité d’agent d’influenceur est présentée comme consistant, à titre onéreux, à représenter « (contrat de mandat) « ou mettre en relation » (courtage). Il est prévu que l’agent doit assurer « la défense des intérêts des personnes exerçant l’activité d’influence commerciale » et « éviter les conflits d’intérêt ».

Par ailleurs, le contrat unissant un influenceur à une agence ou un annonceur doit être passé par écrit, sous peine de nullité, et comporter un certain nombre de mentions détaillées à l’art. 2 bis nouveau.

Le texte oblige tout influenceur non établi dans un Etat de l’Union européenne à désigner un représentant légal, qui peut être l’agence d’influenceur

La proposition vise aussi à responsabiliser les plateformes. Conformément au Digital service Act, il est prévu que la plateforme doit mettre en place des mécanismes permettant de signaler des contenus illicites et le traitement des images de vidéos ou photos ou encore un traitement prioritaire des signalements effectués par des signaleurs de confiance, lesquels peuvent être des associations de défense des consommateurs et une obligation de retrait des contenus illicites. La DGCCRF participera à cette surveillance des réseaux en fournissant aux plateformes « la liste des sites internet faisant la promotion illicite de produits ou de services ».

Ces mesures sont-elles satisfaisantes ? Peuvent-elles permettre de réguler efficacement le secteur de l’influence ?

Ce texte a été critiqué par un certain nombre d’influenceurs à l’initiative de l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenus (Umicc) comme étant de nature à remettre en cause leurs modèles économiques. En arrière-fond, sont visées les libertés d’entreprise et de prestation de services protégées par le droit de l’Union européenne. Cet argument trouve sa limite dans l’intérêt général et la protection de la santé publique et des personnes. Ainsi, par exemple, la Conseil constitutionnel a-t-il énoncé, il y a plusieurs années, que le principe de protection de la santé publique primait sur la liberté d’entreprendre.

Certes, on regretta une définition maladroite, une application excessive du droit français à la matière contractuelle ou une pénalisation excessive.

Pour autant, ce texte est important et utile car il énonce un principe d’égalité de traitement entre la publicité sur les médias traditionnels et par l’influence « commerciale » ; il est destiné à protéger les consommateurs en luttant contre des dérives. A ce titre, il est utile que le texte prévoie l’interdiction de l’influence pour les actes de médecine esthétique et oblige l’influenceur non établi en Europe à désigner un représentant légal.

Ce texte n’apporte pas un cadre complet. Il doit évidemment s’articuler avec l’arsenal législatif actuel (ex. : droit des pratiques commerciales déloyales ou droit de la diffamation ou encore code du travail si l’influenceur a la qualité de mannequin, etc.) et il a vocation à être complété (ex : Proposition de loi n°758 visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants). Et surtout, il doit être mis en musique par les autorités de régulation publique et privée -la DGCCF ou encore l’ARPP vont y veiller- et par les acteurs du secteur – agences, influenceurs, annonceurs et plateformes.

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