Par Guillaume Farde, Professeur affilié à l’Ecole d’affaires publiques de Sciences Po

Le Parlement a débuté, ce mois de juin, l’examen du projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement. Troisième loi anti-terroriste du quinquennat d’Emmanuel Macron, ce texte prolonge des dispositions des lois du 24 juillet 2015 relative au renseignement et du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (dite loi « SILT ») et renforce, par ailleurs, les prérogatives de l’autorité administrative en la matière. Depuis la loi fondatrice du 9 septembre 1986, les lois antiterroristes achoppent sur le rapport dialectique sécurité / liberté et inquiètent les défenseurs des libertés individuelles. Cette nouvelle loi ne fait pas exception.

Qu’est-ce qui vient justifier ce projet de loi alors que le corpus législatif antiterroriste s’est déjà vu renforcer ces dernières années ?

En France, l’adoption régulière de lois antiterroristes depuis 1986 a suivi l’évolution d’une menace mouvante par nature. En 1986, la France est frappée par le Hezbollah. En 1995, elle l’est par le GIA. En 2015, elle l’est par l’Etat islamique. A chaque vague, le corpus législatif s’étoffe et les lois s’accumulent : loi du 9 septembre 1986, loi du 22 juillet 1996, loi du 13 novembre 2014, loi du 24 juillet 2015, loi du 3 juin 2016, loi du 30 octobre 2017… Chacune de ces lois aura profondément et durablement marqué notre législation antiterroriste.

Je classerais toutefois à part les lois du 24 juillet 2015 relative au renseignement et du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, la première pour d’excellentes raisons, la seconde pour des motifs plus critiquables.

La loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement est une grande loi. Elle sécurise l’action de nos services de renseignement en définissant précisément les missions qui leur sont assignées. Sur cette base, la loi les autorise à recourir à des techniques d’accès à l’information tout en instaurant un triple niveau de contrôle par une autorité administrative indépendante (la CNCTR), par le juge et par le Parlement.

Plus contestable, la loi du 30 octobre 2017 marquait la sortie de l’état d’urgence, non pas à droit constant comme l’avait initialement annoncé le Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles le 3 juillet 2017, mais en transposant en droit commun quatre des principales dispositions de la loi du 3 avril 1955 que sont les périmètres de protection, les fermetures administratives de lieux de culte, les assignations à résidence et les perquisitions administratives ; ces deux dernières mesures ayant été pudiquement rebaptisées Mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) et visites domiciliaires.

Dans les deux cas, les lois du 24 juillet 2015 et du 30 octobre 2017 contenaient des clauses de revoyure. La loi actuellement débattue au Parlement, a pour principal objet de proroger l’application de dispositions contenues dans l’un et l’autre texte.

Quels sont les principaux apports de ce projet de loi ?

Le texte comporte trois séries de mesures : des mesures administratives, des mesures judiciaires et des mesures techniques.

Sur le plan administratif, la loi relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement confère un caractère permanent aux mesures de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence qui avaient été transposées en droit commun, et à titre provisoire, par la loi du 30 octobre 2017. Ces mesures sont pérennisées mais elles sont également étendues. Par exemple, la fermeture administrative des lieux de culte pourra être étendue à d’autres lieux dépendant du lieu de culte visé par la fermeture. De même, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance sont complétées d’interdictions de paraître en un lieu où se tiendront des événements exposés à un risque d’attentat terroriste. Enfin, la durée d’application de ces mesures dites MICAS est étendue à deux ans. Toujours sur ce volet administratif et en lien avec l’actualité récente (l’attaque au couteau d’une policière municipale de la Chapelle-sur-Erdre), la loi étend la possibilité de communication des informations relatives à l’internement d’office d’une personne, aujourd’hui limitée au seul préfet de département du lieu d’internement, au service en charge du suivi de cette personne.

Sur le plan judiciaire, les principales dispositions sont contenues dans l’article 5 de la loi, qui crée une mesure judiciaire de réinsertion sociale antiterroriste destinée à renforcer le suivi des personnes condamnées pour des infractions à caractère terroriste. Alors qu’environ 500 personnes condamnées pour des infractions à caractère terroriste sont actuellement sous écrou et qu’une centaine est libérable d’ici 2023, la question de leur suivi socio-judiciaire à leur sortie de détention est particulièrement sensible. En la matière, les exigences rappelées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2020-895 DC du 7 août 2020 limitent considérablement les ambitions du législateur.

Enfin, sur le plan technique, la loi pérennise la technique dite de « l’algorithme » qui consiste en la mise en place, sur les réseaux des opérateurs de communications électroniques et des fournisseurs d’accès à Internet, de dispositifs de détection des connexions suspectes en lien avec une entreprise terroriste, et elle étend cette technique aux URL. La loi ouvre par ailleurs la voie à l’expérimentation d’une technique d’interception des communications empruntant la voie satellitaire.

Doit-on donner crédit à ceux qui voient dans ce texte une dérive liberticide ?

Depuis 1986, les variations de la menace terroriste poussent le législateur sur la voie d’une neutralisation judiciaire préventive des auteurs d’infractions à caractère terroriste. Le droit pénal relatif aux infractions à caractère terroriste résulte ainsi d’une volonté de criminaliser des actes préparatoires en remontant de plus en plus tôt sur la trajectoire des terroristes et ce, dans le but quelque peu chimérique d’empêcher absolument tout passage à l’acte meurtrier. Ce faisant, les infractions sont de moins en moins matérialisées et incriminent des personnes à l’implication de plus en plus indirecte. Cette torsion d’un droit pénal qui criminalise autant, sinon davantage, des intentions que des faits commis s’opère au détriment des libertés individuelles dont le mouvement de restriction est indéniablement amorcé.

Ceci posé, il convient toutefois de distinguer les mesures de police administrative des techniques de renseignement, d’aucuns ayant tendance à les placer abusivement sur le même plan.

Les mesures de police administrative répondent à l’obligation de prévention de l’Administration. En cela, les prérogatives de puissance publique de l’Administration sont difficilement contestables dans leur principe. En revanche, la substitution progressive de mesures de police administrative à des mesures de police judiciaire préexistantes au motif, rarement assumé, que la mise à l’écart du juge judiciaire présenterait des commodités procédurales, est constitutif d’une dérive grave. A cet égard, la démultiplication des perquisitions administratives (plus de 4 300 entre 2015 et 2017) alors qu’il existait un équivalent judiciaire, pour finalement parvenir à un taux de judiciarisation inférieur à 1%, devrait interroger non seulement sur l’intérêt d’une telle mesure, mais plus généralement sur ce qu’elle dit d’un Etat de droit où, aux termes de la Constitution, l’autorité judiciaire est pourtant bien la « gardienne de la liberté individuelle ».

A contrario, le débat relatif aux techniques de renseignement ne se pose pas dans les mêmes termes. Une technique de renseignement est, par sa nature, attentatoire aux libertés individuelles. Poser une balise sur un véhicule, sonoriser un domicile, capter des données de connexion, sont des actions intrinsèquement attentatoires aux libertés individuelles. L’enjeu n’est donc pas tant de s’opposer à leur principe que de règlementer leur usage. A cet égard, on ne dira jamais assez le rôle salutaire de la loi du 24 juillet 2015 qui crée la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). En matière de contrôle, l’œuvre n’est, bien-sûr, pas achevée et probablement que le rôle de la Délégation parlementaire au renseignement mérite d’être davantage renforcé.

En résumé, gardons-nous de contourner l’autorité judiciaire dans la prévention du terrorisme en organisant sa concurrence malsaine avec l’autorité administrative et renforçons le contrôle de nos services de renseignement par le Parlement. Car, c’est à travers un double effort de respect de la séparation des pouvoirs et de contrôle des pouvoirs exorbitants des administrations, que nos systèmes démocratiques sauront résister à la tentation funeste d’oublier ce qu’ils sont dans l’espoir de parer, en vain, à toute forme de menace.

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