Par Ludivine Richefeu – Maître de conférences en droit privé à l’Université de Cergy-Pontoise

Lors de son concert du 6 juillet dernier, Izïa a imaginé le « lynchage » public dont pourrait être victime Emmanuel Macron. Entre deux chansons, l’artiste a tenu les propos suivants : « il s’est dit là, ce qui serait bien, je pense que ce que le peuple veut, ce dont le peuple a envie, c’est qu’on m’accroche à 20 mètres du sol telle une piñata humaine géante, et qu’on soit tous ici présents munis d’énormes battes avec des clous au bout comme dans Clockwork Orange ». À la suite de ces propos, le parquet de Nice a ouvert une enquête pour provocation publique à commettre un crime ou un délit.

Les propos tenus par Izïa à l’égard d’Emmanuel Macron sont-ils répréhensibles ?

Prévue à l’article 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse lorsqu’elle n’est pas suivie d’effets, cette infraction est définie dans son élément matériel comme une incitation directe et publique à commettre notamment des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique d’une personne. L’élément intentionnel de ce délit repose quant à lui sur « la volonté ou la conscience de l’auteur, quels qu’aient été son mobile et son but final, de créer, par un acte de provocation, l’état d’esprit propre à susciter » la commission du crime ou du délit (TGI Paris, 17e ch., 24 janv. 2014).

Les propos tenus par Izïa correspondent à l’élément matériel du délit, mais plus délicate est la question de l’élément intentionnel, ces propos ayant été proférés dans le cadre de son activité d’artiste, en plein milieu de son concert. La jurisprudence a en effet développé, à l’occasion de poursuites pénales diligentées contre des rappeurs sur le fondement de l’article 24 de la loi de 1881, une tolérance importante concernant les propos tenus par l’artiste. Les juges recherchent ainsi si, « s’agissant d’une œuvre de l’esprit, son auteur établit une distanciation suffisante entre l’imaginaire et le réel, entre lui-même et les propos ou actions de ses personnages » (TGI Paris, 17e ch. corr., 19 mars 2019, RG no 18269000625). Cette exigence de distanciation suffisante conduit à sanctionner les actes de provocation directe qui ont créé un état d’esprit propre à susciter des atteintes à l’intégrité et, à l’inverse, à relaxer un chanteur lorsqu’il est démontré que le public peut prendre conscience de la distanciation entre le réel et l’imaginaire, entre celui ou celle qui exprime et ce qu’il ou elle exprime.

L’affaire Orelsan est l’exemple emblématique de cette interprétation. Saisie sur renvoi après cassation, la Cour d’appel de Versailles, a dans cette affaire jugé que les paroles litigieuses de certains textes d’Orelsan « par nature injurieuses et violentes à l’égard des femmes lorsqu’elles sont prises isolément, […] doivent en réalité être analysées dans le contexte du courant musical dans lequel elles s’inscrivent et au regard des personnages imaginaires, désabusés et sans repères qui les tiennent. Les sanctionner […] reviendrait à censurer toute forme de création artistique inspirée du mal-être, du désarroi et du sentiment d’abandon d’une génération, en violation du principe de la liberté d’expression ». La question se pose donc de l’application de cette jurisprudence aux propos tenus par Izïa, lesquels, s’ils ne s’intègrent pas à l’une des compositions musicales de l’artiste, ont toutefois été proférés lors de son concert, donc dans un moment où la création artistique prend le pas sur le réel.

De manière générale, la qualité d’élu est-elle à l’origine d’un régime juridique spécifique ?

La qualité d’élu est bien entendu à l’origine d’une aggravation de la répression, certaines infractions étant plus sévèrement sanctionnées lorsqu’elles sont commises à l’encontre d’une « personne dépositaire de l’autorité publique », « chargée d’une mission de service public », ou encore « investie d’un mandat électif public ». L’élu est une personne investie d’un mandat électif, mais il peut encore être considéré comme une personne chargée d’une mission de service public. Il entre donc dans deux au moins des trois catégories susvisées, permettant une aggravation des sanctions pénales encourues par l’auteur en cas, par exemple, de violences volontaires (art. 222-8, 4° ; 222-10, 4 bis ; 222-12, 4° bis ; 222-13, 4° bis, du Code pénal), d’actes de torture et de barbarie (art. 222-3, 4 bis du Code pénal), ou encore de menaces et actes d’intimidation (art. 433-3 du Code pénal).

Sur le plan procédural, l’article 721-1-2 du Code de procédure pénale raccourcit la durée des réductions de peines pour les auteurs de violences les plus graves commises contre une personne investie d’un mandat électif public, et la loi Confiance du 22 décembre 2021 a exclu du champ d’application de l’avertissement pénal probatoire les auteurs de délits commis contre une personne investie d’un mandat électif public.

Surtout, la loi LOPMI du 24 janvier 2023 a triplement élargi les conditions de constitution de partie civile concernant certaines infractions commises contre les élus (art. 2-19 du Code de procédure pénale). D’abord, elle a étendu la liste des associations habilitées à agir. Alors que jusqu’à présent seules les associations départementales pouvaient intervenir au procès pénal, l’article 2-19 du Code de procédure pénale prévoit désormais, à titre d’exemple, que l’Association des maires de France, toute association nationale reconnue d’utilité publique ou régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans dont les statuts proposent d’assurer la défense des intérêts de ces élus et, sous les mêmes conditions, toute association départementale qui lui est affiliée, peuvent désormais se constituer partie civile en cas d’infractions commises contre les élus municipaux. Ensuite, la loi LOPMI a élargi la liste des infractions pour lesquelles l’action civile de ces associations est recevable à l’ensemble des crimes et délits commis contre les personnes ou les biens, aux actes de menace ou d’intimidation ou encore aux infractions prévues par la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Enfin, elle a appliqué cet élargissement de la constitution de partie civile aux infractions susmentionnées commises sur le conjoint ou le concubin de l’élu, sur le partenaire lié à celui-ci par un pacte civil de solidarité, sur les ascendants ou les descendants en ligne directe de celui-ci ou sur toute autre personne vivant habituellement à son domicile, en raison des fonctions exercées par l’élu ou de son mandat.

Le renforcement de l’arsenal pénal ne constitue toutefois pas une réponse idéale à l’augmentation des actes d’incivilité et de violences contre les élus, la répression pénale intervenant toujours, par définition, lorsque ces atteintes ont déjà été commises. C’est pour cette raison que la création récente du centre d’analyse et de lutte contre les atteintes faites aux élus constitue une avancée notable.

En quoi consiste le centre d’analyse et de lutte contre les atteintes faites aux élus ?

De 2021 à 2022, le nombre d’atteintes commises à l’encontre des élus – en majorité des menaces, injures, outrages – a augmenté de 32% (source : site du ministère de la transition écologique). Le centre a été créé en réponse à cette augmentation afin de protéger les élus, et de prévenir les atteintes qui leur sont portées. La mission de protection du centre, d’abord, s’articule autour de la création d’un réseau de plus de 3 000 référents « atteintes aux élus » répartis dans les commissariats et gendarmeries, qui deviendront les contacts privilégiés des élus en cas de difficulté. Par ailleurs, le dispositif « Alarme élu » a été renforcé, lui qui permet aux élus qui se sentent menacés de se manifester auprès de leur commissariat ou de leur gendarmerie afin de bénéficier d’une vigilance renforcée de la part des forces de l’ordre.

La démarche « d’aller-vers » a également été amplifiée afin de permettre le dépôt de plainte des élus à l’endroit qu’ils souhaitent, par exemple à leur domicile ou à la mairie. Enfin, la plateforme Pharos destinée au signalement des contenus illicites sur Internet a été mobilisée dans l’objectif d’améliorer la détection des actes de violences, et des sessions de sensibilisation à la gestion des incivilités et désescalade de la violence ont été développées à l’attention des élus. La mission de prévention du centre, ensuite, permettra de mieux analyser les atteintes subies par les élus en compilant les données disponibles. Il s’agit ici de mieux comprendre ces atteintes afin d’améliorer la réponse opérationnelle, notamment en alertant systématiquement sur les menaces ou les violences subies par les élus, et en déclenchant un suivi précis de celles-ci.