Le mardi 24 septembre, les représentants démocrates ont lancé une procédure de destitution (impeachment) du président américain, Donald Trump. Selon la leader démocrate, Nancy Pelosi, ce dernier aurait « violé la Constitution » en demandant au président ukrainien, Volodymyr Zelensky, d’enquêter sur Joe Biden, candidat démocrate pour l’élection présidentielle de 2020. Le lendemain, la publication du compte rendu de la conversation téléphonique entre les deux hommes datant du 25 juillet dernier a confirmé la  demande de « faveur » à son homologue.

Décryptage par Wanda Mastor, Professeur de droit public à l’université Toulouse Capitole.

« Un Congrès peut utiliser l’arme de l’impeachment pour sanctionner le comportement politique du président »

Qu’est-ce qu’une procédure de destitution ? Comment se déroule-t-elle ?

Aux États-Unis, régime présidentiel, le chef de l’exécutif est irresponsable politiquement. Seule sa responsabilité pénale peut être au cœur d’une procédure d’impeachment. Pour bien saisir la procédure de destitution américaine, il faut se rappeler que, d’une part, l’immunité dont jouit l’exécutif aux États-Unis n’est pas synonyme d’impunité (car pour les Américains, une chose sera toujours au-dessus du Président, le plus « impérial » qu’il soit : le respect de la règle de droit, parfaitement exprimé dans l’adage « no one is above the law ») ; que, d’autre part, la responsabilité pénale y est souvent utilisée comme un palliatif à l’absence de responsabilité politique. Pour le dire autrement, un Congrès peut utiliser l’arme de l’impeachment pour sanctionner le comportement politique du président.

En vertu de l’article II, section 4 de la Constitution des États-Unis d’Amérique, « le Président, le vice-président et tous les fonctionnaires civils seront destitués de leurs charges sur mise en accusation et condamnation pour haute-trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs ».

La mise en accusation est tout d’abord votée par la Chambre des représentants à la majorité simple. S’ouvre ensuite le procès devant le Sénat, présidé par le Chief Justice de la Cour suprême si c’est le Président qui est jugé. La culpabilité est votée à la majorité des 2/3. La conséquence de ce vote est la destitution, le Président pouvant ensuite faire l’objet de poursuites devant les juridictions ordinaires. Il s’agit donc d’une responsabilité pénale mais c’est le Congrès qui est amené à apprécier l’opportunité politique des poursuites ou de la condamnation.

À cette hypothèse de destitution pour motifs de droit pénal s’en ajoute une autre, peu connue, prévue dans le 25e amendement. En vertu de la section 4 de ce dernier, une telle procédure est envisageable si le Président est dans « l’incapacité d’exercer les pouvoirs et de remplir les devoirs de sa charge ». La tribune publiée en 2018 par un haut fonctionnaire anonyme dans le New York Times, « I Am Part of the Resistance Inside the Trump Administration » a relancé la polémique sur la santé mentale de Donald Trump, commencée par la publication d’un ouvrage collectif. Plusieurs médecins et psychiatres y décrivent les pathologies de l’actuel président, susceptibles de légitimer une procédure d’impeachment pour raison d’incapacité du président.

De quoi accuse-t-on le président américain ?

Plusieurs tweets grossiers, voire injurieux, des menaces de guerre planétaire ne seront jamais suffisants pour pousser les membres de la Chambre des représentants à voter une mise en accusation. Il faut donc, comme précisé ci-dessus, des motifs de droit pénal. Plusieurs affaires encerclent actuellement Donald Trump, mais aucune n’a permis de le mettre directement en cause et le très attendu rapport du Procureur Mueller n’aura pas eu la postérité de celui de Kenneth Starr (à l’origine, comme rappelé ci-dessous, de la procédure déclenchée à l’encontre de Bill Clinton).

Le 24 septembre, la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a néanmoins annoncé le déclenchement d’une procédure de destitution, estimant que Trump avait « violé la Constitution » en demandant à Volodymyr Zelensky d’enquêter sur le fils de son concurrent de l’époque, Joe Biden. Le contenu de la conversation téléphonique vient d’être publié et le chantage paraît évident : « On parle beaucoup du fils de Biden et du fait que Biden ait arrêté l’enquête et beaucoup de gens veulent en savoir plus sur le sujet, donc cela serait formidable si vous pouviez vous pencher dessus ». Demander à une puissance étrangère d’enquêter sur l’un de ses opposants politiques peut aisément être considéré comme entrant dans le champ de l’article II de la Constitution.

Cette procédure a –t-elle déjà été utilisée par le passé ? Donald Trump pourrait-il être évincé ?

Il est classique de penser à Richard Nixon en premier lieu alors même que sa démission a avorté la procédure. Menacé d’une motion d’impeachment mais également d’une infamante condamnation pénale ultérieure, Monsieur Nixon, pourtant triomphalement réélu en novembre 1972, démissionna suite au scandale du Watergate. Le terrain pénal existait bien : après le limogeage du premier procureur au cours de ce que la presse a nommé « le massacre du samedi soir », tant les démissions furent nombreuses, un second procureur fut nommé. Il renouvela la demande faite au Président de produire les enregistrements de ses conversations sur bandes magnétiques. Alors même qu’il clamait son innocence en public (ce qui lui valut le surnom de « Tricky Dickie »), la commission des affaires judiciaires de la Chambre des représentants conclut à trois chefs d’accusation (obstruction à la justice, abus de pouvoir et outrage au Congrès), mais la démission intervint avant que le vote n’ait lieu.

Il ne faut donc retenir que deux exemples antérieurs de déclenchement et poursuite à l’encontre du président des États-Unis : en 1868 et en 1998. Le premier concerne Andrew Johnson qui avait volontairement contourné une loi du Congrès qui lui enlevait son pouvoir de révoquer librement certains hauts fonctionnaires. Si la mise en accusation fut bien votée à une large majorité par la Chambre des représentants, tel ne fut pas le cas de la culpabilité par le Sénat… à une voix près.

Le second concerne Bill Clinton, le Monicagate illustrant le mieux la facette politique de l’impeachment. Largement médiatisée, l’affaire prit naissance dans le rapport du controversé procureur indépendant Kenneth Starr. Le 12 décembre 1998, les membres de la commission judiciaire de la Chambre des représentants adoptèrent, à 21 voix contre 16, un acte d’accusation comportant plusieurs articles. Une semaine plus tard, la Chambre des représentants ne retint que deux chefs d’accusation : parjure devant le grand jury pour l’affaire Paula Jones et obstruction à la justice. Ces hauts crimes et délits « prenant leur source indirecte dans le comportement privé du Président », selon les propres termes du rapport Starr, n’ont pas entraîné la décision de culpabilité sénatoriale. Contrairement à Nixon, qui fut gracié par son successeur Gerald Ford, Bill Clinton fut poursuivi à l’issue de son mandat (il n’eut ainsi plus le droit de plaider en tant qu’avocat pendant 5 ans dans l’Arkansas). Cette affaire, illustrant une mise en cause disproportionnée du Président fondée sur des aventures extraconjugales, a conduit certains observateurs à redouter une banalisation de l’impeachment qui aboutirait à une responsabilité politique de l’exécutif devant le Congrès.

Compte tenu de la majorité que détient le Parti républicain au Sénat, la procédure qui vient d’être déclenchée contre Trump n’a aucune chance d’aboutir et les effets politiques recherchés par les démocrates pourraient bien être contre-productifs. Mais que la Chambre des Représentants vote ou non la mise en accusation, Donald Trump rejoint désormais le cercle très fermé des présidents entraînés dans la plus infamante des procédures.

Pour aller plus loin ;

Par Wanda Mastor.