Par Anne Levade – Professeur de droit public à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne – Ecole de droit de la Sorbonne – Président de la Fondation Panthéon-Sorbonne et Président de l’Association Française de Droit Constitutionnel
En plus de faire une large place au référendum direct (voir Article sur notre Blog), le programme de Marine Le Pen propose de mettre en place un référendum d’initiative populaire, de supprimer le droit du sol, d’exonérer d’impôt sur le revenu les moins de trente ans. Ces mesures pourraient pourtant bien être inconstitutionnelles.
Que penser, juridiquement, du référendum d’initiative citoyenne proposé par Marine Le Pen ?
En l’état, le moins que l’on puisse dire est que la proposition est floue. Si la onzième des « 22 mesures pour 2022 » figurant dans le programme de Marine Le Pen dit vouloir « instaurer le référendum d’initiative citoyenne », on ne dispose que de vagues éléments, d’ailleurs variables d’une conférence de presse à l’autre, sur les conditions qui encadreraient sa mise en œuvre.
Le flou porte d’abord sur l’objet. Après avoir parlé de référendum sur les « questions de société », formule attrape-tout s’il en est, Marine Le Pen a laissé entendre qu’un référendum d’initiative citoyenne pourrait être organisé sur tout sujet à l’exception de « ceux portant une atteinte particulièrement grave aux intérêts nationaux ». Assurément pas de quoi être éclairé ! Et, quand bien même on s’entendrait sur ce que recouvre la formule « intérêts nationaux », encore faudrait-il savoir ce qu’est in abstracto une « atteinte particulièrement grave » et qui serait compétent pour en juger…
Si l’on ajoute que le référendum permettrait de soumettre au peuple l’adoption, la modification ou l’abrogation d’un texte dont on ne sait s’il serait nécessairement législatif ou pourrait être constitutionnel, on conviendra que l’on est loin de la précision de l’article 11 de la Constitution qui ne permet de recourir au référendum que pour l’adopter d’un « projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».
Les choses ne sont guère plus claires concernant la procédure. Tout au plus sait-on que le référendum pourrait être initié par 500 000 citoyens mais rien n’est dit sur la nature de l’initiative – proposition de loi rédigée ou simple idée – non plus que sur le contrôle de sa compatibilité avec la Constitution ou les engagements internationaux souscrits par la France. On arguera sans doute que, à ce dernier égard, Marine Le Pen n’entend pas s’embarrasser d’exigences internationales ou européennes puisqu’elle propose par ailleurs « un « bouclier constitutionnel » permettant aux juges français d’écarter toute règle de droit international ou communautaire qui lui serait contraire » et se réclame même, pour ce faire, des modèles hongrois et russe…
Même imprécision enfin, résultant de déclarations à l’emporte-pièce, lorsqu’il s’agit des conséquences du référendum, Marine Le Pen expliquant tout à la fois que si le « non » l’emporte à un référendum, interdiction sera faite de formuler une nouvelle proposition sur le même thème pendant 15 ans tandis qu’un texte adopté par référendum ne pourrait plus être modifié que par cette voie. Sous couvert de rendre le pouvoir au peuple, c’est donc la paralysie qui guetterait, certains sujets se trouvant provisoirement exclus du débat public tandis que d’autres deviendraient par nature référendaire et interdits de tout aménagement, fût-il mineur, par voie parlementaire.
Et puis, et ce n’est pas le plus petit écueil, pour que le référendum d’initiative citoyenne proposé par Marine Le Pen existe, elle oublie de dire qu’il faudrait que la Constitution soit révisée et que, pour ce faire, l’article 89 de la Constitution exige que le texte soit adopté en termes identiques par les deux chambres du Parlement avant de pouvoir être soumis pour adoption définitive à un vote référendaire ou du Congrès.
Suppression du droit du sol, exonération d’impôts sur le revenu pour les moins de 30 ans, établissement d’une perpétuité réelle… quels principes constitutionnels se trouvent mis à mal par ces mesures proposées ?
La plupart des annonces de campagne de Marine Le Pen heurtent de plein fouet des principes constitutionnels. Concernant la suppression du droit du sol et la proposition complémentaire de réserver les aides sociales aux nationaux français, il s’agit du droit du sol qui, s’il n’a pas été pour l’instant reconnu comme un principe constitutionnel mais en présente tous les indices et du principe d’égalité devant la protection sociale découlant du préambule de 1946 qui interdit que les étrangers en situation régulière en soient exclus. Idem concernant l’exonération d’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans qui contreviendrait au principe d’égalité devant les charges publiques consacré par la Déclaration de 1789. Quant à la perpétuité réelle, elle est contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui prohibe les peines et traitements inhumains et dégradants en même temps qu’au principe constitutionnel d’individualisation des peines qui découle de l’article 8 de la Déclaration de 1789.
Marine Le Pen le sait parfaitement puisqu’elle dit ouvertement que c’est la raison pour laquelle ces mesures devraient être adoptées par référendum puisque, et c’est vrai, « le Conseil constitutionnel ne peut examiner une loi adoptée par référendum ». En revanche, elle oublie de dire que le référendum n’est pas fait pour violer la Constitution. Il permet soit de soumettre au peuple pour approbation une loi conforme à la Constitution, soit de faire approuver par le peuple une révision de la Constitution après que le Parlement l’a adoptée.
Quels garde fous existent aujourd’hui pour empêcher un président de prendre des mesures inconstitutionnelles ? Quelles sanctions s’il ne respectait pas ces mesures ?
Avant toute chose, il faut rappeler que, aux termes de l’article 5 de la Constitution, « le Président de la République veille au respect de la Constitution ». Si Marine Le Pen était démocratiquement élue le 24 avril, cela ne l’autoriserait donc en rien à méconnaître la Constitution et, tout à l’inverse, lui imposerait d’en être le gardien ! Il serait donc d’autant plus grave qu’elle prenne des mesures inconstitutionnelles.
Pour ce qui est des garde-fous, tout dépendrait des voies qu’elle retiendrait pour faire adopter des mesures inconstitutionnelles. Il est toujours possible de réviser la Constitution pourvu que les formes prescrites par elle soient respectées, ce qui suppose qu’il y ait un accord des deux chambres du Parlement. En revanche, si Marine Le Pen décidait de recourir au référendum de l’article 11, il est probable que le Conseil constitutionnel y ferait à juste titre obstacle lors du contrôle des actes préparatoires au scrutin puisque, en application de l’article 58 de la Constitution, il « veille à la régularité des opérations de référendum ». Et je rappelle que les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, interdisant qu’un référendum pût se dérouler si le Conseil censurait un des actes visant à l’organiser.
Quant aux sanctions, à l’évidence, ce qui s’apparenterait à un coup d’Etat pourrait justifier la mise en œuvre de la procédure de destitution prévue à l’article 68 de la Constitution. Que le gardien de la Constitution la viole ouvertement serait sans doute possible constitutif d’un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » !