A l’occasion de la conférence des évêques de France qui se tenait lundi 9 avril au collège des Bernardins, le Président de la République, Emmanuel Macron a donné un discours qui a engendré une polémique liée à sa phrase d’introduction : « nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer ».

Beaucoup de personnalités se sont émues de cette prise de position et de nombreuses références ont été faites à la Loi de 1905 ou encore à la laïcité.

Décryptage par Pierre-Henri Prélot, professeur de droit à l’Université de Cergy.

« La loi de 1905 organise un régime de droit commun applicable à toutes les religions, reposant sur le double principe  de l’égalité de traitement et l’absence de reconnaissance institutionnelle »

Quelle est la place de la laïcité en droit français ?

Avant 1945, ce terme est employé couramment dans le vocabulaire mais il n’apparaît pratiquement pas dans le droit. Il faudra attendre la Constitution de 1946 et son article premier proclamant que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».  Ce premier article sera repris dans la Constitution de 1958.

D’un point de vue moins juridique et plus culturel, et à la différence des États anglo-saxons, il existe traditionnellement en France une forme de distance volontaire entre les autorités républicaines et les religions. Ainsi en 1918, le président du Conseil Georges Clemenceau refusa de se rendre au Te Deum célébré à Notre-Dame-de-Paris, et c’est la femme du président de la République qui a représenté le gouvernement. C’est aussi à cette mise à distance symbolique de la religion, aujourd’hui largement remise en cause, que renvoie historiquement la notion de laïcité, et c’est pourquoi certains ont pu s’émouvoir de la mention par Emmanuel Macron d’un « lien abîmé » entre l’Eglise et l’Etat qu’il faudrait « réparer ».

Mais juridiquement les principes cardinaux qui charpentent la laïcité figurent aux articles 1 et 2 de la loi de 1905.

Quels sont les principes posés par la loi de 1905?

La loi de 1905 porte sur la séparation des Églises et de l’État. Elle met un terme au système dit des « cultes reconnus » mis en place par Napoléon Bonaparte. Les religions majoritaires bénéficiaient alors d’un régime de reconnaissance qui reposait sur des textes propres à chaque culte (judaïsme, catholicisme et les deux protestantismes), dont le plus connu reste le Concordat pour la religion catholique.

La loi de 1905 organise un régime de droit commun applicable à toutes les religions, reposant sur le double principe  de l’égalité de traitement et l’absence de reconnaissance institutionnelle de chacune d’elles.

Il faut bien avoir à l’esprit que l’État ne cesse pas pour autant d’avoir des liens avec la religion. Par exemple, depuis la Révolution, les communes sont propriétaires des églises, qui sont mises à la disposition des catholiques pour la pratique de leur religion. Cela concerne également certains temples et certaines synagogues érigés au XIXe siècle sur des terrains communaux. De la même manière il existe en application de l’article 2 de la loi de 1905 des aumôneries catholiques, juives, musulmanes et protestantes dans les services publics (armées, prisons, hôpitaux, écoles). Il en résulte nécessairement des liens réguliers entre les autorités publiques et les représentants des religions.

Ces relations multiples qui s’établissent ne signifient en aucun cas que l’Etat continue à reconnaître les cultes. Son rôle est de permettre leur libre exercice conformément à l’article 1er de la loi de 1905. Le plus important dans cette loi de 1905, c’est en effet la liberté de conscience et le libre exercice des cultes dans le respect de l’ordre public, autrement dit le droit de pouvoir pratiquer la religion de son choix, mais également le droit de croire ou de ne pas croire.

Le discours d’Emmanuel Macron s’écarte-t-il de ce cadre légal ?

Les critiques essuyées par le Président de la République sont essentiellement centrées sur sa phrase introductive : « nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer».

Emmanuel Macron n’a aucunement remis en cause la laïcité telle que la dessine la loi de séparation : il s’adressait hier aux représentants de l’église catholique comme un Président de la République est amené à le faire régulièrement avec les autres représentants religieux français.

De plus, les relations entre François Hollande et les représentants de l’Eglise de France étaient loin d’être au zénith, et c’est ce qu’Emmanuel Macron a pu observer de près à l’Elysée. Le nouvel archevêque de Paris, Mgr Michel Aupetit, ayant pris ses fonctions début janvier, il y avait une certaine logique à ce que le président de la République lui aussi récemment élu veuille restaurer le dialogue avec l’Eglise, sans rien céder sur le fond.

Dans la rhétorique d’un discours, l’introduction fait souvent sens avec la conclusion, et cette dernière est une déclaration de laïcité que ne renierait aucun des critiques du discours présidentiel : « Mon rôle est de m’assurer que chaque concitoyen a la liberté absolue de croire comme de ne pas croire mais je lui demanderai de la même façon et toujours de respecter absolument et sans compromis aucun toutes les lois de la République. C’est cela la laïcité ni plus ni moins, une règle d’airain pour notre vie ensemble qui ne souffre aucun compromis, une liberté de conscience absolue et cette liberté spirituelle que je viens d’évoquer ».

Par Pierre-Henri Prélot