Par Eudoxie Gallardo – Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université d’Aix-Marseille

La mort du jeune Nahel et les émeutes qui ont secoué la France ces derniers jours place à nouveau au centre du débat la question de la responsabilité des parents de ces enfants mineurs casseurs. Immédiatement, des propositions ont fusé çà et là pour responsabiliser les parents de ces enfants. Or, s’il ne fait pas de doute que les parents sont civilement responsables du fait de leur enfant mineur en application de l’article 1242 du Code civil, la question de leur responsabilité pénale se heurte à nos grands principes du droit pénal.

Peut-on engager la responsabilité pénale des parents du fait de leur enfant mineur ?

Alors que le droit civil connaît un principe de responsabilité des parents du fait de leurs enfants mineurs habitant avec eux (A. Gouttenoire et Ph. Bonfils, Droit des mineurs, n°1991, p. 1116, coll. Précis, éd. Dalloz, 1375p, mai 2021) le droit pénal français, refuse toute responsabilité pénale des parents du fait de la commission, par leur enfant, d’une infraction. En effet, une telle reconnaissance sera contraire au principe selon lequel l’on est pénalement responsable que de son propre fait. Ce principe qui figure à l’article 121-1 du Code pénal s’est vu reconnaître une valeur constitutionnelle, (Cons. Const. n°99-411 DC du16 juin 1999, JORF du 19 juin 1999, p. 9018), puis conventionnelle (CEDH  29 août 1997, E.L. et a. c/ Suisse: BICC 1997. 1269; JCP 1998. I. 107, no 29, obs. Sudre; Gaz. Pal. 1998. 2. 483, note Puechavy), de telle sorte qu’il n’est pas possible d’y déroger. Les parents ne peuvent donc être pénalement responsables de leurs enfants. Cependant, les parents sont tenus, en vertu de l’article 371-1 du Code civil, non seulement de protéger leur enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, mais également d’assurer son éducation.

Comment responsabiliser les parents d’enfants délinquants ?

Le législateur l’a bien compris et il multiplie les mesures afin de responsabiliser les parents d’une manière ou d’un autre.

Le Code pénal incrimine ainsi la mise en péril d’un mineur à l’article 227-17 du Code pénal. L’esprit de cette infraction est de sanctionner les parents qui, en raison d’une éducation défaillante, ont laissé leur enfant entrer dans la délinquance. L’article 227-17 vise « le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. ». Or, cette infraction semble inappliquée en pratique.

De son côté, le Code de la Justice pénale des mineurs tend à associer les parents au parcours pénal du mineur. L’article L. 12-5 du CJPM entend replacer les parents au cœur de la réponse pénale faite à leur enfant. Il est ainsi prévu que les responsables légaux reçoivent les mêmes informations que celles qui sont communiquées au mineur au cours de la procédure. En outre, le Code reprend le droit récemment mis en place du mineur d’être accompagné par ses représentants légaux (cf. également article L. 423-8) et qui est issue de la transposition de la directive européenne du 11 mai 2016 relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales.

Ainsi, lorsqu’ils ne défèrent pas à la convocation de comparaître qui leur aurait été faite par la juridiction pénale saisie d’une poursuite à l’encontre de leur enfant, celle-ci « peut ordonner qu’ils soient immédiatement amenés par la force publique (…) pour être entendus » (ancien article 10-1 de l’Ordonnance du 2 février 1945 – article L. 311-5 du CJPM). Elle peut également les condamner à une amende pénale de 3750 euros ou à un stage de responsabilité parentale.

Que pensez des récentes déclarations faites en réaction aux émeutes ?

Les déclarations actuelles renvoient à un débat qui revient régulièrement. En 2021 déjà, une proposition de loi n°4205 déposée par M. Jolivet à l’Assemblée nationale envisageait de retenir la responsabilité pénale des parents qui, par négligence ou manquement à ses obligations parentales, avait laissé son enfant commettre une infraction pénale. Ce texte n’a jamais été soumis à la discussion. Au lendemain des émeutes, il est question de punir les parents par une lourde amende dès la première infraction commise. Or, il semble inenvisageable de déroger au principe de la responsabilité pénale personnelle en condamnant les parents à payer une amende pour le fait de leur enfant. Une possibilité serait de se fonder sur le délit de mise en péril d’un mineur, mais encore faudrait-il que les conditions soient réunies et en particulier qu’un lien de causalité entre les défaillances parentales et le passage à l’acte du mineur. La suppression des allocations familiales ne semble pas non plus pertinente, puisque ce sont les parents qui les perçoivent, il n’est pas envisageable de les prévoir en tant que peine complémentaire de l’infraction commise par le mineur. Qui plus est, le seul exemple de suppression de ces allocations, que la loi Ciotti de 2010 avait institué en réponse à l’absentéisme scolaire (abrogée en 2013) n’était en rien une peine mais une mesure de nature administrative ; son efficacité n’a, par ailleurs, pas été démontrée. La seule option reste donc de sanctionner uniquement le mineur.

Trois propositions ressortent du discours actuel. Tout d’abord, il est envisagé d’abaisser l’âge de la majorité à 16 ans. Ce n’est pas une nouveauté en soi et, en 2020 déjà, une proposition de loi n°3625 envisageait un tel abaissement. Or, le droit pénal des mineurs prévoit déjà la possibilité de juger les mineurs âgés d’au moins 16 ans comme des majeurs, ce que n’interdit pas le PFRLR d’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en raison de leur âge (Cons. Const.. 29 août 2022). L’article L. 121-7 du CJPM permet de lever, à titre exceptionnel et par décision spéciale motivée, l’excuse de minorité dont ils bénéficient en principe. Une telle modification ne serait donc pas nécessaire.

S’agissant des peines, la déchéance de nationalité, prévue à l’article 25 du Code civil est soumises à des conditions strictes : elle ne peut concerner que les personnes ayant acquis la nationalité (et donc non pas celles qui sont nées françaises) et qui sont condamnées, notamment, pour un crime ou délit qualifié de terrorisme, d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation. En aucun cas, cette déchéance ne peut rendre une personne apatride. Cependant, l’article L. 121-1 du CJPM dispose qu’ « aucune interdiction, déchéance ou incapacité ne peut résulter de plein droit d’une condamnation pénale prononcée à l’encontre d’un mineur », conformément au principe, également constitutionnel, de primat de l’éducatif sur le répressif. Une modification de cette disposition devrait passer l’examen de constitutionnalité. Enfin, il est question de restaurer les peines planchers, ce qui nous renvoie au début des années 2000, à une époque où la politique de la tolérance zéro était bien installée en France. Les mineurs n’avaient pas échappé à l’instauration de telles peines, prévues à l’ancien article 20-1 de l’Ordonnance du 2 février 1945, lesquelles devaient être diminuées de moitié, pour tenir compte également de nos grands principes du droit pénal.

Comment vont s’articuler la responsabilité pénale du mineur et la responsabilité civile des parents ?

En vertu de l’article 1242 du Code civil, alinéa, 5, « Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ». La jurisprudence apprécie de façon assez large la condition de cohabitation du mineur avec ses parents : par exemple, le fait que le mineur a été confié par ses parents, qui exercent l’autorité parentale, à sa grand-mère qui l’élève depuis douze ans, n’a pas fait cesser la cohabitation de l’enfant avec eux (Crim. 8 févr. 2005, no 03-87.447 P: JCP 2005. II. 10049).

La responsabilité civile des parents pourra être recherchée par la constitution de partie civile de la victime des agissements de l’enfant mineur. L’action civile, pourra ainsi, en vertu de l’article 2 du Code civil, rechercher la responsabilité civile des parents au titre de l’alinéa 5 de l’article 1242 du Code civil. En matière intentionnelle et en cas de condamnation pénale, il appartient au juge pénal, de se prononcer sur l’action civile (article 464 du Code de procédure pénale). En cas de relaxe, il est également possible à la partie civile d’interjeter appel de la décision, uniquement sur les intérêts civils, ce qui conduira à examiner la responsabilité des parents du fait de leur enfant (article 497 du Code de procédure pénale, également : Crim. 27 mai 1999, n° 98-82.978, Bull. crim n° 109). La jurisprudence ayant évolué en la matière, il est désormais possible d’obtenir réparation malgré une relaxe au pénal, dès lors que le dommage « résulte de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite » (Crim. 5 février 2014, n°12-80.154). En matière non-intentionnelle (homicide involontaire par exemple), l’article 475 du Code de procédure pénale autorise le juge pénal à se prononcer sur la responsabilité civile, y compris en cas de relaxe.

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