Par Emmanuel Derieux, Professeur de droit des médias à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2). Auteur notamment de Droit des médias. Droit français, européen et international

L’examen, par l’Assemblée nationale, après une première lecture par le Sénat, du « projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique » amène à formuler quelques observations générales sur l’élaboration d’un tel texte, et à considérer l’objectif d’une protection particulière contre la contrefaçon sur internet, ainsi que l’occasion saisie de constituer une nouvelle instance de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.

Quelles appréciations générales peut-on formuler à l’égard d’un tel projet de loi ?

Le présent projet de loi conduit à formuler quelques appréciations générales et critiques sur la pratique législative, en matière de droit de la communication ou des médias comme en beaucoup d’autres. Celui-ci se caractérise par : l’abondance, en nombre et en volume ; une grande instabilité et donc incertitude et insécurité ; la dispersion et la complexité des textes. Par des règles particulières, sans cesse partiellement révisées, il est prétendu l’adapter à l’évolution des techniques, à l’égard de laquelle, en réalité, il accentue ainsi, à chaque fois, son retard. Les exigences de mise en conformité avec le droit européen imposent les mêmes contraintes et conduisent au même résultat. Envisagées, à un moment donné, en considération de l’état transitoire des techniques de communication et de leurs usages, les mesures nouvelles sont déjà périmées et dépassées au jour de leur adoption ou de leur entrée en vigueur. Seules des dispositions à la formulation plus générale, applicables à des situations différentes, résisteraient à l’usure du temps et s’avéreraient ainsi bien plus durables.

Par ce projet de loi, sont appelés à être modifiés, à des degrés divers, par des dispositions en nombre incalculable et de volumes distincts : le Code de la propriété intellectuelle ; le Code du cinéma et de l’image animée ; le Code du sport ; la loi n° 86-1067, du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication ; la loi n° 2007-309, du 5 mars 2007, relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur ; la loi n° 2017-55, du 20 janvier 2017, portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes… Qui, de ce fait, peut prétendre avoir une vision globale et une complète maîtrise de ces questions souvent de nature très technique ?

Les réformes envisagées ne concernent pas seulement l’introduction ou la rédaction nouvelle d’articles entiers, mais aussi la modification de leur numérotation, le changement d’un mot par un autre, la modification des références, la suppression ou le déplacement d’un alinéa… Lorsqu’il les adopte, le législateur en a-t-il toujours une juste compréhension ? Tel que débattu et adopté, avant ce qui est qualifié de « consolidation », le texte est totalement illisible et incompréhensible. Il n’est pas sûr qu’il puisse être mieux compris par la suite.

Quelles dispositions relatives à la lutte contre la contrefaçon sur internet sont contenues dans le projet de loi ?

La contrefaçon sur internet nécessite-t-elle d’être distinguée d’autres formes de violation des droits de propriété intellectuelle sur diverses formes de créations et de productions et justifie-t-elle l’adoption de dispositions particulières mettant en jeu des mécanismes de constat et de répression spécifiques ? Par souci de clarté et d’efficacité, ne suffirait-il pas de déterminer un régime commun, comportant une sanction judiciaire ?

Les « atteintes aux droits », quelles qu’elles soient et quels qu’en soient les moyens, ne devraient-elles pas être considérées de manière identique et relever du seul contrôle des juges ?

Des dispositions spécifiques consacrant, de manière contestable, un droit dit voisin au profit des éditeurs et des agences de presse, qui sont pourtant, à titre originaire sur l’œuvre collective ou par cession des droits des journalistes sur chacune de leurs contributions, titulaires des droits d’auteur, ont été introduites, dans le Code de la propriété intellectuelle, par une loi du 24 juillet 2019. Alors qu’on en attend encore une application véritable, est-il justifié de les modifier et de les compléter déjà ?

La « lutte contre la retransmission illicite des manifestations et compétitions sportives », du fait d’un service de communication au public en ligne, nécessite-t-elle l’adoption de règles particulières, appelées à figurer dans le Code du sport, y compris comportant l’appel au juge auquel seraient alors attribuées des compétences spécifiques ?

Est-il utile de prévoir, sous couvert de « protection de l’accès du public aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles », un régime spécifique, de contrôle et de sanction, pour la cession des droits de production cinématographique ?

Que sera la nouvelle Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique ?

L’instauration, par fusion du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI), d’une nouvelle instance de régulation, dénommée Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et du numérique (ARCOM), est l’objet de dispositions dispersées, appelées à être insérées dans la loi du 30 septembre 1986 et dans le Code de la propriété intellectuelle. Devraient ainsi en être nouvellement déterminés la composition, le nombre et le mode de désignation de ses membres, l’organisation, la compétence et les moyens d’action.

En quoi de telles institutions, dont la création a pu être un temps justifiée, ont-elles fait preuve de leur utilité et de leur efficacité ? Le contexte technique ayant évolué, leur transformation en une nouvelle autorité apparaît-elle nécessaire ? La tendance ne devrait-elle pas être à la normalisation du statut de l’ensemble des médias, quels qu’en soient les supports et les techniques, soumis, à tous égards, à un régime commun et relevant du seul contrôle du juge ? N’y a-t-il pas des risques de doublons ou, à l’inverse, de contradictions dans les décisions prises ou les sanctions prononcées par des institutions distinctes ?

Initialement instaurée pour assurer la répartition et la régulation des fréquences hertziennes, qui étaient alors en nombre limité, une telle institution se justifie-t-elle encore dans un contexte de multiplication des canaux de diffusion ? La diversification des compétences et des missions en assurera-t-elle la juste exécution ?

En quoi est-il indispensable d’envisager de confier, à la future ARCOM, « une mission de protection des œuvres et des objets auxquels sont attachés un droit d’auteur ou un droit voisin et des droits d’exploitation audiovisuelle » des compétitions sportives « à l’égard des atteintes à ces droits commises sur les réseaux de communications électroniques utilisés pour la fourniture de services de communication au public en ligne » ? En quoi de telles atteintes se distinguent-elles des autres ? De quelle nature est le droit en cause ? Comment peut-il être qualifié ?

Au pouvoir de contrôle, de dénonciation et de sanction d’une telle autorité, ne devrait-on pas préférer la seule intervention des juges, dans le cadre d’un contrôle a posteriori, comportant répression et réparation des atteintes portées aux droits d’autrui ?

Des interventions législatives partielles et incessantes, telles que celle en cours, prétendant, par des dispositions particulières, tenir compte des nécessités qui découleraient de l’évolution des techniques et de leurs usages, ne font que rendre le droit plus complexe, incompréhensible et donc inapplicable ou, à tout le moins, non respecté. C’est, tout à l’inverse, pour plus d’efficacité, à une grande simplification et clarification du droit que, en cette matière comme en beaucoup d’autres, il conviendrait de tendre.

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